Le président Talon a mis au premier plan de son programme les réformes politiques, visant notamment à corriger les excès du régime présidentiel , tels que la décennie du président YAYI les les a mis en lumière.
Dans une précédente chronique (Lntno3268 du mardi 10mai), nous avons discuté du rôle que pouvait jouer la confirmation parlementaire des nominés aux fonctions de responsabilité dans les institutions de contre-pouvoir et la haute administration publique. Dans cette chronique, nous souhaiterions revenir sur certaines institutions de contrôle de l’action gouvernementale, en dehors du parlement dont le rôle est semble-t-il bien connu et accepté-.
De la limitation du rôle de la Cour Constitutionnelle
Le constituant de 1990 semble avoir conçu la cour constitutionnelle comme l’arbitre ultime des différents entre institutions et contre-pouvoirs, ce que semble traduire l’article 114 de la constitution qui dispose :
Art 114–La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction je l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics (souligné par nous).
La pratique de ces dix dernières années notamment, semble avoir fait de la cour constitutionnelle, l’instrument par lequel l’exécutif, « soumet » les autres pouvoirs, notamment législatif, encadre et rogne sur les prérogatives de celui-ci, au travers d’une « complicité » intolérable que le président YAYI semblait vouloir promouvoir. Ainsi a-t-on vu la cour constitutionnelle donner des injonctions au parlement ( y compris des délais de réponse ridicules). La cour constitutionnelle est devenue de facto le « superviseur » des élections( en 2011 et plus modestement en 2016-2017) au lieu d’être simplement le juge du contentieux électoral.
Dans le même temps, sa présence comme garant ultime des libertés individuelles et publiques s’est fait sentir de façon nettement moins vigoureuse, notamment dans les cas d’atteintes aux libertés d’association et de manifestation.
Tout ceci, en plus des nominations de personnalités aux qualifications douteuses, ont sérieusement entamé la crédibilité et l’autorité morale de la cour constitutionnelle qui pourtant est une institution vitale de la démocratie.
Il nous parait judicieux de re-calibrer le rôle de la cour constitutionnelle, notamment en matière électorale, maintenant que la CENA est devenue une institution pérenne ou la présence de différents partis représentés à l’assemblée garantit un certain équilibre. En matière électorale son rôle devrait se limiter à celui de juge du contentieux électoral.
En matière d’arbitrage, et sauf cas de violation de la constitution ou de principes constitutionnels préétablis et consignés dans la constitution, toute réforme de nos institutions devrait viser à rétablir le rôle prééminent du parlement comme source première des lois et limiter la cour constitutionnelle, principalement, au rôle de contrôle de conformité à la constitution. En effet l’article 4 de la constitution prescrit
« Art 4. -Le Peuple exerce sa souveraineté par ses représentants élus (souligné par nous) et par voie de référendum. Les conditions de recours au référendum sont déterminées par la présente Constitution et par une loi organique. «
De la sanction de la mauvaise gouvernance et des crimes économiques
Une des insuffisances les plus criardes de la constitution de 1990 que la pratique des 25 dernières a mis en lumière est son incapacité à définir un cadre et des instruments appropriés pour la sanction de la mauvaise gouvernance à travers notamment la Haute Cour de Justice.
Certes, le pouvoir judiciaire est responsable de la répression des crimes économiques, mais les gouvernants et élus bénéficient à juste titre- de protections particulières qui doivent êtreconciliées avec la nécessaire lutte contre l’impunité.
Au-delà de la création d’une cour des comptes que prescrit l’UMEOA, il nous parait intéressant de s’inspirer de l’expérience de pays africains comme l’Afrique du Sud.
Au nombre des instituions constitutionnelles chargées du contrôle –notamment a posteriori- de l’action gouvernementale figurent le « Public Protector Office » ou « Bureau de Protection du Citoyen » et le « Auditor General Office » ou « Bureau du Vérificateur Général » ou « Bureau de l’Auditeur Général ».
Le président YAYI avait mis en place un Bureau de l’Auditeur Général, lui donnant par décret, des pouvoirs que seule la constitution et une loi organique pouvaient conférer. Ce BAG a été dissous à juste titre par le président Talon. Il nous paraît souhaitable de revoir la mise en place d’une telle structure de contrôle dans le cadre des réformes constitutionnelles. Pour être efficace, une telle structure de contrôle devrait êtreindépendante ( financée par les administrations auditées) et rendant des comptes au législatif et non à l’exécutif responsable des administrations qu’il est chargé de contrôler. Cela permettrait au parlement de transmettre à la justice pour poursuite les crimes et délits détectés lors des audits qui ne seraient plus des armes de chantage aux mains de l’exécutif.
Le « Bureau de Protection du Citoyen » en Afrique du Sud semble avoir plus de pouvoirs que celui du Canada dont il a pu être inspiré. Tel que conçu par la constitution sud-africaine de 1996 et dans sa pratique récente, ce bureau indépendant, peut s’autosaisir de tous les cas de corruption et ou de mauvaise gouvernance. Il peut être saisi par n’importe quel citoyen ayant à se plaindre de l’administration et ou du gouvernement ( y compris local). Ses enquêtes sont publiques et soumises au parlement et peuvent être transmises aux juges pour poursuites. L’exemple récent des affaires de rénovation du domicile de président Zuma donne une idée de la contribution que peut apporter un bureau de protection du citoyen, indépendant, dirigé par des personnes intègres.
Sans nécessairement répliquer les mêmes institutions, il nous semble particulièrement important de fournir aux citoyens les moyens de saisir une institution –autre que le gouvernement- qui est responsable d’enquêter et publier de façon indépendante des rapports d’enquête sur les crimes économiques, mais aussi la mauvaise gouvernance quotidienne. Une institution dotée du pouvoir d’agir en justice pour obtenir condamnation et réparations, y compris à l’encontre des plus hauts dirigeants.
Il va de soi que comme les dirigeants des autres organismes de contre-pouvoirs, les responsables de ces institutions devront être soumis à une confirmation parlementaire à la majoritéqualifiée.
Enfin, on ne saurait terminer le chapitre de la mauvaise gouvernance sans aborder les conditions de l’interruption du mandat présidentiel. De même qu’il nous paraît souhaitable de ne pas limiter le mandat présidentiel à un seul terme, de même il nous semble utile que les présidents élus – tout comme les nominés confirmés dans des fonctions à long terme prédéfinis- sachent qu’ils peuvent être démis s’ils commettent des crimes, des parjures, où se montrent particulièrement ineptes dans l’exercice de fonctions à eux confiées. Des procédures d’ »empêchement » où de destitution nous semblent devoir êtreprévues. Il faut trouver un équilibre entre la nécessité de protéger les institutions, leur fonctionnement et pérennité, et le maintien de la sanction –dans des conditions rigoureuses et selon des procédures prédéfinies, y compris –éventuellement- le référendum d’initiative populaire.
En conclusion. Il nous semble utile de rappeler que si comme le disait le président Obama, l’Afrique a besoin d’institutions fortes et non d’ »hommes forts », notre propre expérience et celles des peuples indiquent que les institutions ne valent que ce que valent les hommes en charge de leur mise en œuvre. Accorder une attention particulière au choix de ceux-ci, à leur intégrité, patriotisme, et talent nous semble la meilleure protection contre les dérives que nous avons vécu ces 25 dernièresannées. Au delà, la veille citoyenne est le premier barrage contre la perversion des institutions et la mauvaise gouvernance
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