Rawlings, Sankara et Mandela

Campons le décor. Quelque part au Bénin, sur le campus d’une université. Des jeunes visiblement heureux et curieux de nous voir. L’Afrique comme centre d’intérêt. Certains de ses grands hommes contemporains comme sujet et objet d’échange.

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Incontestablement, l’Afrique habite le cœur de nos jeunes. Ils la vivent comme un livre d’histoire ouvert. Y trouvent-ils des modèles capables de les inspirer et de les édifier ?

De nos échanges, trois grandes figures de l’Afrique contemporaine émergent. D’une part, Jerry Rawlings. Ce   capitaine de l’armée ghanéenne s’était saisi du pouvoir dans les années 70. Il envoya au poteau les anciens dirigeants du pays, militaires pour la plupart. Vite fait. Bien fait. D’autre part, Thomas Sankara. Ce fut, dans les années 80, la figure de proue de la révolution au « Pays des hommes intègres », le Burkina Faso d’aujourd’hui, la Haute-Volta d’hier. Enfin, Nelson Mandela. C’est le père de l’Afrique du Sud post apartheid, l’architecte inspiré de la nation arc-en-ciel.

Ce tiercé qui émerge ne bénéficie pas toujours auprès de nos jeunes d’une connaissance approfondie. Nos jeunes sont davantage attachés à des symboles forts. En somme, ils s’arrêtent aux signes, s’interdisant l’effort nécessaire de recherche pour accéder aux signifiants, pour s’ouvrir le chemin du sens. Leur approche tient plus de l’émotion que de l’intellect. Exactement comme ils le font avec l’immense Bob Marley, objet d’un véritable culte, tous les 11 mai, depuis sa mort en 1981.

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Ainsi, les fans de Jerry Rawlings portent le rêve du « Grand soir ». Allusion à ce grand jour où l’on devra solder les comptes, à défaut de les régler dans un bain de sang général. Statuant sur ceux qu’ils tiennent pour « les fossoyeurs de l’Afrique, » il ne faut pas faire de quartier, pensent-ils. Tous au poteau. Que crépitent donc les armes vengeresses d’une justice sanglante et expéditive.

Les admirateurs du capitaine Thomas Sankara s’inscrivent dans la logique d’une rupture patriotique, à forte connotation nationaliste. L’étranger ne viendra pas construire le pays à notre place. Il est nécessaire de compter d’abord sur nos propres forces. Ce n’est ni juste ni sain de continuer de consommer ce qu’on ne produit pas. Il est essentiel de nous réapproprier notre être profond, en changeant nos habitudes. En somme, changer de vie pour changer la vie et mériter ainsi le respect des autres.

Les zélateurs de Nelson Mandela sont dans le culte permanent d’un modèle exemplaire à tous égards. Cette icône universelle   a passé 27 ans de sa vie dans les geôles de l’apartheid pour que son peule vive libre. Car si Jerry Rawlings, c’est le droit de la force, Thomas Sankara, l’amour du pays, Nelson Mandela, c’est l’amour fait homme, c’est l’humain au cœur d’une vie, c’est la vie, notre vie de tous les jours, en progrès d’humanité.

Quoi tirer comme enseignements de ces visions croisées de jeunes gens et de jeunes filles sur le devenir de l’Afrique et de leur pays, à travers l’exemple de quelques figures charismatiques de l’Afrique contemporaine ?

Il y a, d’abord, la proximité à l’Afrique. Nos jeunes ne sont pas allés chercher leurs modèles en dehors de leur continent catalogué « pauvre », « endetté, » « moins avancé » etc. Comme quoi, on peut être matériellement pauvre et être, cependant, riche de valeurs. C’est dire qu’il y a, en Afrique, l’essentiel de ce qu’il faut pour assurer le développement de l’Afrique.

Il y a, ensuite, le manque de distanciation critique. Les modèles de nos jeunes ne sont pas approchés, dans une perspective d’approfondissement. Ce qu’ils savent de leurs héros respectifs est tout en surface. C’est de l’ordre du général et du banal. Peu de lectures. Presque pas de recherches. Un bouquet de lieux communs. On a tôt fait de basculer dans le culte facile, dans l’adoration plate d’un homme ou d’une femme.

Il y a, enfin, le caractère platonique de la relation au modèle. Qui admire Thomas Sankara par exemple, ne montre pas de disposition particulière à être ou à vivre à l’exemple de Thomas Sankara. Le modèle adulé et adoré reste plus une référence lointaine qu’un repère bien présent sur les chemins d’une vie. Comme s’il n’avait pas la force magnétique nécessaire pour tracter, pour provoquer une adhésion, pour susciter une vocation. Doit-on s’en plaindre ? Joubert nous incite à l’optimisme, car l’espoir est toujours permis.« Au lieu de me plaindre, écrit-il, que la rose a des épines, je me félicite que l’épine est surmontée de roses »

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