Talon veut il marcher sur les pas de Kérékou ?

Le gouvernement  de Patrice Talon a six mois d’existence et il est certainement tôt pour tirer des conclusions définitives. Dans le même temps, six mois de gouvernance offrent une fenêtre sur le style et les objectifs du gouvernement, pour autant que l’on puisse les décrypter dans le silence assourdissant des communications en matière d’orientation et de choix politiques.

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La récente décision du gouvernement d’interdire toutes les associations d’étudiants légalement constituées mérite une attention particulière et doit être analysée dans le contexte des décisions antérieures prises ou approuvées par le gouvernement.

Disons-le d’emblée, haut et fort, cette décision est prise en violation flagrante des lois de la république, de la constitution, de l’esprit de la conférence nationale qui a consacré le caractère sacré des libertés individuelles et publiques. Elle nous renvoie aux pires moments de l’autocratie de Kerekou-Azonhiho, avec son cortège d’embrigadement et caporalisation des organisations et partis ; elle  balaie d’un revers de la main, le préambule même de la constitution qui stipule :

-Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste, dans lequel les droits fondamentaux de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois tant dans sa dimension temporelle, culturelle que spirituelle ;

-Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie  et des Droits de l’Homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations-Unies de 1945 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du « droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne.

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Le président et ses affidés nous disent qu’une commission d’enquête administrative aurait révélé des violences faites aux étudiants, voire des centres de torture sur le campus. Il s’agit là de graves accusations. Mais on s’étonne que le gouvernement dont un des éminents membres est un agrégé de droit, précédemment acteur de la société civile reconverti en politique, ne saisisse la justice pour enquêter et poursuivre les coupables –individu et/ou organisations ! Depuis quand les enquêtes administratives se substituent aux enquêtes judiciaires en matière de violence aux personnes, dans un état de droit ? La marque d’un régime autocratique est -entre autres – la prise de décisions administratives –unilatérales- là où des décisions judiciaires basées sur des preuves et un débat contradictoire devant un tribunal avec des juges indépendants s’impose. Une telle dérive est particulièrement grave quand l’objet des décisions est la restriction de libertés –d’association- garantie par la constitution.

Une crise aux racines profondes

Cette décision vient dans un  contexte de crise de notre université, crise dont les racines sont profondes et ne peuvent être discutées en long et en large dans le présent article. Mais il faut rappeler que les autorités universitaires ont joué un rôle dans cette crise en supprimant la session de Septembre –dite de rattrapage, utilisée dans les stratégies des étudiants contraints a concilier job et études pour leur survie- en raison de la surcharge de travail des enseignants et du nombre pléthorique des étudiants. La réaction de la majorité des étudiants fut de boycotter la session unique (décision prise à travers -faut-il le rappeler- un vote démocratique), et de faire appliquer cette décision. Ceci a créé des tensions aggravées par la détermination des autorités universitaires de diviser les étudiants et de « punir » la majorité opposée à la session unique en les recalant d’office (en faisant composer la minorité). Face à cette crise déclenchée par les autorités universitaires, notamment le recteur Sinsin, le gouvernement a joué à la politique de l’autruche s’abritant derrière le principe de l’autonomie des universités, principe qui ne semble pas devoir s’appliquer quand il s’agit de dissoudre d’autorité les associations d’étudiants. Ce n’est pas le lieu de discuter de cette crise, ni des actions paternalistes et autoritaires des autorités universitaires ; mais en jetant les étudiants en pâture a l’opinion publique, sans donner le contexte des action revendicatives des étudiants, le gouvernement fait preuve de malhonnête intellectuelle évidente et tente de manipuler l’opinion. Les étudiants sont présentés comme les responsables de la crise du systèmeéducatif, alors qu’ils en sont les premières victimes, que ce soit du fait des grèves des enseignants revendiquant de meilleures conditions de travail, ou de leur propres grèves liées aux conditions d’étude déplorables.

On se rappelle que le pouvoir de Kérékou en son temps a dissous la « coopérative universitaire » –créée dans le cadre de sa politique de caporalisation des groupes sociaux, une fois que le contrôle du bureau de cette coopérative lui a échappé. De même le gouvernement Talon promettrait de créer de nouvelles associations ! Quelle hérésie dans un régimedémocratique ? Revient-il au pouvoir de créer des associations pour les étudiants ? On peut parier que le gouvernement incapable de contrôler la direction des organisations qu’il entend créer sur le campus, suivra les pas de Kérékou et va dissoudre sa propre organisation une fois que son contrôle lui aura échappé.

Le passage en force permanent

Au-delà de cette décision arbitraire, illégale et anticonstitutionnelle, le style du gouvernement Talon, semble être le passage en force au mépris des consultations parfois organisées pour la forme.  Ainsi prépare-t-on un référendum sur le mandat unique cher au candidat Talon. Une fois le peuple manipulé pour voter oui(nous connaissons tous le caractère relatif de la sincérité des scrutins chez nous), on pourra comme Kagamé, faire pression sur l’assemblée pour qu’elle suive la « voix du peuple » et vote une révision constitutionnelle conforme aux désidératas du « chef ». Ainsi en a-t-il été des décisions de désignations de chefs-lieux de département, ou de suppression des « universités décentralisées». Quoique l’on pense de ces décisions(et nous pensons qu’elles vont dans le bon sens), la méthode, l’absence de consultation du parlement et/ou des acteurs concernés, le mépris des résultats des consultations –apparemment de forme- peignent le tableau d’un gouvernement autoritaire qui ne souffre aucune contestation de ses « certitudes » ( en son sein comme en dehors comme l’a illustré le « débarquement »  du conseiller juridique Saka Souley). Les acteurs politiques des partis représentés a l’assemblée sont soit des obliges du président, soit des opposants affaiblis par leur récentedéfaiteélectorale et aisément placardés comme « nostalgiques du régimedéfunt ». C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la récente visite du président Talon au Rwanda et son admiration professée pour cette dictature soi-disant éclairée. Les partisans du régime rappellent a qui veut les entendre que celui-ci a reçu un mandat à travers son élection par 65% des votants.Faut-il rappeler à ceux-ci que la raison d’être des constitutions est précisément d’établir des principes intangibles qui sont au-dessus des mandats électifs, de députés et de président ? Faut-il leur rappeler que leur candidat et son programme a reçu la préférence de moins d’un béninois sur trois ? Faut-il rappeler qu’aucun béninois n’a voté pour un programme annonçant  la caporalisation de la société et la restriction des libertés publiques fusse-t-elle au nom de l’efficacité économique, de la gestion « modèle », du « développement » ou même de la « réduction de la pauvreté » ?

Que faire ?

Notre pays qui a survécu a 27 ans d’autocratie de Kerekou, ne peut se permettre cinq ans d’une nouvelle autocratie Talon, éventuellement suivie d’un gouvernement Talon sans Talon par Djogbenou et autres affidés interposés. Les 27 ans d’autocratie de Kérékou n’ont apporté ni le développement, ni la liberté. Les prétentions de gestionnaire du gouvernement Talon -dont les preuves sont à faire- ne peuvent en aucun cas justifier le sacrifice des libertés chèrement conquises. Comme le dit le préambule de notre constitution, « les libertés publiques, » (sont) « la condition nécessaire au développement véritable (…)» et non une contrainte gênante dont on peut se débarrasser à volonté. Nous ne sommes pas prêts à sacrifier nos libertés pour une prétendue « remise en ordre » dont les contours, objectifs et cadre sont au surplus inconnus.

Il est impératif pour tous les démocrates et tous les honnêtes gens de s’opposer vigoureusement et par tous les moyens légaux aux entorses à notre constitution, à la pensée unique décrétée en conseil des ministres, et a tout acte contribuant à l’instauration insidieuse et progressive d’une autocratie. Il y va de notre devenir collectif et nous sommes confiants dans la capacité de notre peuple à mettre en échec toute dérive autocratique

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