Enquête sur le drame de Tori-Avamè: Les dessous d’une manipulation criminelle de produits avariés

A Avamè, commune de Tori-Bossito, à plus de 20 km de Cotonou, plusieurs personnes sont décédées et de nombreux autres blessées à la chasse de produits avariés sur un site d’incinération. Comment s’est produit ce drame survenu jeudi 08 septembre ? Quelles sont les insuffisances relevées dans la conduite de l’opération ? Qui sont les personnes mises en cause ? Enquête de la Rédaction.

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Village Massetomè, arrondissement de Tori-Avamè, commune de Tori-Bosito, département de l’Atlantique. 11h50 min, ce mardi 13 septembre 2016. 5 jours après le drame d’une centaine de personnes brûlées à la recherche de farine de blé avariée, l’horreur était encore perceptible. Sur le site d’incinération des produits avariés de l’Africaine des manutentions et assainissement (Ama-Sarl), la société de M. Aïzoun Janvier Sèmèvo qui s’occupe de l’opération d’enfouissement et de destruction de produits impropres à la consommation, les stigmates de la tragédie sont encore visibles dans une atmosphère d’exhalaison méphitique de produits toxiques. Des restes de pagnes, foulards et autres vêtements brûlés, chaussures abandonnées, le sol visiblement rudoyé et autres éléments donnent un aperçu du tourment qui s’y est produit. Large et profonde d’environ une dizaine de mètres, la fosse de la mort dégage encore une fumée âcre et contient encore des restes de sacs de farine de blé avariée. Sur le site devenu tristement célèbre, quelques curieux aperçus après le départ d’une délégation composée du préfet et des maires de l’Atlantique, lancent toute sorte de mots de stupeur, s’interrogeant sur ce qui a pu se passer dans ce coin perdu jonché de fosses habituées à recevoir des produits nuisibles à la santé humaine.

Au milieu d’eux, un gendarme témoin des faits et un rescapé revenu sur les lieux donnent leurs versions pour que se sache la vérité sur le drame qui tient en émoi toute la commune de Tori-Bossito et tout le pays.

Comment le drame s’est produit

Il sonnait environ 17 heures jeudi 08 septembre quand le drame s’est produit. Du recoupement des récits du gendarme témoin des faits, de M. Aïzoun Janvier Sèmèvo, et du jeune cultivateur rescapé, le site a été envahi par une multitude de gens sortis de la brousse environnante après le départ de quelques-uns des responsables de l’opération à la fin des premières flammes consumant les produits disposés dans la fosse.

« Nous étions là sans savoir que les gens guettaient et ils ont accouru de leur cachette pour chercher les sacs dans la fosse » raconte le gendarme ajoutant qu’il n’y avait pas moyen de contrôler la foule sur le vaste espace sans clôture.

« Il y avait vraiment du monde » confirme le rescapé qui apprend que les villageois de Tori-Avamè et des localités environnantes sont toujours informés de bouche à oreille de l’arrivée de ce qu’ils appellent « Agban » -les marchandises- en langue locale. Contrairement aux rumeurs parlant d’une étrange détonation des forces de sécurité, les explications font état de ce que les personnes brûlées l’ont été par la farine chaude et des flammes s’élevant du contact de la braise et des sacs de farine aspergés d’un mélange d’essence et de pétrole. Selon le jeune rescapé regrettant n’avoir pas vu les députés ou autre autorité à qui il dirait toute la vérité, ce qui a accentué l’ampleur du drame, c’est que, provoquant des bousculades, les civils recrutés pour assurer la sécurité du site se sont aussi lancés dans la chasse aux sacs de farine avariée ayant échappé aux premières flammes. « J’étais dans la fosse. Les premières flammes avaient consumé partiellement la décharge. J’ai retiré 6 sacs entiers et les agents de sécurité m’empêchaient de les sortir parce qu’ils se réservaient ça. Je leur ai promis trois… Et j’ai pu sortir mes six sacs avant de retourner dans la fosse » témoigne-t-il, montrant du bout des doigts les traces encore visibles de ses pas de pieds sur une partie de la fosse à laquelle il s’était agrippé pour sortir ses sacs. A l’intérieur de la fosse ardente, a-t-il dit, il y avait trop de mouvements et des flammes s’élevaient quand par mégarde, certains brisaient des sacs aspergés d’essence et de pétrole au contact de la braise. Ce jeune homme d’environ 25 ans affirme être celui qui a sorti la première victime, une femme gravement brûlée qu’il a filmée dans un état de douleur atroce. Officiellement, le bilan qui ne cesse de s’alourdir en perte de vie humaine fait état de plus de 16 morts, 92 blessés dont plusieurs cas graves à la date du 13 septembre. Un bilan qui serait plus lourd selon les témoignages sur des cas de blessés honteux se cachant pour ne pas être comptés parmi les chasseurs de farine avariée. A Tori-Avamè presque toutes les familles sont éplorées.  On déplore la mort de mères et enfants, de femmes enceintes, de frères, de cousins, tantes, oncles… C’est le cas de Hilaire Touko, chef du village Houngo situé à près d’une dizaine de kilomètres du lieu du drame. La trentaine, il déplore près de 50 victimes dont 6 morts. Parmi ses morts, se trouvent son enfant, sa femme enceinte de jumeaux, l’un de ses deux frères jumeaux brûlés, une cousine. Rencontré à son domicile, l’infortuné est dépassé et ne sait à quel saint se vouer. A-t-il confié, ses parents cultivant leurs champs à quelques encablures du site d’incinération n’avaient pas l’habitude des produits avariés et il ne comprend pas comment ils ont été entraînés dans le drame.

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Manipulations criminelles de produits avariés

N’eut été le drame de ce jeudi 08 septembre, Tori-Avamè continuerait à être le centre névralgique d’une activité hautement dangereuse aux conséquences lourdes pour tout le pays. Des témoignages concordants de plusieurs personnes dont les autorités communales font état d’un déversement des produits avariés de toutes sortes dont des sacs de riz, des ailerons et autres produits carnés, du vin, issus de ce site d’Avamè dans les marchés de Tori, Ouèdo, Glo-Djigbé, Cococodji, Pahou et même à Cotonou où ils sont vendus à des prix dérisoires. Des personnes insoupçonnées y prennent part. Un conseiller local du village Gbédjou, agglomération de Gbado, est cité parmi les victimes. Une autre victime comptant parmi les personnes aisées de Zinvié, a-t-on appris de source digne de foi, a été brûlé au sexe. Le jeune rescapé accuse aussi les responsables d’Ama Sarl. «Le propriétaire des produits était sur les lieux. Ils ont mis le feu qui a brûlé tout autour de la fosse. Ils ont enregistré le début de la consumation et le propriétaire est parti. Après, le promoteur du site est revenu et a sollicité des agents de sécurité civile qui sont rentrés dans les fosses pour retirer des sacs de farine. Même le frère du promoteur rentrait dans la fosse et retirait des sacs de blé qu’il se chargeait sur la tête », apprend le jeune homme. Une allégation entièrement niée par le Directeur général d’Ama-Sarl. «C’est faux !» a juré M. Aïzoun ajoutant qu’il était avec un représentant de cabinet d’huissier. Ce qui n’empêche pas de constater qu’il y a une manipulation criminelle des produits avariés. En fait, le drame du 08 septembre n’est pas le premier du genre. En 2014, apprend l’actuel maire de Tori-Bossito, Robert Tolégbon, près de trente personnes ont été dépigmentées dans une boue de chaux vive à la recherche d’ailerons avariés. Un drame reconnu par M. Aïzoun qui parle de son côté de 15 victimes et indique que depuis lors, plus de produits carnés sur les lieux. « François Hollande est plus noir que les victimes » a-t-il ironisé, estimant que poursuivant la chasse aux produits avariés malgré ça, « les populations sont têtues ». Et ce n’est pas tout. Enseignant de profession, le maire Tolégbon se souvient avoir été alerté pour la première fois par des piles avariées retrouvées entre les mains de plusieurs élèves dans les collèges et dans les concessions. Le conseiller local qu’il était, a saisi le conseil communal sans suite. Deux ans après, il dit ignorer l’ampleur de toute l’activité de destruction de produits toxiques que fait sur son territoire, la société Ama Sarl qui n’a présenté qu’un projet d’étude d’impact environnemental pour destruction de piles hors d’usage au lieu d’un agrément en bonne et due forme. Pourtant, Augustin Vianou, le CA d’Avamè où a lieu l’opération a connaissance de ce qui s’y fait et perçoit des redevances à chaque occasion selon M. Aïzoun. Aussi, peut-on constater, situé à moins de 5 kilomètres de la première agglomération, le site sans clôture où on dénombre 06 grandes fosses est à proximité des champs d’ananas et autres cultures. Souvent délaissé après quelques heures, le site non clôturé est ouvert à toute personne pouvant s’y rendre et à toutes sortes de forfaiture…
Irrégularités juridiques
De l’avis du juriste Me Jacques Migan interrogé à ce sujet, en dehors de la nécessité d’une autorisation formelle ou agrément pour aller à l’incinération, il y a lieu de chercher à savoir quelles sont les dispositions qui ont été prises pour parer à la nature, à l’environnement puisque c’est des produits avariés. Alors que M. Aïzoun estime que l’étude d’impact environnemental favorable à la destruction de piles qu’il a effectuée est valable pour les produits biodégradables comme les produits pharmaceutiques, les produits carnés, le bâtonnier pense que non. « Quand ils auraient reçu une autorisation pour les piles, elle ne vaut que pour les piles. On ne peut pas recevoir une autorisation pour un produit et l’utiliser pour un autre » a rectifié Me Migan martelant qu’ «il faille mettre en place des dispositions pour que des intrus ne viennent pas perturber le bon déroulement des opérations ». Pour l’avocat, « il y a une obligation de résultat » qui n’admet pas une légèreté dans le dispositif sécuritaire nécessaire « étant donné que ce sont des produits dangereux ». Et en dépit de tout, a-t-il indiqué, la société en question devrait souscrire à une assurance pour son site. Une question restée sans réponse auprès de M. Aïzoun joint au téléphone à ce sujet. Visiblement, il y a beaucoup à dire sur ce dossier à suivre de près. 

 

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