Bénin : Laurent Metongnon répond à l’ancien ministre Yarou

A Monsieur Théophile YAROU, Administrateur des Finances, Ancien Ministre d’Etat chargé de la Défense Nationale. Monsieur le Ministre d’Etat et cher Concitoyen, J’ai reçu et lu avec beaucoup d’intérêt et, croyez-moi, avec beaucoup d’émotion votre « Appel» à la « Conscience citoyenne» en date à la réception du 09/08/2016.

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Votre « cri de cœur» porte sur les faits notés par vous et qualifiés de « épuration ethnique et régionaliste» et vous voulez par votre cri « prendre à témoin l’opinion publique nationale et internationale sur la gravité des actes de violation des droits de l’homme qui s’opère aujourd’hui de manière sourdine et clandestine au sein de l’administration publique béninoise. Une véritable campagne de règlement de comptes expéditif soigneusement préméditée et orchestrée avec finesse et cynisme par une partie du pays sur une autre sous le fallacieux prétexte de promotion de la compétence» (Cf. votre lettre)

Outre ces généralités, vous avez cité des cas concrets touchant à la nouvelle carte universitaire défavorable à la région nord du pays et le fait que sur « 21 Ministres du gouvernement du président Talon, seulement 4 sont du Nord» alors que « l’Atakora seul pouvait fournir les 21 ministres à diplômes et compétences équivalentes ». Vous avez cité des « nominations « clando » au lieu de « procéder à des nominations par appel à candidature»

Lire Nominations sous la Rupture : l’ancien ministre Théophile Yarou écrit aux Secrétaires généraux

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Monsieur le Ministre d’Etat,

Je vous appelle ainsi parce que vous avez été un grand Ministre de la République (Ministre d’Etat) sous le régime qui vient de partir. Et plus encore, Ministre de la défense!

Monsieur le Ministre d’Etat,

Votre lettre soulève beaucoup de remarques.

La première: Depuis que je me suis engagé dans le combat politique en 1979 (au sein de mon Parti, le Parti Communiste du Bénin) ainsi que dans la lutte syndicale depuis 1981, j’ai toujours proscrit – et ce conformément à la ligne de ce parti- toute politique régionaliste tendant à diviser notre cher et unique pays, le Bénin, à opposer ses fils d’une région contre l’autre et ceci quel que soit le régime qui s’en rend coupable.

La formation politique et syndicale que j’ai reçue au sein du Parti Communiste du Bénin en matière de la question nationale en termes de question ethnique-depuis sa création a toujours été formulée de la manière suivante dans tout programme du Parti « Libérer et unir les nationalités». Elle est opposée à toutes formes de régionalisme et d’ethna-centrisme, à toutes formes d’exclusion sur la base de région ou d’ethnie, et peut se flatter sans aucun narcissisme d’être le Parti le plus national du Bénin, c’est-à-dire le

Parti de toutes les nationalités du pays. Ces positions politiques ont impacté positivement mes activités syndicales.

Certains faits dénoncés dans votre « Cri de cœur », ont déjà été l’objet de critique par moi-même au sujet de la formation du gouvernement et divers autres sujets de gouvernance sur Canal3, Sika TV, Eden TV, radio Soleil FM, Radio Tokpa, Radio Fraternité à Parakou, radio Fm Ahémé à Possotomè, …..

Il en est ainsi des nominations « clando » sans appel à candidature tel que promis dans sa campagne par le Président Patrice Talon. Il en est ainsi surtout de la carte universitaire qui est une véritable aberration dans le contexte de la géopolitique béninoise et de l’état d’évolution du monde scientifique à l’heure actuelle.

Cette carte universitaire proprement non rationnelle, ne peut tenir. Et vous avez raison de marquer sur ce point votre entier désaccord. Il en est enfin du dernier gouvernement qui n’a pas tenu compte de la géopolitique béninoise, indépendamment du fait qu’on ne veuille pas respecter l’équilibre régional. Le Bénin est un et indivisible; mais il est aussi multi-national; et chaque peuple, chaque région veut se voir représenter au sein du gouvernement de la République avec une certaine équité.

La deuxième remarque que suscite votre « Cri de cœur», c’est que vous vous attaquez à nous Responsables d’Organisations et de Société civile» comme des gens partisans et défenseurs du « régionalisme» en œuvre selon vous avec le gouvernement du Président Talon. Vous dites précisément ceci « Il m’a été malheureusement donné de constater avec la plus grande tristesse que le comportement de certains d’entre vous face à la préservation et la défense de ces valeurs universelles n’est sous-tendu d’aucune objectivité. Il  m’est apparu très clairement (que) les véritables intentions qui ont toujours caractérisé l’action syndicale et civile dans ce domaine précis ont pour nom le régionalisme, le népotisme, le clientélisme, le tout dans une hypocrisie généralisée … Je constate avec regret que les positions autrefois combattues sont aujourd’hui érigées en règle de bonne gouvernance. Cela pose un véritable problème de conscience, d’éthique et de morale ». Et plus loin, vous nous interpellez « Où êtes-vous passés? Vous qui faisiez le point du nombre de cadres du Nord nommés à des postes stratégiques- Dites au peuple le nombre de cadres du nord nommés depuis l’avènement de la rupture? »

La troisième remarque, Monsieur le Ministre d’Etat, votre interpellation semble surtout s’adresser à moi et à la Fédération Syndicale que je dirige. Car ma Fédération Syndicale, la FESYNTRA-FINANCES a, en effet publié le 1er mai 2009 les résultats d’un sondage sur les critères de nominations et la liste des bénéficiaires aux postes stratégiques avec le constat manifeste que le régionalisme était puant avec la politique de YAYI Boni. Une republication de cette liste, faite aujourd’hui, pourrait montrer la profondeur de la chose. Mais cela ne vous gêne apparemment pas. Et c’est là que réside la gravité et l’incongruité de votre position. Ce n’est pas la politique régionaliste et ses pratiques divisionnistes en général – que vous condamnez – mais celle tournée contre « le Nord ». Celle tournée contre le Sud a votre entière bénédiction. Le régionalisme, c’est le sentiment et le développement d’une région à l’exclusion des autres. Et vous essayez de théoriser sans honte la chose de la manière suivante et en ces termes: « On nous a même dit que les revendications liées aux « quotas» sont sous-tendues par une carence du « gène de l’intelligence », chez les individus venant de la partie septentrionale du pays. Son invocation est perçue comme le régionalisme comme si le nord compte plus de régions. Cette revendication … ne manquait pourtant pas de pertinence lorsqu’elle est analysée dans un élan de fraternité et de solidarité. 1/ s’applique dans beaucoup de pays y compris la France sous forme de filet social (instrument de solidarité nationale dans la mesure où elle n’est pas systématique) pour favoriser l’accès des couches défavorisées à des formations de qualité d’une part et tirer d’autres de la pauvreté d’autre part ».

Monsieur le Ministre d’Etat,

Vous défendez les quotas, c’est-à-dire que vous défendez que des fonctionnaires dans une même administration non point d’un Etat fédéral mais dans un Etat unitaire, ayant les mêmes statuts et grades et donc commis aux mêmes tâches républicaines, puissent avoir des niveaux de compétences différentes parce que provenant de régions différentes pour raison de quota. Autrement dit, aux concours d’Etat quelqu’un par exemple peut avoir 15/20 et échouer parce que frappé par le quota régional et un autre réussir avec 09/20. Quelle efficacité et efficience, quelle harmonie pourrez-vous obtenir dans l’action gouvernementale et administrative dans ces conditions? Voilà pourquoi votre évocation du cas de la

France est tout à fait superfétatoire et fausse. Le « filet social» que vous évoquez ne se situe pas au niveau des admissions aux concours dans l’administration, mais au niveau des formations. Oui et je suis d’accord qu’il existe encore aujourd’hui un décalage entre le Sud et le Nord du fait colonial et qu’un rattrapage « ethnique» (comme on dit dans un pays voisin) est nécessaire. Je suis d’avis qu’on doit et dès maintenant opérer une discrimination positive en faveur notamment des régions défavorisées (car il y en a aussi au

Sud, il suffit d’aller vers Zè pour s’en rendre compte) et surtout en faveur des régions septentrionales dans les formations scolaires et universitaires. De la sorte, un effort doit être fait pour accorder des bourses d’études à des personnes de milieu pauvre et surtout en provenance du Nord. J’accepte et même encourage que face à deux étudiants ayant la même moyenne mais dont l’un est du milieu pauvre et du nord et l’autre du sud mais relativement prospère, l’on accorde la bourse à l’étudiant du nord. Mais ce n’est pas le cas en ce moment. On peut encore accepter que deux individus dont l’un est originaire du sud et l’autre du nord mais ayant les mêmes niveaux de compétences, on puisse privilégier dans la fonction publique celui en provenance du Nord. Mais là s’arrêtent les choses.

La politique de YAYI Boni était tout le contraire de ces vues et pratiques. Il faut au contraire imposer des personnes de niveau faible et parfois nul dans l’administration parce que originaires du nord. Là où réside la plus grande injustice, c’est d’arrêter l’évolution des jeunes de certaines régions du pays en faveur de certaines autres et de façon grossière. Et cela s’est effectué pendant dix ans. Et on ne vous a pas entendu lever le petit doigt pour vous y opposer. Etant vous-mêmes bénéficiaire de cette situation.

Quant à moi, comme vous le savez bien, le débat ne se situe pas au niveau « d’un certain QI » inférieur chez d’autres peuples par rapport à d’autres, il y a longtemps que ces genres de thèses à la Gobineau sont battues en brèche par la science et la vie quotidienne. Le débat se situe au niveau de la justice et de l’égalité entre les différents peuples et régions de notre pays. Nos peuples aujourd’hui n’ont qu’un ennemi commun: la domination néocoloniale qui subjugue nos langues, nos cultures et toutes nos valeurs propres et nous empêchent d’être performants pour la production.

C’est pourquoi la FESYNTRA-FINANCES continuera de combattre, toute politique régionaliste d’où qu’elle provienne. De la « Refondation » comme de la « Rupture », si cela se fait et ce, indépendamment du fait que j’ai avec mon Parti, appelé à voter pour le Président actuel.

Il y va de l’intérêt du pays!

Il y va de la patrie!

Salutations fraternelles et citoyennes.

Laurent METONGNON, SG FESYNTRA-FINANCES

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