Biosécurité et santé publique au Bénin: situation pitoyable, alerte René Ségbènou

Marché à ciel ouvert, le Bénin ne se préoccupe pas suffisamment de la biosécurité et de la santé publique selon René Sègbènou, Président du réseau Jinukun, point focal de la Copagen, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain.

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Dans la seconde partie d’un entretien qu’il a accordé à la Nouvelle Tribune, il fait cas des enjeux de la biosécurité et de santé publique pour son pays. Avec l’avènement des biotechnologies, la biosécurité s’impose comme une préoccupation majeure de santé publique pour les Etats. Pourtant la question, dans plusieurs pays en voie de développement pays comme le Bénin en Afrique de l’ouest ne semblent pas être cernée.

« Quand on dit biosécurité, toute de suite, les gens pensent à la biologie, à des précautions qu’il faut prendre dans les laboratoires, se laver les mains, faire attention à tel produit ou tel autre » constate René Sègbènou, président de Jinukun, un réseau national pour une gestion durable des ressources génétiques au Bénin. « Ce n’est pas de ça qu’il s’agit. La biosécurité est liée au développement de la biotechnologie » rectifie, l’homme averti, fort de plusieurs années d’expériences dans la veille citoyenne en la matière.  

La biosécurité explique-t-il, « Ce sont les précautions qu’on doit prendre pour gérer les risques biotechnologiques et en particulier les risques qui sont liés à la circulation des Organismes génétiquement modifiés (Ogm) ». Rencontré dans un bureau à son domicile à Akpakpa (Cotonou),  il apprend qu’il y a une convention pour la diversité biologique qui est une grande convention signée après celle de Rio 92.  Dans cette convention, «  il a été reconnu que la biotechnologie est une avancée mais autant elle comporte des risques ».

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Et pour cela,  pour accompagner la convention, ils ont développé le protocole de Cartagena qui, rappelle M. Sègbènou, parle de la biosécurité. Malgré l’existence de ce protocole,  déplore-t-il, « l’état de la veille en biosécurité au Bénin est pitoyable… Dans notre pays, actuellement, nous n’avons pas encore de loi sur la biosécurité ». En l’absence de loi, ce qui fait office de cadre de veille au Bénin est défaillant selon lui. « On a mis en place un comité national de biosécurité qui ne fonctionne pas. Les gens qui y sont ne sont pas aguerris aux questions qui se posent lorsqu’on parle des risques de biosécurité » fait-il savoir.

Biosécurité, le vaste champ

Au-delà de l’aspect biologique qui saute à l’œil, la biosécurité a des implications politiques, économiques, sociales, éthiques et culturelles à ne pas négliger selon René Sègbènou. « La biosécurité est une question hautement politique. Pour sécuriser la santé publique, l’environnement dans un pays comme dans le monde, il faut qu’il y ait une décision politique, que les gouvernants acceptent de jouer leur partition. Ils doivent être l’instrument qui va permettre de vraiment protéger la santé publique et l’environnement pour nous tous » a-t-il martelé. Ayant compris cet aspect de la chose, les firmes de production et de commercialisation des Ogm signale M ; Sègbènou, prennent aussi la précaution d’avoir de leur côté les décideurs politiques : « Ils font de telle sorte que les autorités politiques donnent des approbations  publiques. C’est plus que du lobby, c’est de la manipulation ». Et ce n’est pas tout,  ces firmes, a-t-il dit, font tout pour infiltrer les structures qui doivent décider de l’introduction des Ogm dans un pays. En fait, il relève que  « Ceux qui ont investi pour produire des produits ne veulent pas voir leurs produits mis de côté.  Leur souci  c’est de voir ça  sur le marché. Donc ils vont tout faire pour la Dose journalière acceptable (Dja)  permettant d’admettre l’utilisation d’un produit soit calculée de manière à les arranger ».  A ce niveau, intervient un autre aspect de la biosécurité, l’économie.  « C’est aussi une affaire économique. Quand un Ogm est fabriqué, on met un brevet là-dessus à des fins commerciales.  Ils vont tout faire pour que ce qu’ils ont fabriqué puisse leur rapporter » explique le vieil homme au parfum des faits. Dans ce shéma fait-il savoir, « ce n’est pas la santé publique qui les préoccupe ».  La situation à l’en croire est « grave »   et « Aujourd’hui, celui qui dit que son Ogm est bon, c’est celui qui l’a fabriqué. C’est celui qui a fabriqué son Ogm qui teste son Ogm et vient vous dire que c’est bon ».  Dans un tel conteste, il n’y a pas à se leurrer, selon lui, « on ne peut pas préserver la santé publique comme ça ». Ce volet quand il n’est pas bien suivi, engendre des pertes énormes comme c’est le cas au Burkina Faso où l’on réclame près de 50 milliards Cfa à la firme Monsanto pour les pertes enregistrées en 10 ans de culture de coton Bt.  

A propos de l’aspect social de la biosécurité, le point focal de la Copagen indique  que  tous les citoyens, les consommateurs, les producteurs locaux   sont concernés et doivent normalement avoir leur mot à dire dans la prise de décision d’introduction ou non d’un Ogm dans  leur  pays. Cela,  rappelle-t-il le protocole de Cartagena sur la biosécurité l’inscrit en lettre capitale. Mais hélas ! « Malheureusement, les populations ne sont pas souvent informées ». Quant au volet éthique, cela  concerne l’intégrité des acteurs impliqués dans la biosécurité. « C’est un problème éthique. Lorsque Monsanto veut introduire son Ogm, ce qui le préoccupe, c’est comment gagner de l’argent. A ce niveau, il n’y a pas l’éthique. Il faut que les gens qui doivent négocier avec les firmes aient une certaine éthique. Tant qu’ils ne négocieront pas pour l’intérêt général de leur pays, il y a un problème. On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque cadre ou expert qu’un Etat  commet pour discuter des Ogm avec les firmes.  On ne va pas mettre un gendarme derrière les chercheurs pour qu’ils disent la vérité. Malheureusement, on peut corrompre tout le monde y compris les chercheurs, les politiques. L’éthique doit être aussi du côté des populations. Nous consommateurs, nous devons être exigeants.  On se jette sur des aliments, on mange sans chercher à savoir s’il y a des résidus dedans » a-t-il dit à ce propos.

Que faire ?

Au regard de ce que représente la biosécurité, il recommande que l’Etat béninois prenne le sujet à bras le corps. « Le politique  doit afficher une  ferme volonté par rapport aux risques biotechnologiques. L’Etat doit mettre les moyens financiers, les moyens matériels, les moyens humains, les structures adéquates » recommande M. Sègbènou. Il estime  qu’un Etat souverain devrait procéder à la contre-expertise de tout produit qu’une firme lui propose avant de l’adopter.  Dans ce combat, il propose que l’Etat mette sur pied une structure  multidimensionnelle devant impliquer plusieurs acteurs selon leur compétence. Sans quoi, prévient René Sègbènou, la santé publique est fortement en danger.

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