Mathias Hounkpè : Je suis foncièrement contre le mandat unique et voici pourquoi

Les 20,  21 et  22 septembre derniers s’est tenu à Abidjan un atelier sur les médias et les réformes constitutionnelles dans quatre pays de la sous région. Une cinquantaine de journalistes et blogueurs venus de quatre pays de la sous région, (voir ici) auxquels se sont joints des acteurs de la société civile  ont réfléchi au rôle qu’ils peuvent jouer dans les processus de révision constitutionnelle dans chacun de leur pays d’une part et ensemble dans la sous-région d’autre part.

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Au terme de l’atelier , notre compatriote Mathias Hounkpè politologue bien connu dans le landernau politico médiatique  et aujourd’hui Administrateur Programme de Gouvernance Politique au siège d’Osiwa à Dakar , s’est prêté de bonne grâce aux questions des confrères, sur les travaux  de l’atelier. Au passage il donne un avis de première main sur la question controversée du mandat unique, proposé par l’actuel tenant du pouvoir.

Nous sortons d’un atelier sur les réformes constitutionnelles en Afrique de l’Ouest. Est-ce que vos objectifs auront été atteints?

Je dirai oui. Je dirai oui parce que, au départ on pensait réunir, dans un cadre d’échange d’expériences, des acteurs de la société civile et les professionnelles des médias pour qu’ils voient ensemble dans quelle mesure ils peuvent contribuer à des réformes constitutionnelles de meilleure qualité dans leur pays respectif. Comme vous le savez actuellement, des processus de révision sont en cours au Bénin, au Burkina, en Côte-d’Ivoire et au Mali. Donc c’était ça l’objectif. Et pour avoir suivi les trois jours d’interactions aussi bien entre les professionnels des médias qu’avec les acteurs de la société civile, il est indéniable que des défis ont été identifiés et qui s’observent dans les différents processus qui sont en œuvre et des approches de solutions ont été également identifiées et qui permettront à chaque catégorie d’acteurs réunis ici, une fois retournés au pays, de mieux participer au processus de révision de constitution.

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Spécifiquement, qu’attendez-vous du tandem média et société civile?

Il s’agit là de deux acteurs intermédiaires nécessaires pour le succès d’initiatives telles que les révisions constitutionnelles. En effet, ils sont  au contact des citoyens tout en disposant, en général, des moyens de se faire écouter et entendre par les décideurs que sont les gouvernements, les parlements, les acteurs politiques etc. Et donc, de mon point de vue, cette position intermédiaire fait que ces acteurs sont incontournables lorsqu’on veut garantir la transparence, la pertinence et la légitimité d’un processus de révision constitutionnelle. C’est-à-dire lorsqu’on veut garantir que les citoyens soient informés et aient connaissance des grandes questions qui sont discutées dans le cadre de la révision de la constitution et que les préoccupations des citoyens soient prises en compte. Ces deux catégories d’acteurs sont absolument nécessaires.

Vous avez dit qu’il y a des problèmes. Est-ce que vous pouvez nous dire de façon brève ce que vous craignez comme problème notamment chez nous au Bénin?

De façon générale, lorsque vous observez les expériences partagées ces trois jours d’atelier, vous réalisez par exemple que le délai de révision de la constitution est apparu comme l’un des problèmes communs à la plupart des pays. Par exemple, personne ne peut dire de quel délai disposerait-on pour garantir un niveau raisonnable d’information des citoyens et de prise en compte de leurs contribution avant la finalisation du processus. En Côte-d’Ivoire ’est le pays où le délai paraît le plus court, parce que la commission de révision n’a pas encore rendu son rapport et déjà le gouvernement semble indiquer le référendum le référendum sera organisé en fin octobre. Donc c’est évident qu’il n’y aura jamais suffisamment de temps pour permettre des discussions sérieuses autour de la question. Au Bénin, vous savez qu’il y a deux voies qui s’offrent au chef de l’Etat. Il y a la voie référendaire et il y a la voie parlementaire. Si le chef de l’Etat choisissait de n’envisager que la voie parlementaire , en deux semaines, il peut réviser la constitution. Au Sénégal, ils viennent de finir un processus de révision de la constitution qui a pris en tout et pour tout 45 jours où l’on est allé au référendum sans consulter pratiquement personne. Il est donc raisonnable de penser que, dans un cas comme celui du Bénin, on ne sait pas exactement de quel délai on dispose pour la révision. Et pour moi, c’est une source d’inquiétude.

Si l’on attache du prix à la participation des citoyens au processus (i.e. les informer et prendre en compte leurs préoccupations), il est extrêmement important d’être rassuré déjà au départ du temps qui sera aménagé pour la discussion autour des propositions qui seront faites par la commission chargée de conduire le processus de révision de la constitution.

Vous avez également des questions qui sont spécifiques aux pays. Lorsque vous êtes par exemple en Côte-d’Ivoire, il y a des questions qui sont sensibles par rapport auxquelles vous avez le sentiment que les acteurs ne sont pas disposés à se parler franchement. La conséquence est que vous allez à la révision de la constitution alors que des questions majeures ne sont pas vidées. Et donc, vous laissez les questions parce que personne n’a voulu les aborder. Au Bénin, il y a aussi une sorte de frilosité actuellement, comme si personne ne sait encore quelle position adopter par rapport  au nouveau pouvoir. Et donc, vous avez les personnes ressources habituelles qui semblent se réserver et ne pas aborder franchement les questions, vous avez les acteurs de la société civile qui pour la plupart sont dans l’idée qu’il ne faut pas brusquer le nouveau pouvoir, qu’il faut lui laisser un temps (ce que je comprends bien). Mais dans le même temps, il faut bien s’assurer que la révision de la constitution aide à consolider notre jeune démocratie. On peut se retrouver demain avec des dispositions qui vont créer plus de problèmes qu’elles sont supposées nous aider à régler parce qu’on ne les aurait pas discutées suffisamment.

Vous avez dit tantôt qu’il y avait deux voies offertes au Bénin, la voie référendaire et la voie parlementaire. Mais, il y a une controverse sur la voie référendaire directe et c’est l’article 54 qui suscite cette controverse. Et par rapport à ça, l’intervention du Pr Holo a semblé clarifier les choses. Il est désormais clair pour tout le monde que dans tous les cas, le président est obligé de passer par l’assemblée. Quelle est votre lecture , Mathias Hounkpè?  

Quand je parlais de la voie parlementaire, je pensais à la possibilité de conduire le processus jusqu’à son terme sans passer par le référendum. Je partage parfaitement l’avis de la Cour constitutionnelle à savoir qu’il faut d’abord consulter le parlement sur le principe de la révision avec la majorité des ¾. Une fois que ce principe est acquis, on peut maintenant aller au référendum si on veut ou continuer avec la voie parlementaire à condition d’obtenir la majorité des 4/5. Donc, même si le président doit aller au référendum, à mon avis, il faut nécessairement l’acceptation du principe par un vote à la  majorité des ¾ par les députés.

Que faire aujourd’hui pour que tout se passe dans la sérénité?

De mon point de vue je crois que le président de la République, dans le décret de mise en place de la commission a été suffisamment ouvert. Il n’a, pour ainsi dire, pas fixé de limite aux membres de la commission. Pour moi, c’est un état d’esprit dont il faut tirer toutes les conséquences. La commission a fini son travail et sur beaucoup de points, elle n’a pas pu trancher. Même sur la question qui cristallise le plus l’opinion à savoir la question du mandat unique, la commission n’a pas pu trancher. De mon point de vue, si le chef de l’Etat veut rester dans sa logique jusqu’au bout, cette question doit être encore remise sur le tapis. Si le Chef de l’Etat était convaincu que ses promesses de campagnes avaient « valeurs de vérités absolues », il ne sentirait pas le besoin de mettre en place une commission et surtout de ne pas lier les mains des commissaires.

Il découle tout naturellement donc, de la logique du chef de l’Etat, que l’on permette que le débat se fasse et que chacun mette sur la table les arguments et les contre arguments. Si on n’est pas prêt à le faire, il faudrait peut-être envisager laisser d’abord cette question et y aller avec celles qui font l’unanimité ou qui font l’objet d’un large consensus, on peut amender la constitution par rapport à ces questions et revenir par suite sur les questions délicates. Mais ce qui serait dangereux, de mon point de vue, c’est considérer que lorsque la commission ne s’entend pas sur un point, c’est la position du chef de l’Etat qui est la meilleure. Ceci serait en contradiction avec la démarche entamée par le Président de la République parce que ce serait ne pas tirer toutes les conséquences de la logique qu’il a commencée en laissant les mains libres à la commission de faire les propositions qui lui paraissent pertinentes.

Qu’est-ce que vous direz si on vous taxait d’être alarmiste?

Disons que cela fait partie du jeu de la démocratie. Vous savez en démocratie chacun est libre d’avoir son opinion. Moi j’ai les miennes que j’exprime ici, d’autres peuvent avoir leur opinion sur les miennes. Cela est parfaitement normal et ne me pose aucun problème.

Venons-en à la question du référendum. Dans une élection où il s’agit de choisir un homme, les organisations de la société civile peuvent rester neutres. Pensez-vous  Mathias Hounkpè, qu’en ce qui concerne le référendum, la société civile peut continuer à afficher la même neutralité ?

Disons que s’il y a des questions qui sont des questions majeures qui peuvent constituer des menaces au fonctionnement de la démocratie, la société civile démissionnerait de mon point de vue, si elle ne prenait pas position. Par exemple, s’il peut être clair aujourd’hui que certaines propositions d’amendements, pourraient menacer gravement les libertés des citoyens ou pourraient,  parfois sur des questions qui n’en donnent pas l’air, toucher au fondement du régime qu’on a choisi, la société civile doit se prononcer et choisir, parce que la société civile, justement à la différence des acteurs politiques, n’a pas un intérêt particulier et doit s’assurer que nous faisons ce qu’il faut pour que le Bénin reste sur les rails.

Et sur la question du mandat unique, vous pensez que la société civile a besoin de prendre position?

Moi je prendrais position et j’ai déjà pris position. Une position qui est connue. Moi je suis fondamentalement contre le mandat unique. Je peux aligner ici des raisons, une série de raisons. Il y en a beaucoup  contre le danger que représente le mandat unique. Mais je pense que chacun peut être libre d’opiner sur la question. Comme je le disais tout à l’heure, la démocratie pluraliste c’est la démocratie qui autorise chacun de nous à avoir son opinion. Donc une partie de la société civile peut estimer qu’elle n’est pas obligée de prendre position. Moi personnellement je l’ai fait parce que la question du mandat unique pour moi est une question qui a des implications à plusieurs niveaux. Par exemple, vous n’avez aucune idée de ce que, tous ceux qui vont prendre le pouvoir au Bénin avec des coalitions hétéroclites comme nous en avons l’habitude, ne peuvent pas avoir des gouvernements cohérents si vous avez un mandat unique. Regardez l’expérience de Kérékou avec l’Ubf (Union pour le Bénin du futur, Ndr), regardez l’expérience de Yayi avec Fcbe (Forces cauris pour un Bénin émergent, Ndr). Toutes ces grandes coalitions ont tenu le premier mandat parce qu’elles attendent toutes le deuxième mandat. C’est à partir du deuxième mandat que les grandes coalitions comme celles évoquées ci-dessus commencent à se fragiliser. Ce qui se passe actuellement et ce qui va se passer, c’est que d’ici à quelques mois, la coalition du chef de l’Etat va commencer à s’effriter parce que les acteurs politiques ont un avenir plus long que les cinq ans que se fixe le Président de la République pour rester à la tête de l’Etat. C’est ce qui va arriver. La deuxième chose, en réalité, le mandat unique change la nature du système électoral que nous avons choisi. Nous avons choisi un système majoritaire à deux tours parce que nous souhaitions que celui qui devient président au Bénin ait l’assentiment d’une large proportion de la population. Avec un système à mandat unique ce qui risque d’arriver est que le président va rechercher une coalition pour être élu, mais une fois au pouvoir plus rien ne l’oblige à tenir compte des autres membres de la coalition qui l’a porté au pouvoir (c’est d’ailleurs ce qui est présenté comme un avantage du mandat unique : la liberté du président vis-à-vis des pressions politiques). Donc en réalité, c’est comme si on faisait un système majoritaire à un tour qui ne disait pas son nom dans la mesure où le chef de l’Etat peut décider de gouverner uniquement avec sa majorité originelle (qui l’a fait gagner au premier tour). Ceci touche au cœur de notre démocratie. Je peux continuer avec beaucoup d’autres exemples

 

Qui est Mathias Hounkpè ?

Mathias Hounkpe, 52 ans, capitalise  plus de vingt  ans d’expérience dans le renforcement des capacités, la gouvernance et le développement institutionnel. Il a fait partie de plusieurs équipes de recherche multidisciplinaires sur des sujets aussi divers que l’évaluation des systèmes électoraux et des institutions, la sécurité des élections, la bonne gouvernance et les questions de politiques publiques.

Il a conçu et mis en œuvre des formations et activités de renforcement des capacités pour les acteurs des processus électoraux au Bénin et dans plusieurs pays de la sous-région. Mathias a une expérience dans l’enseignement des mathématiques, des statistiques, de la théorie des jeux et des sciences politiques. Il est titulaire d’un doctorat en physique-mathématique, avec une spécialisation en théorie de diffusion et d’un Mphil ( Masters of philosophy) en sciences politiques obtenu à la célèbre université américaine de Yale, une des quatre  plus grandes universités (Havard Yale, Princetown, MIT)

Réalisation: La Nouvelle Tribune/Soleil Fm/Sikka Tv

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