Talon sanctionné par la cour: l’analyse du magistrat Michel Adjaka

Par décision Dcc 16-143 du 15 septembre 2016, la cour constitutionnelle a déclaré irrecevable une requête par laquelle le chef de l’Etat défère à la haute juridiction, pour contrôle de constitutionnalité, la loi n°2016-12 portant travail d’intérêt général en République du Bénin votée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2016.

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Cette décision n’a pas laissé indifférent le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (UNAMAB), Michel Adjaka. Dans un post publié sur sa page facebook, il y a quelques minutes, le magistrat fait observer que la sanction infligée au Président de la République par les sept sages est « évitable et à éviter ». Les raisons ?

Lire ci-dessous publiée l’intégralité de son post du président de l’UNAMAB. 

DÉCISION DCC 16-143 DU 15 SEPTEMBRE 2016, UNE SANCTON EVITABLE ET A EVITER

La Cour constitutionnelle, saisie d’une requête en date du 26 juillet 2016 enregistrée à son secrétariat le 27 juillet 2016 sous le numéro 005-C/090/REC, par laquelle Monsieur le président de la République, sur le fondement des articles 117 et 121 de la Constitution, défère à la haute juridiction, pour contrôle de constitutionnalité, la loi n°2016-12 portant travail d’intérêt général en République du Bénin votée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2016.

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En réponse aux mesures d’instruction de la cour, Monsieur le Secrétaire Général du Gouvernement (SGG) indique que la loi n°2016-12 du 16 juin 2016 a été réceptionnée à la présidence de la République le jeudi 30 juin 2016.
Dans son raisonnement la Cour a invoqué dans sa décision, les dispositions des articles 57, 121 alinéa 1 de la Constitution et 20 alinéas 2 et 6 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle qui disposent respectivement que « Le président de la République a l’initiative des lois concurremment avec les membres de l’Assemblée nationale. Il assure la promulgation des lois dans les quinze jours qui suivent la transmission qui lui en est faite par le président de l’Assemblée nationale. Ce délai est réduit à cinq jours en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale. Il peut, avant l’expiration de ces délais, demander à l’Assemblée nationale une seconde délibération de la loi ou de certains de ses articles. 
Cette seconde délibération ne peut être refusée. Si l’Assemblée nationale est en fin de session, cette seconde délibération a lieu d’office lors de la session ordinaire suivante. Le vote pour cette seconde délibération est acquis à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. Si après ce dernier vote, le président de la République refuse de promulguer la loi, la Cour constitutionnelle, saisie par le président de l’Assemblée nationale, déclare la loi exécutoire si elle est conforme à la Constitution. La même procédure de mise à exécution est suivie lorsque à l’expiration du délai de promulgation de quinze jours prévu à l’alinéa 2 du présent article, il n’y a ni promulgation, ni demande de seconde lecture » ; « La Cour constitutionnelle, à la demande du président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation »; «La saisine de la Cour constitutionnelle suspend le délai de promulgation.
La saisine de la Cour constitutionnelle par le président de la République ou par un membre de l’Assemblée nationale n’est valable que si elle intervient pendant les délais de promulgation fixés par l’article 57 alinéas 2 et 3 de la Constitution ».
Elle a jugé que la loi soumise à son contrôle a été votée par l’Assemblée nationale le 16 juin 2016, transmise au secrétariat du président de la République le 19 juin 2016, elle y a été enregistrée le 30 juin 2016. Or le président de la République a saisi la Cour le 27 juillet 2016. Entre le 30 juin 2016 et le 27 juillet 2016, il s’est écoulé plus de quinze (15) jours alors que le président de la République n’a sollicité une seconde délibération de la loi, ni procédé à sa promulgation dans le délai de 15 jours suivant la transmission qui lui en a été faite par l’Assemblée nationale conformément à l’article 57 susvisé de la Constitution.
Délibérant, la Cour a décidé que « le président de la République a méconnu les dispositions dudit article. En conséquence, conformément à l’article 20 alinéa 6 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, la saisine de la Cour constitutionnelle par le président de la République n’est plus valable et il y a lieu pour la Cour de déclarer sa requête irrecevable pour défaut de qualité, ladite prérogative étant désormais dévolue au président de l’Assemblée nationale ».
Cette remarquable décision appelle quelques clarifications sur la promulgation. 
Du latin promulgare, le verbe « promulguer » signifie « porter à la connaissance de ». La promulgation est l’ordre donné par le président de la République de porter à la connaissance du peuple une loi votée par l’assemblée nationale afin que celle-ci soit rendue exécutoire sur toute l’étendue du territoire national. Précédant la publication de la loi et succédant à son adoption, la promulgation est l’acte par lequel la loi intègre officiellement l’ordonnance juridique d’un pays. Elle constitue une obligation constitutionnelle pour le président de la République dont il ne devrait se laisser dépouiller aussi banalement que facilement en raison de l’inobservation des délais.
Pourtant, plusieurs options se présentaient au président de la République pour jouer la montre ou pour éviter la sanction de la Cour constitutionnelle.

Première option : demande d’une deuxième délibération
L’article 57 de la constitution du 11 décembre 1990 prévoit qu’avant toute promulgation et dans le délai de quinze (15) jours ou celui de cinq (05) jours en cas d’urgence, à compter de la transmission de la loi votée, le Président de la République peut « demander à l’Assemblée nationale une seconde délibération de la loi ou de certains de ses articles. 
Cette seconde délibération ne peut être refusée. Si l’Assemblée nationale est en fin de session, cette seconde délibération a lieu d’office lors de la session ordinaire suivante. Le vote pour cette seconde délibération est acquis à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. »
En d’autres termes, si le président de la République est dans l’impossibilité de respecter les délais sus-indiqués ou s’il n’approuvait pas le vote émis par l’Assemblée nationale, il lui était loisible d’en demander une seconde délibération. 
L’Assemblée nationale ne peut s’opposer à cette demande. Seulement, il faudra au président de la République de réunir la majorité absolue des quatre vingt trois (83), soit quarante deux (42) députés pour modifier la première version de la loi.

Deuxième option : le contrôle a priori de constitutionnalité
Aux termes de l’article 121 de la constitution, «La Cour constitutionnelle, à la demande du président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale se prononce sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation. La saisine de la Cour constitutionnelle suspend le délai de promulgation.»
Or l’article117 de la même constitution dispose que « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur :
-la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation,
(….)
-la constitutionalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques en général, sur la violation des droits de la personne humaine.»

De la lecture combinée et croisée de ces deux articles, il ressort que le contrôle préalable à la promulgation qui peut s’apparenter, aux termes de l’article 121 de la constitution à une faculté, se révèle comme une obligation, un passage nécessaire à toute promulgation. 
Cette précaution peut s’analyser comme une sûreté à l’effet d’éviter la remise en cause aisée de la signature du président de la République suite à un recours intenté par un citoyen après promulgation de la loi. 
L’image du président de la République étant sacrée et vénérée, sa signature mérite d’être protégée.

Troisième option : le retour de la loi au président de l’Assemblée nationale
Autant, il est nécessaire de protéger la signature présidentielle, autant il importe d’éviter toute inaction ou refus de promulgation d’une loi votée par l’Assemblée nationale. L’antidote à un tel abus réside dans la substitution du président de la République par le président de la Cour constitutionnelle. C’est ce qui ressort in fine de l’article 57 de la constitution, qui dispose que « Si après la deuxième délibération, le président de la République refuse de promulguer la loi, la Cour constitutionnelle, saisie par le président de l’Assemblée nationale, déclare la loi exécutoire si elle est conforme à la Constitution. » 
En l’espèce, le président de la République étant forclos pour solliciter un contrôle de conformité à la constitution de la loi n°2016-12 portant travail d’intérêt général en République du Bénin ou pour la promulguer, il était plus judicieux qu’il la retournât au président de l’Assemblée nationale aux fins qu’il appartiendra. Il opéra ainsi une sorte de retour paisible à l’envoyeur non constitutionnel mais légalement non fautif. Le président de l’Assemblée nationale transmettra la loi en cause au président de la Cour constitutionnelle qui la soumettra à ladite cour pour contrôle de consitutionnalité avant de la déclarer exécutoire lorsque la Cour l’aura jugée conforme à la constitution. 
Se faisant, le président de la République aurait pu s’éviter la décision d’irrecevabilité pour forclusion rendue, suivant décision DCC 16-143 du 15 septembre 2016.

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