Le régionalisme, dont il est question ici selon moi, est ce phénomène négatif consistant en un mode de pensée et d’action qu’utilisent, ès qualité et fonction, l’Autorité gouvernante de notre pays et toute personne détentrice d’une parcelle de l’autorité publique, pour choisir ou privilégier une région du territoire national au détriment d’une autre (précisément ici, le Nord contre le Sud surtout) dans des actes officiels et des déclarations publiques.
C’est comme une doctrine, une idéologie, un système (tels les mots en isme). C’est nocif pour l’unité nationale, et il ne faut pas le confondre avec la régionalisation qui, elle, est positive, consistant en des actions de développement harmonieux et équitable de toutes les régions du territoire, notamment sur fond de décentralisation et de déconcentration.
Il n’est pas nécessaire d’autre part, à mon avis, de discourir, à longueur de cas illustratifs, sur cette autre forme de régionalisme que je qualifierais de petit régionalisme, à savoir : le sectarisme, le clanisme, l’ethnocentrisme, le racisme, le chauvinisme, etc., dont certains individus ou groupes d’individus, dans toute société humaine, font montre à titre privé ou pour des intérêts propres, sur base de préjugés ou de haine, en dehors de toute autorité publique. Ce régionalisme-là est donc de portée nationale limitée, mais n’est pas moins nocif ; il faut le combattre aussi, car tout peut partir de là pour prendre la dimension nationale.
Le régionalisme d’ampleur nationale compromet gravement l’unité nationale. Le refuser et le combattre, c’est lutter pour l’unité nationale, c’est là la problématique, que nous pourrions formuler en ce slogan: « Non au régionalisme afin que l’unité nationale se construise et se renforce! »
Mais alors, que comprendre exactement par « unité nationale » ?
L’unité nationale, c’est : la cohésion, l’harmonie, la coexistence pacifique entre toutes les composantes d’un pays (régions géographiques, ethnies, races, peuples, clans, tribus, cultures, traditions, particularités, etc.) qui, s’enrichissant mutuellement de leur diversité, œuvrent ensemble pour la construction et le développement de la patrie commune.
L’unité nationale n’est pas l’union au sens d’unanimisme ou d’unicité, système qui écarte toutes différences et embrigade tout le monde dans une seule et même pensée.
L’unité nationale, c’est une denrée précieuse qu’il faut absolument promouvoir et entretenir, en combattant le régionalisme, notamment. Mais, cela s’avère pour nous Béninois d’autant plus difficile que notre pays, anciennement Dahomey, n’est pas encore une Nation, mais c’est un simple territoire géographique avec des peuples différents (fabriqué de toutes pièces par le Colonisateur français au gré des guerres de conquête). Par conséquent, c’est l’unité nationale principalement qui pourra nous conduire à un pays-Nation!
Sources et facteurs favorisants ou aggravants du Régionalisme au Bénin
- La création du territoire colonial dénommé Dahomey en 1894, changé en Bénin en 1975 :
C’est un fait historique, nous le savons tous, que le Dahomey, puis le Bénin, est simplement un territoire géographique formé de plusieurs peuples d’us et coutumes variés et ayant des histoires et des langues différentes. Le Colonisateur français, pourrais-je dire, n’a fait que procéder par ce que les Sciences Physiques nous enseignent, à savoir : c’est toujours autour d’un noyau (noyau d’atome, ici le royaume du Danhomè) que se constitue un corps simple unitaire et stable (ensemble d’atomes ou molécule, ici le territoire colonial Dahomey) avec ses électrons, protons, neutrons et ions, aussi différents les uns des autres que le sont les peuples du royaume Danhomè et ceux d’autres royaumes réunis à lui pour former le territoire géographique du Dahomey.
Dahomey, c’est une dénomination à partir d’éléments endogènes. Pourquoi donc a-t-on eu besoin de changer Dahomey en Bénin ? C’est que, malheureusement n’est-ce pas, le phénomène du régionalisme est passé par là et a fait son œuvre en ces termes : « Dahomey, c’est seulement les Fons d’Abomey, ce n’est pas nous! », alors que c’est Dahomey et non plus Danhomè. Et encore, le choix « Bénin » est bien malheureux, quand on sait que c’est toute une région géographique d’Afrique, allant du Nigéria jusqu’au Ghana, qui porte ce nom (d’où Golfe du Bénin) et qu’historiquement, le berceau de la célèbre civilisation noire dite du Bénin est au Nigéria (ville, Benin-City) ! De toutes façons aujourd’hui, près de 40 ans après ce changement, cela n’a pas fait disparaître pour autant le régionalisme (opposition Nord-Sud) qui l’a induit, loin s’en faut, et l’unité nationale demeure toujours une préoccupation ! C’est vraiment peine perdue !
- Le développement socio-économique et administratif déséquilibré du territoire national :
Tel que légué par le Colonisateur, ce déséquilibre est loin d’avoir disparu et alimente toujours les réflexes et les sentiments de régionalisme chez bon nombre de Béninois du septentrion, sur base de frustrations, toutefois légitimes, qui sûrement ne disparaîtront que si ce déséquilibre est corrigé! Et c’est à nous tous qu’il appartient de faire cette correction, face à une réalité dont aucun de nous, aujourd’hui, n’est responsable !
- La persistance du français (langue du Colonisateur) comme langue officielle :
Il est bien connu, et c’est une vérité historique, que la langue est, pour un peuple ou une nation, le premier ou le meilleur vecteur de sa culture et de ses valeurs, éléments de civilisation et d’unité nationale. Aussi, force nous est-elle donnée d’adopter enfin au Bénin une langue nationale (ou deux) comme langue(s) officielle(s), en lieu et place du français, ce dernier pouvant toutefois devenir notre langue étrangère principale! Mais voilà, la solution tarde à venir et des schémas pas très heureux continuent d’être avancés, sur fond de régionalisme en des termes comme : Pourquoi serait-ce la langue des autres et non pas la mienne ? Pourtant, à l’heure actuelle, qui honnêtement peut nier le fait qu’il y a bel et bien au Bénin une langue, (le fongbé pour ne pas le nommer), que presque tout le monde, du nord au sud, de l’est à l’ouest (jusqu’aux Hautes Autorités et beaucoup d’officiels et d’artistes chanteurs ou comédiens, non originaires de l’ère linguistique fon) néanmoins comprennent, parlent ou baragouinent tout au moins. Oui, qui peut le nier? Seulement, l’hypocrisie régionaliste est là et nous fait occulter cette réalité statistique ; alors, des formules très imaginatives et alambiquées sont proposées ! Halte et, sans état d’âme, adoptons enfin comme langue nationale, la langue dominante statistiquement (ou par simple observation) parmi la flopée de langues que nous avons ! Simple démarche scientifique, débarrassée de tout sentimentalisme !
- Le système de quota dans les concours de recrutement à la Fonction publique :
Tel que pratiqué, ce système pose vraiment problème, car il privilégie, à marches forcées, seulement l’équilibre entre les régions ou départements au détriment, carrément, de l’excellence et même de la justice entre citoyens d’un même pays.
En effet, un premier d’un département, retenu à un concours (à la note 11 sur 20 par exemple) sur base de quota, a certainement pris la place d’un premier éliminé d’un autre département (avec la note 15 sur 20 par exemple, donc meilleur que lui) pour la simple raison que le quota de son département est déjà satisfait. C’est une aberration !
De même, ce système écarte toute possibilité de fixer une barre de note (par exemple 12 sur 20) en-dessous de laquelle tout candidat est éliminé, afin d’assurer une certaine qualité de recrutement.
Or, le problème qu’on voudrait résoudre par le système de quota peut bien avoir des solutions comme : Commencer par équilibrer, sur tout le territoire national, le développement de l’école et la construction des infrastructures socio-économiques et administratives ; utiliser à fond les atouts de la décentralisation ; éliminer la corruption et gérer les examens et concours avec justice et transparence, etc.
- La politique d’équilibre régional dans les nominations aux postes publics :
Pratiquée systématiquement et inconsidérément dans les nominations aux postes politiques et administratifs (ministres et hauts fonctionnaires), notamment depuis 2006, cette politique d’équilibre régional se fait sur fond de régionalisme ou, à tout le moins, de népotisme. Les exemples sont nombreux que tout le monde peut citer, sauf les pires aveugles qui ne veulent pas voir ou avancent des explications tordues. Cette pratique a plutôt exacerbé le fléau du régionalisme, où des manifestations de soutien et de remerciements au Chef de l’Etat (marches, messes, meetings,…) sont organisées et se multiplient ! Car, quel département ou région voudrait être de reste, devant cette distribution du gâteau où, malheureusement, la compétence et le mérite sont foulés au pied au bénéfice d’un soit disant équilibre régional ? Il y a même que des départements ministériels et toutes ses structures sous tutelle ont été ou sont comme des propriétés dévolues à certaines régions !
- La création des partis politiques, l’animation de la vie politique et les élections :
Jusqu’ici, depuis l’Indépendance de notre pays, tout se fait sur des bases régionalistes, car le concept du « fils du terroir » fait beaucoup recette. D’aucuns envisagent même l’alternance tournante par région ou département pour le poste de Président de la République ! Est devenue pratique courante le phénomène de la « transhumance ». Tout cela est induit par le mode de scrutin de liste à la représentation proportionnelle qui favorise une multiplicité de petits partis, créés juste pour pouvoir négocier des alliances, souvent de vie éphémère. Ainsi, on observe que tous les ministres ou hauts cadres, presque tous, (anciens ou en fonction), nommés dans le cadre de la politique de l’équilibre régional, créent dans leur région un parti politique ! Les efforts, que déploient certains politiciens de bon teint pour créer quelques partis à dimension nationale et les faire durer, demeurent une gageure ou rencontrent des écueils, dont le régionalisme notamment.
- La multiplication effrénée et anarchique des royautés et chefferies :
A l’heure actuelle, chaque ville ou village du Bénin a son roi (plus d’un, des fois!) ainsi que plusieurs chefs traditionnels. Ces rois et chefs traditionnels cultivent une certaine collusion avec les acteurs politiques, notamment avec le régime au pouvoir, sur fond de régionalisme, de particularisme culturel et ethnique, abondamment alimenté par l’appât de l’argent, ne se contentant plus d’être les gardiens des cultes et traditions !
- Les affectations dans le nord par l’administration (à caractère punitif):
Alors que la politique d’affectations ou de redéploiement du personnel de l’administration publique devrait être utilisée dans son sens positif, à savoir : permettre aux jeunes de faire leurs premières armes dans des postes difficiles ou permettre à chaque personnel d’élargir ses expériences à tous moments, en allant dans ces postes ; permettre aux zones déshéritées d’avoir aussi du personnel de qualité ; répondre à la préoccupation légitime de rapprochement de conjoint ou de structure médicale pour raison de santé ; etc. , comme nous l’enseigne la science managériale ;
Alors que de s’appuyer sur toutes ces bonnes raisons pour procéder aux affectations et mutations dans les parties septentrionales de notre pays (où objectivement les facilités de logement, de transport ou autres font défaut et que les conditions de séjour sont difficiles),
Au lieu de cela, le régime au pouvoir, souvent, trouve l’occasion belle pour régler des comptes ou infliger des sanctions à l’endroit de syndicalistes meneurs ou d’agents dérangeants, notamment dans l’Enseignement et dans la Santé ! Ainsi, des fonctionnaires originaires du sud rechignent à aller servir dans le nord, et des responsables syndicaux s’appuient sur des dispositions de Conventions internationales pour refuser toute affectation, alors qu’on leur oppose, bien hypocritement et mal à propos, le principe de « servir partout où besoin sera ».
Cet ensemble de pratique et de phénomènes se nourrit évidemment de sentiments et de comportements régionalistes chez les uns comme chez les autres.
Tels sont, de mes analyses et de mon observation, bien de faits historiques ou actuels, sources de régionalisme chez nous (liste non exhaustive), dont il nous faut absolument tenir compte dans notre recherche de solutions pour l’éradication du fléau et asseoir et consolider l’unité nationale !
CONCLUSION BREVE
- Le régionalisme au Bénin est un fléau qui nuit grandement à l’unité nationale. Nous devons tous nous en convaincre! Sinon, commençons d’abord à nous employer à établir cela.
- Ensuite, il nous sera facile de ramer ensemble dans la même direction pour apporter les solutions idoines pour l’éradication du régionalisme.
- Les solutions ne seront pas autres choses que toutes démarches ou actions à mener, dès à présent et permanemment, pour faire disparaître les causes et les facteurs favorisants du phénomène. Une maxime latine ne dit-elle pas : « Sublata causa, tollitur effectus » = La cause supprimée, l’effet disparaît!
- La mise en œuvre des actions ne sera pas chose aisée, et nous devons déployer moult efforts pour la réussir.
- Si nous réussissons, nous aurons enfin un pays-nation, prospère et uni dans la paix, que nous serons fiers de léguer à nos enfants et petits-enfants, si d’autres choses, aussi ou plus graves que le régionalisme, ne venaient pas à tout compromettre !
NOTE : CET ARTICLE est la contribution de M.Philippe Hounkpatin au FORUM DE RELEXION ET D’ECHANGE SUR La problématique du régionalisme et de l’unité nationale au Bénin
Philippe HOUNKPATIN, Dr.-Ing. en Génie électrique
Ancien Professeur d’Université (Physique, Mathématiques et Génie électrique)
Ancien Directeur Général de la SBEE (1990-1995)
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