Adieu l’Artiste ! Papa Wemba décoré à titre posthume

Avion spécial affrété pour rapatrier sa dépouille à Kinshassa. Des responsables et des artistes de la RD Congo ont fait  partie du voyage. Accueil digne d’un chef d’Etat à l’arrivée de sa dépouille mortelle.

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Et, cerise sur gâteau, le Chef d’Etat lui-même,  Kabila fils viendra épingler sur sa poitrine une médaille, dans un grand show médiatique qui a eu lieu ce lundi 2 mai au palais du peuple de Kinshassa. Devant parents, amis, artistes, le tout Kin de mélomanes et fans du défunt.

Mort sur scène comme Myriam Makéba

Oh ! Papa WEMBA ! Il a fallu que tu meures pour goûter à tant d’honneur. Comment pouvais-tu penser un seul instant, qu’en acceptant de répondre favorablement à la requête des organisateurs du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo à Abidjan, (FEMUA), tu signais ton arrêt de mort ? Et pourtant, tout avait si bien commencé depuis le 19 avril. Tous les concerts se déroulaient comme prévu. Le 23 avril, se tenait le dernier d’Abidjan et la clôture devait se passer à Korhogo, afin que les compatriotes de l’intérieur puissent goûter également à l’ambiance festive du FEMUA pour moins se sentir comme des citoyens de seconde zone, les oubliés du modernisme qui le plus souvent élit domicile dans nos grandes villes de la côte.

La soirée était bien avancée. A cinq heures du matin, le grand virtuose de la rumba congolaise fit son entrée et attaqua. La salle lui répondit à travers des déhanchements endiablés et des hurlements de contentement. Il y avait du monde. 20 mille spectateurs. Il faisait chaud. Après deux titres, patatras, le baobab tomba par derrière et ne se releva plus. C’est donc ça un homme ! Juste un arbuste qui peut se casser d’un coup et finir ainsi au sol ? Finir au sol et ne plus se relever ! Jamais plus ! Papa WEMBA a fini sa traversée et toutes les médailles qu’on posera sur sa dépouille ne le ramèneront pas à la vie. C’est fini ! C’est bien fini ! Il ne pourra plus jamais jouir de tous ces honneurs qui lui sont faits à titre posthume. Alors que son corps tout congelé est dans son cercueil ramené du bord de la lagune Ebrié. Il ne verra pas toutes ces personnalités qui défileront devant sa dépouille, pour montrer au monde entier qu’au Zaïre, on sait offrir aux enfants morts pour la patrie de grands enterrements. Mon œil ! Qu’est-ce qu’il en a à foutre d’un grand enterrement, Papa W. Il aurait tellement aimé bénéficié de son vivant, d’un peu plus d’attention de la part de ces  autorités de la république ! Pourquoi attendre que les gens meurent pour enfin leur dresser le tapis rouge ? Accorder quelque intérêt à leurs cadavres ?

Le Bénin ne fait pas mieux !

En ce moment même passe sur les médias une guéguerre née d’une liste de futurs médaillés du service de la douane – toujours eux ; après le concours frauduleux, c’est la médaille frauduleuse –  liste concoctée par l’ancien pouvoir, réception de décorations à titre exceptionnel, où l’on retrouve des personnes n’ayant accompli aucun acte méritant, mais qui auraient été positionnées plutôt selon des critères subjectifs. Ils méritent donc la reconnaissance de la république plus que l’enseignante que je suis qui a formé tant de cadres de ce pays, qui continue de me réveiller à 5h30 pour aller certains jours de la semaine apporter ma contribution pour former les jeunes normaliens, futurs enseignants dans nos établissements secondaire?  Qui a pensé à m’offrir une petite fête le jour de mon départ de la fonction publique le 1er octobre 2015 ? Qui a offert un vieux petit poste radio à mes devanciers ? Qui pense à ma décoration malgré la douzaine d’ouvrages que j’ai déposés au fronton de la littérature béninoise ? Personne ! Et je m’en fiche éperdument. Je continue d’apporter ma pierre à l’édifice de ce pays. Comme beaucoup d’autres le font.  Mais, il faut arrêter la saignée. Trop d’injustices dans une république constituent le terreau des révoltes, que dis-je, des rebellions. Boko Haram n’est pas né autrement.

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Maintenant c’est fini ! Plus rien ne sera comme avant ! Tout se mérite, et toute position privilégiée dans la société désormais doit se mériter. Les vieilles pratiques qui consistent à accorder des faveurs aux parents du village, aux amis, militants, frères en Christ ou en vodoun, compagnons de beuveries et autres luxures doivent prendre fin. Et tous nos compatriotes devront intérioriser les nouvelles pratiques exigées par Le Nouveau départ. Changeons nos caractères pour changer les choses autour de nous. Afin que s’installe dans notre pays l’avènement d’une société nouvelle, où le mérite sera la chose la mieux partagée. Pourquoi devrons-nous passer nos vies à grenouiller, à toujours rechercher la jouissance individuelle, exclusive, pendant que le plus grand nombre vivote ou meurt de faim ? On veut tout pour soi !  Jusqu’aux médailles ! Incroyable… L’incompétence étant érigée en système d’appréciation des cadres, recevoir ces distinctions de la République ne relève souvent pas de la méritocratie. Seuls quelques méritants y ont droit, après un véritable parcours du combattant. Les plus nombreux sont ceux là qui n’ont rien fait d’excellent. Une république où tout se négocie ! Clientélisme, régionalisme, et autres raccourcis sont les seuls critères de désignation. Tchion ! Et sous le Changement Refondation, la décoration se distribuait comme des petits pains et a perdu sa valeur honorifique, puisque tout s’achète, tout se vend. A quel prix ! Seul Dieu et ses anges nous le diront.

Comment fonctionne la Grande Chancellerie ?

J’ai découvert la cour de cette auguste maison le jour où mon vénérable époux, Abiola Noël ALLAGBADA et ses collègues de la 2ème mandature de la HAAC devaient être distingués. Pourtant, ça faisait banalement dix ans qu’ils avaient déposé leur tablier de Conseillers pour les uns, et de Vice Président pour mon cher époux. Je ne comprenais pas pourquoi c’est après dix années que notre pays qu’ils ont servi à ce haut niveau de responsabilité pense à leur prouver sa reconnaissance. Dix ans c’est long dans nos pays où on peut mourir, faute de s’acheter une boîte de nivaquine. Dix ans !  Ah ! Feu Bawa n’a pu avoir le plaisir d’accueillir sur sa poitrine sa médaille achetée à prix d’or par sa famille (cent mille francs, c’est beaucoup d’argent pour sa veuve retraitée depuis des lustres,) et même pour la soixantaine de récipiendaires agglutinés sous le hangar où avait lieu la cérémonie. Et nous parents, amis et autres invités ! C’était la course pour dénicher une chaise à offrir à son arrière train sous quelques arbres éparpillés dans la cour, afin de ne rien rater de la cérémonie. Cérémonie inoubliable dont l’organisation a été dénoncée par Jacques Ayadji, le truculent syndicaliste, le fou du Roi qui ne comprenait pas qu’on puisse demander à quelqu’un que l’Etat veut distinguer de payer sa médaille, la chaise où il va s’asseoir, le photographe, la décoration de l’apatam…. J’en oublie. On est où là ? C’est quoi ça ? C’est quoi cette république où tout se vend et tout s’achète ? J’ai honte pour mon pays qui a fini sa course dans la gadoue. Heureusement que Dieu m’a permis de voir la fin. Ca devait finir, car aucun peuple, aucun pays ne peut vivre indéfiniment dans cette puanteur qui nous enveloppait. On aurait attrapé la gangrène. Seules l’amputation ou la mort  nous aurait délivrés. Et comme aucun peuple ne meurt jamais, il y aurait toujours des rescapés de ce génocide des valeurs patriotiques.

Jacques Ayadji a parlé, mais qu’est-ce qui a changé sur ce plan-là ? Demain mardi 3 mai, on devait organiser encore une grande messe de décorations à l’endroit des douaniers. On dirait qu’on n’aime pas faire correctement les choses dans cette république. On se contente de faire avec, et basta ! Moi, j’ai toujours clamé que jamais je ne débourserai un sou pour acheter une médaille. Et personne, je dis bien personne ne viendra décorer mon cadavre ! J’ai toujours fait mienne cette position de Simone Veil « ne jamais travestir ses convictions », qui en son temps a refusé de faire la politique politicienne pour occuper un poste de décision. Je sais qu’il y a des femmes et des hommes de conviction comme moi. Pas facile « de toujours dire ce que l’on croit et de toujours faire ce que l’on dit », comme le professe Che Guevarra.

Les enseignants et les artistes sont les parents pauvres de la Grande Chancellerie !

La structure n’en est pour rien ! Mais qui pense à nous autres, pauvres enseignants ? Qui pense aux artistes ? Deux métiers où pourrissent des crèves la faim de nos jours. Même si Ferdinand Oyono nous avait décrit dans son ouvrage « Le Vieux nègre et la médaille », la cérémonie de décoration de Méka, le vieux nègre, que le colon blanc avait distingué par une belle médaille, parce qu’il a donné ses terres à la mission catholique et ses fils à la mère patrie France pour lutter contre les nazis durant la première guerre mondiale, aujourd’hui, les artistes sont les oubliés des décorations dans nos républiques. Je me souviens d’une cérémonie fumeuse, organisée par le ministre Galiou Soglo il y a quelques années, où les gens se sont coptés, ont produit une liste basée je ne sais sur quels critères pour recevoir des décorations. Depuis lors, silence radio, plus rien ne bouge de ce côté-là. Mais cela ne démotive guère l’écrivaine que je suis, qui travaille au gré de son inspiration et qui reçoit ses meilleures décorations de la Muse. L’artiste ne s’embarrasse pas de ces affaires qui se déroulent sous les lambris dorés de la république, et qui, la plupart du temps ne répondent jamais aux valeurs qu’il recherche quand il s’enferme dans sa bulle pour créer. Moi, mon plaisir, je le tire du plaisir que j’offre à mes lecteurs. Quand une lectrice me dit au détour d’une conversation : « J’ai commencé ton livre «  Ma vie entre parenthèses » ; j’ai dû m’arrêter à la page 151 pour dormir, sinon je n’aurais pu me lever pour aller travailler ce matin ». Reconnaissez-le avec moi, ça vaut toutes les médailles du monde n’est-ce pas ?

Papa WEMBA le savait que sa musique était appréciée à travers le monde entier. Que tout le monde dansait au rythme de sa rumba, de Kinshassa à Cotonou, de Malabo à Abidjan, en passant par Johanesbourg, Paris, Londres, Washington, Pékin… Papa W. était universel. Il appartenait au monde entier. Que son pays soit fier de son art, fier de posséder un enfant aussi talentueux qui fait danser l’Afrique, que dis-je, qui fait remuer le monde entier, et ne puisse lui manifester quelque haute distinction de son vivant, il n’en avait cure. Quand Aziza s’emparait de lui, sa belle voix montait, montait et montait encore pour nous concocter des chansons dont il a seul le secret. Tous les mélomanes du monde entier continueront de savourer «  Maria Valencia », de tournoyer au son de sa rumba qui elle, ne mourra jamais. Si Joseph Kabila et son gouvernement préfèrent décorer son cadavre, les peuples du monde entier l’ont décoré de mille médailles de son vivant. Sinon, que veut l’artiste ? Une juste reconnaissance de son talent, mais de son vivant, et un peu d’aide  matérielle pour survivre et réaliser des œuvres sublimes qui survivront après lui

Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Ecrivain

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