Combatif malgré le poids de l’âge, René Sègbènou, président de Jinukun, est connu au Bénin, pour son militantisme contre les OGM, mais pour la biodiversité et la biosécurité.
Dans cet entretien qu’il a accordé à la Nouvelle Tribune le lundi 27 juin dernier, il donne l’alerte sur le danger de la culture du Coton Bt, un coton génétiquement modifié qui a ruiné le Burkina Faso, où la Sofitex réclame à Monsanto, 48 milliards de dommages économiques sans compter les dommages à la santé publique et l’environnement.
René Sègbènou, pourriez-vous, vous présentez davantage à nos lecteurs ?
René Sègbènou, je suis le président de Jinukun, réseau national pour une gestion durable des ressources génétiques. Nous sommes aussi le point focal de la Copagen, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain. A ce titre, nous travaillons pour la promotion de la diversité biologique et nous sommes connus au Bénin comme une organisation qui lutte contre l’introduction des Ogm dans l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Le Bénin est actuellement en pleine campagne cotonnière. Récemment, nous avons eu l’écho de l’échec d’une variante de coton-Ogm, le coton Bt, dont la culture a provoqué des grincements de dents au Burkina Faso. Qu’en est-il réellement ?
Un Ogm est un organisme génétiquement modifié. C’est une plante, un animal ou un micro-organisme, auquel on a rajouté ou retiré un gène pour exprimer un caractère particulier. Le coton Bt dont on parle au Burkina est un bon exemple. Le Coton Bt (Bacillus thuringensis) est un coton qu’on a modifié pour qu’il produise la toxine du Bt. Cette toxine venant d’une bactérie qu’on a identifiée dans le sol, peut attaquer les ravageurs du coton. Ainsi, en poussant, le coton modifié produit, dans ses racines, tiges et feuilles, la même toxine Bt, pour tuer les ravageurs qui l’attaqueraient. Voilà ce qu’est le coton Bt. Evidemment quand on entend ça, on se dit que c’est une prouesse, parce que le coton est une plante qu’on traite six fois avant qu’il n’arrive à maturité. Alors, Ceux qui ont fabriqué ce coton Bt ont annoncé : »avec notre produit on va traiter moins ». Au Burkina-Faso, ils ont dit qu’il y aura économie de quatre traitements. Donc au lieu de six, il va y avoir deux traitements. Deuxièmement ils ont dit qu’avec le coton Bt le rendement va augmenter de 30% par rapport au coton conventionnel. Voilà les bases sur lesquelles ils sont partis. On a introduit ce coton au Burkina-Faso après entente que la Sofitex et les sociétés cotonnières du pays vont modifier les variétés de coton qu’ils produisaient pour obtenir les résultats indiqués. Mais, dans la réalité ils n’ont pas eu ce qui était prévu. Les traitements qui devraient être réduits n’ont pu l’être. Il y a eu apparition d’autres ravageurs et les paysans ont été obligés de traiter plus. Au lieu d’avoir deux traitements ils en ont eu quatre. Ils ont dit que le rendement va augmenter de 30% mais le rendement n’a pas augmenté. Il y a eu maximum 13%, en moyenne comparé au coton conventionnel. La fibre du coton Bt est plus courte que celle du coton conventionnel. Donc le coton Bt s’est révélé de moindre qualité que le coton conventionnel et le Burkina-Faso, qui était le premier dans la sous-région pour la production du coton, s’est retrouvé au dernier rang à cause de la dégradation de la qualité de son coton. Ils l’ont vendu moins chère et il est moins demandé.
Le Burkina est un voisin du Bénin. Nous sommes en pleine campagne cotonnière au Bénin. Est-ce- qu’il y a un risque d’introduction de ce coton au Bénin ?
Non. Il faut dire qu’officiellement on ne peut pas introduire la culture du coton Bt ou n’importe quel coton génétiquement modifié au Bénin.
Pourquoi ?
Parce qu’avant d’introduire un coton génétiquement modifié en culture au Bénin, on doit avoir en place une réglementation. Disons la loi biosécurité. Cette loi est justement là pour organiser et vérifier si le coton qu’on veut introduire, si la plante ou la semence ne comporte pas de danger ou n’est pas nuisible pour la santé publique et l’environnement. Donc il faut vérifier tout ça or là où nous sommes aujourd’hui le Bénin n’a aucune loi biosécurité. Il n’y a aucune règlementation en place pour gérer l’introduction des Ogm au Bénin. Mais si d’aventure quelqu’un introduisait un Ogm à la culture, on pourrait l’attaquer au tribunal. Nous, nous sommes d’ailleurs prêts. Si jamais on apprend qu’on a introduit la culture du coton Bt au Bénin on va porter plainte contre l’institution même si c’est l’Etat, parce qu’il aura enfreint la loi.
Mais puisqu’il n’y a pas une loi qui encadre l’introduction des Ogm au Bénin, est-ce qu’il n’y a pas un vide juridique qui pourrait profiter à ceux qui s’y adonneraient ?
Il y a un vide juridique, mais malgré cela, on ne peut pas. En fait c’est ce qui s’est passé au Burkina-Faso lorsqu’ils ont introduit le coton Bt. Il n’y avait pas de loi biosécurité en place, mais les américains ont vite compris qu’ils étaient en infraction. Et donc, ils se sont organisés pour faire une loi de circonstance pour se couvrir, faire entériner ce qu’ils ont fait. Si jamais cela se passait ici, puisque nous sommes déjà alertés, on n’attendrait même pas, on va porter plainte aussitôt.
Comment pourrez-vous alors constater la présence de ce coton Bt, comment sauriez-vous si ce coton est introduit au Bénin ?
Si on veut introduire la culture du coton transgénique au Bénin, ça ne sera pas sur 10 m2 ou un hectare. Ça veut dire que le Bénin ou la structure qui gère le coton l‘aura officiellement décidé. Du coup, il faut prendre des dispositions : approvisionner les producteurs en semence et autres intrants, les former à la production, etc. Donc ça ne peut pas passer inaperçu. Sauf à une seule condition. Un producteur béninois peut aller au Burkina-Faso trouver la semence, prendre et essayer. Mais ça aussi c’est dangereux, parce que ça peut provoquer la pollution génétique. Ce coton, s’il est produit effectivement, peut contaminer d’autres cotons à proximité. Nous avons informé les paysans de ce risque, surtout les producteurs de coton biologique.
Au cours d’une conférence récemment vous aviez alerté sur l’existence d’un lobby qui œuvre à l’introduction du coton Bt au Bénin. Quelle est la situation ?
Lorsqu’on a introduit le coton Bt au Burkina-Faso, les Américains, avec la firme Monsanto comme fer de lance, voulaient à partir du Burkina-Faso effectivement atteindre les autres pays de l’Afrique de l’Ouest. Et pour ce faire, ils ont commencé par inviter les décideurs, les producteurs des autres pays à venir visiter l’expérience du Burkina-Faso. Donc c’était une tentative pour pouvoir dire aux autres : voilà le coton Bt a réussi, vous aussi vous pouvez faire de même chez vous. Malheureusement pour eux, le président de la Fédération des Unions de producteurs (FUPRO-Bénin) qu’ils ont emmené au Burkina Faso, a révélé au cours d’une réunion en février 2008, devant le Prof. Séré, acteur principal de l’introduction du coton Bt au Burkina Faso, que les paysans burkinabè n’étaient pas enchantés de la production du coton Bt. Il a dit : « Monsieur le Professeur, ce que vous dites, ce n’est pas ce que nous avons observé sur le terrain ». Par contre notre point focal biosécurité, lui aussi emmené au Burkina Faso, s’est mis à chanter à tue-tête les louanges du coton Bt, au point d’inviter le Bénin à l’adopter contrairement à la déontologie de sa fonction. Donc il y avait ces tentatives-là. Pourtant les études faites par l’Association Interprofessionnelle du Coton du Burkina, prouvaient déjà que le coton Bt ne marchait pas. Donc ils mentaient, en faisant croire le contraire, parce qu’ils voulaient à tout prix introduire ce coton Bt dans la sous région.
Cette tentative d’introduction du coton Bt au Bénin a échoué. Peut-on dire que la menace est passée ?
Là où nous sommes aujourd’hui notre gouvernement n’a pas encore pris la décision d’introduire la culture du coton Bt au Bénin. Mais nous ne sommes pas à l’abri puisque les lobbies sont toujours là et vont toujours essayer. Ce qu’il faut aussi savoir c’est que Monsanto qui veut absolument introduire les Ogm dans la sous-région a de gros moyens et n’arrête pas. La menace est toujours là.
Puisque la menace demeure et que vous êtes dans une dynamique d’alerter, de prévenir, pourriez-vous, nous donner en terme de chiffres les dommages que l’introduction du coton Bt a causés au Burkina à partir du rapport que vous avez sous la main ?
Je peux vous donner quelques chiffres. D’abord, ils ont prévu que le rendement va augmenter de 30% mais en fait, le rendement n’a pas augmenté de 30%. Sur 10 ans, la moyenne c’est 13%. Le rendement le plus élevé qu’on a enregistré c’est 18%. La fibre du coton Bt est de mauvaise qualité et la qualité du coton a baissé. Les gens n’ont plus vendu le coton au niveau où ils le vendaient, sur le marché international. Alors la Sofitex et les autres sociétés cotonnières du Burkina-Faso ont calculé ce qu’ils perdaient chaque année et à la fin des 10 années de production du coton Bt, ils ont fait leurs comptes et ils ont perdu environ 48 milliards de F cfa. En conséquence, non seulement ils ont dit qu’ils ne vont plus produire le coton Bt, mais ils réclament à Monsanto de leurs rembourser les 48 milliards qu’ils ont perdus.
C’est énorme 48 milliards ! En dehors de ce chiffre en terme d’argent, vous avez parlé récemment lors d’une conférence de presse, de dommages collatéraux chez des paysans. Est-ce que vous voulez rapidement rappeler ça à nos lecteurs ?
En fait il y a eu aussi d’autres dommages en dehors des dommages économiques. Vous savez qu’on peut utiliser les graines de coton pour faire de l’huile à la consommation, pour faire du tourteau pour nourrir les animaux. Ils ont fait une étude qui a conclu que c’était « peu dangereux », une appréciation bien vague pour l’enjeu que représente la santé publique. En ce qui concerne l’environnement, c’est la même chose. Ils n’ont pas conclu que le coton n’a pas d’impact négatif sur l’environnement. Je n’ai pas d’étude vraiment faite sur la question, mais les paysans ont noté que les abeilles étaient désormais rares dans leur environnement et certains ont noté que les animaux qui broutaient les feuilles de coton Bt mourraient par la suite. Mais Monsanto et la Sofitex ne l’ont pas reconnu. Donc là où nous sommes aujourd’hui, on peut dire qu’il y a eu des dommages, mais ces dommages, ont besoin d’être encore étudiés. C’est pourquoi, au Burkina Faso, le Collectif Citoyen pour l’Agro-écologie (CCAE) demande qu’il y ait un moratoire d’au moins 10 ans sur les Omg, pour leur permettre de prendre le temps d’étudier tous les impacts qu’il pourrait y avoir.
Compte tenu de tout ce que vous venez de nous dire, quel appel ou quel message avez-vous à lancer aux autorités par rapport à la culture du coton au Bénin ?
Alors, ce qui est clair maintenant est que l’échec du coton Bt au Burkina Faso nous dit que ce n’est pas une solution à adopter. Ils l’ont adopté, ils l’ont expérimenté; cela a échoué; on a vu tous les dommages causés et eux ils disent là-bas qu’on l’abandonne. Je ne pense pas que c’est au moment où on abandonne le coton Bt au Burkina Faso qu’on va l’introduire au Bénin et j’espère que les décideurs politiques de chez nous vont prendre conscience de la responsabilité qui leur incombe.
Au Nigéria, il n’y a pas longtemps, il y a eu une conférence sur « Bonne Gouvernance: la loi biosécurité du Nigeria, les OGM et leur implication pour le Nigeria et l’Afrique« . Dans leur déclaration, voici ce qu’ils ont dit : « Nous implorons nos décideurs politiques d’apprendre de l’expérience du Burkina Faso et de tant d’autres pays qui sont en train de rejeter les Ogm et leur mauvaise nouvelle de développement agricole. Nous maintenons que la souveraineté alimentaire du Nigéria repose sur un investissement agressif dans l’agriculture pour renforcer le pouvoir des paysans et producteurs pratiquant l’agro-écologie qui est durable et favorable à l’environnement ». Voyez-vous ? Même le Nigéria à côté, ils invitent tous les pays à renoncer aux OGM. Donc, il y a un grand danger aujourd’hui et ce que nous préconisons c’est d’adopter la production de coton biologique sans intrants chimiques de synthèse, sans fertilisants chimiques de synthèse. On ne pollue pas l’environnement et on gagne plus.
Sans intrants chimiques, sans fertilisants de synthèse, quelles sont les chances de succès de ce coton biologique dont vous parlez ?
On produit déjà du coton biologique au Bénin; mais ce n’est pas une décision politique de l’Etat. Ce sont les privés, c’est une Ong suisse qu’on appelle Helvetas qui appuie la production du coton biologique au Bénin. Sur le marché, le coton biologique coûte environ deux fois le prix du coton conventionnel. Donc nous pensons que si on veut prendre une décision raisonnable qui permet à notre pays de gagner, c’est ce créneau que nous devons saisir. Nous devons essayer de développer le coton biologique qui en même temps nous favorise, nous met dans un créneau de prix intéressant, préserve l’environnement, la santé publique et fait gagner beaucoup plus aux producteurs.
Réalisation : Olivier Ribouis & Hugh Dato
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