Olympe Bhêly-Quenum : Hommage au président Zinsou

J’ai connu le Docteur Emile Zinsou dont les déplacements à bicyclette à Cotonou ont marqué les gens de ma génération; sur le guidon était posée une chicotte en lanière de bœuf ; je ne  l’avais jamais vu s’en servir mais les loustics qui couraient derrière les cyclistes ne l’importunaient pas.

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C’était chez les KPAKPO  que je le rencontrai pour la première fois ; Madame Kpakpo avait des liens solides avec la famille QUENUM et j’aimais rendre visite au couple de personnalités qu’étaient les Kpakpo ; Wally Badarou confirmait récemment : « Gilbert Kpakpo Amadote, premier maire de Cotonou, et Justine Germa (épouse Kpakpo), étaient mes grands-parents maternels, et en effet très proches des familles Zinsou et Quenum.»   

Sa grand-mère, en m’accueillant, m’appela « daákpè  » ; Doto Zinsou (communément appelé Lolo) dit avec un discret sourire en coin : « N’ kàn xwé byó  » ; sans ciller, je donnai la réplique : « Xwé o dò dagbè.  » Monsieur Kpakpo se pinça le nez en étouffant un rire ; sa femme précisa au taquin : « Olympe est un des enfants de mon « atagan Paul Kpossy Gbêly Quenum.»

Professeur René Zinsou, père de Lionel Zinsou, était un de mes camarades à l’Ecole régionale de Gbéto (à Cotonou) ; à l’occasion de sa visite à Garrigues-Sainte-Eulalie, je lui ai offert la copie d’une photo de mes archives ; il y identifia : Emile Derlin ZINSOU BODÉ – son père -,  Jacob ADEGOUN, célèbre Directeur de l’Ecole régionale de Ouidah ainsi que Paul KPOSSY GBÊLY QUENUM, mon père et déclara : « ils formaient à Ouidah un  trio inséparable. »

Pourquoi ces précisions et ces détails ? Pourquoi, des temps immémoriaux, les faire-part n’oublient jamais « les familles alliées et amies.» ? Les  détails dans cet hommage illustrent les souvenirs et la loyauté des contacts ; d’autre part, comme dans La Bible et chez Homère les filiations patrilinéaires ou matrilinéaires servent de fil d’Ariane, les précisions, ici, permettent de voir autrement l’illustre fils du Bénin qui nous a quittés.

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Disparu de la vie dahoméenne en 1948, c’est en France que j’ai  rencontré mon aîné, pas le médecin, mais l’homme politique ; hôte d’un ami à une conférence du Cercle de l’Union interalliée, je le revis ; en le saluant, d’emblée, il me gratifia de « daákpè »,  sourit, me donna sa carte de visite et dit : « n’oublie pas de m’appeler. »  Deux semaines plus tard je lui rendis visite dans ses beaux appartements du 16 arrondissement, il évoqua des souvenirs, m’autorisa à le « tutoyer comme tu le fais avec tes grands frères…. »

Un léger raclement dans sa gorge suivi d’un discret coup de patte vers Maga me fit aller plus loin : « Maga, Apithy, Ahomadégbé et Ahouanmènou sont aussi des aînés qui m’ont pris en amitié ; les liens entre Apithy, Michel Ahouanmènou et moi étaient d’un autre ordre. » Il s’en doutait, passa à un autre sujet et s’enquit : « qu’en est-il de REGACO après ton départ ?»

J’ignorais qu’il connaissait cette association culturelle de jeunes Dahoméens qui jouaient des pièces de Molière, Courteline, Feydeau, Labiche, etc. les couples  de personnalités telles que Hazoumè, Nikoué, Lalou , Kpapo, Agbo Albert), Gracien Vieyra (père de Rosine Soglo), Santos, d’Almeida (Casimir), Gaston Nègre  et beaucoup d’autres assistaient aux représentations ; quand on nous traitait d’akòwe , ou nous accusait  de « faire les yovo en ne jouant que des pièces des Blancs », REGACO consacra une soirée à un groupe d’AVOGAN ; le cinéma Palladium (propriété du père de Franck LAHAMI) déborda dans les rues. Le mois suivant, venant du Togo, le groupe CANTATA ( Back adapté en mina) mit en liesse Cotonou grossi des foules venues d’Abomey,  Ouidah, Porto-Novo, etc.

Disert, nuancé, finesse, ruses, tacts, des dictons en fon qui valent bien des litotes en grec, Emile Derlin Zinsou, homme politique commentant les initiatives de REGACO lâcha à propos des jeunes qui dansaient aux sons d’Avogan : « Ein bo…wé do avo mè.  »

Je pouffais quand, pince sans rire, il fit une sinueuse allusion à Paul Hazoumè ; subodorant qu’il savait -sans aucun doute par ce dernier lui-même ce qu’il voulait savoir de ma part, je parlai de ma rencontre au Jardin du Luxembourg avec l’auteur de Doguicimi ; c’était en 1949 ; ami de mon père, il m’informa qu’au Sénat, Gaston Monnerville avait proposé le transfert des cendres de Félix ÉBOUÉ et de Victor SCHOELCHER au Panthéon et qu’il était le « rapporteur de cette initiative.»

Arrivé en France en 1948, j’ignorais tout de ce dont il s’agissait mais l’illustre « Rapporteur » voulait que j’assiste « à un événement singulier que tu ne verras plus jamais de ta vie, il faudra que de ma part tu en rendes compte à ton père. »

Je vivais en Normandie et devais y retourner dans deux jours, mais il m’imposait sa volonté ! Je détestais déjà ce procédé ; comme il s’agissait aussi de rendre compte à mon père et que je ne refusais rien à mes parents, je cédai ; il demanda l’adresse de l’hôtel où j’étais ; le lendemain il vint me chercher, un chauffeur Blanc au volent de sa belle voiture ;  déjeuner – briefing dans un grand restaurant de la rue de Grenelle.

Trois jours plus tard, j’étais dans la foule qui suivait les cercueils contenant les cendres de Félix ÉBOUÉ et de Victor SCHOELCHER au Panthéon.

L’air ému, me regardant comme s’il ne m’avait jamais vu, Fofo Emile Derlin Zinsou : dit d’une voix très posée : « tu as été témoin d’un cas unique ; homme de culture, d’une érudition rare quand il parle du Dahomey, Paul Hazoumè t’a confié une sorte d’héritage qu’il ne faudrait pas garder pour toi seul.»

Il y eut d’autres contacts, des visites à son domicile parisien où il évoqua des souvenirs de Maximilien Quenum , mon oncle à qui il avait consacré une émouvante nécrologie dans le magazine Jeune Afrique  ; nous nous retrouvions nez à nez dans des conférences et je savourais ses plaisanteries; ministre des Affaires étrangères, le point sur la situation au Dahomey devait le mettre face à l’Association des journalistes d’Outre Mer ; Pierre Chauleur en était le Président et moi, vice -Président ; lui absent, j’assumais mes responsabilités ; le feu croisé des questions parfois cruelles mettait le ministre  en difficulté; dès le soir il me téléphona et dit très calmement : « tu m’as livré, pas un mot pour me protéger, tu ne m’aimes pas ? » « Bien sûr que je t’aime et t’admire mais…journaliste, je suis sans état d’âme et puis, vice président, avant tout Dahoméen, de quoi aurais-je l’air ? »

Lui ne se fit pas prier quand le ministre de l’Education nationale de la République du Dahomey posait une dalle sur ma candidature à un poste à l’Unesco. Fondateur, avec ma femme, du magazine bilingue L’Afrique Actuelle » que je dirigeais, mes compétences de journaliste étaient appréciées dans certains secteurs de l’organisation internationale, j’y couvrais des séances pour L’Afrique Actuelle, d’autres publications payaient mes piges. Hubert Maga, L.S.Senghor et Gaston Palewski (Président du Conseil constitutionnel ) soutenaient cette candidature envoyée depuis deux ans au siège de l’Organisation et au ministre de l’Education nationale du Dahomey ; mon père dans une lettre voulait savoir où j’en étais avec l’Unesco ; je lui envoyai un télégramme : « le Dahomey semble avoir enterré ma candidature. »

Un appel téléphonique de la terre natale me fit entendre : « daákpè devenu grand écrivain, ton père m’a montré ton télégramme, qu’est-ce qui se passe ? » J’exposai le cas ; un mois plus tard, je reçus une lettre de la part de Monsieur le Directeur général de l’UNESCO et le processus démarra. J’en informai « Très cher Fofo Emile Zinsou… »  

Mon ultime contact avec cet aîné, Grand d’Homme d’Etat, Grand Béninois imprégné de l’essence même de la terre natale, immense homme de culture internationalement très apprécié eut lieu en 2004 ; c’était à Ouagadoudou, au X è Sommet de la Francophonie : un des invités personnels du Président Abdou DIOUF alors Secrétaire général de cette Organisation, le Protocole s’enquit si j’y serais seul ; je précisai que mon épouse aussi y serait.   

Au banquet où chacun prenait son assiette et allait se servir, quelqu’un posa la main sur mon épaule ; je tournai la tête, il eut un doux petit rire gloussant et je dis : « les anciens devant, les cadets derrière. »

«Me mettre devant un « daákpè que diraient les ancêtres ? ».

Je l’aurai cherché ; j’emboîtais le pas à Maryvonne ; l’ex- Président de République du Dahomey me parlait derrière moi; Guy Penne (ex-Monsieur Afrique du Président Mitterrand) m’aperçut, leva la main, quitta la table où il était avec ses amis, vint me donner les accolades fraternelles et salua l’ex-Président du Dahomey ; quand il rejoignait sa place, l’aîné susurra à mon oreille : « ton réseau est extraordinaire, tu es à ton aise partout » ; « je n’en fais ni mystère, ni un fonds de commerce. »

« Je le sais », dit-il.

Bras levé, un autre Français bon teint me saluait en m’invitant à sa table. Ma préférence était l’exceptionnel aîné ; il avait sa table, Maryvonne et moi la nôtre ; fin astucieux, il nous emmena à une autre table; des invités m’y reconnaissaient ; je restais discret mais, petit sourire aux lèvres, il m’observait du coin de l’œil ; de temps à autre, dans le brouhaha de ce banquet francophone, fusait de lui, à voix très basse et en fon, notre langue maternelle, des proverbes, dictons ou simples mots. Intense jubilation dans mon tréfonds tandis qu’il ignorait tout de ce qu’il me donnait. C’était aussi un trait de sa générosité insigne.  

Très cher illustre aîné, cet hommage aurait pu être une prosopopée maintenant que tu es là où l’on ne meurt point parce que la vie continue ; j’ai préféré l’esquisse d’un portrait, voire, camper un personnage, le faire voir ou percevoir et sentir autrement. Ai-je réussi ? Peu importe, j’ai aimé ce personnage. Adieu ? Que non ! J’adore les retrouvailles et je dis :

AU REVOIR FOFO EMILE DERLIN ZINSOU

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