Une bombe. Voilà ce qu’est devenue, aujourd’hui, la question de l’emploi, de l’emploi des jeunes notamment. De deux choses l’une : ou nous saurons mobiliser nos intelligences pour désamorcer cette bombe ou alors, elle va péter. Et bonjour les dégâts ! L’alternative est d’une clarté aveuglante. Cantonnons-nous à la seule sphère de nos jeunes diplômés sans emploi.
Il est loin le temps où l’emploi attendait tous ceux des nôtres qui arrivaient en fin d’études. On leur déroulait le tapis rouge. On leur faisait signer un engagement décennal. En contrepartie d’une dette due à l’Etat qui les avait accompagnés dans leur cursus scolaire (bourses d’études, secours scolaires et autres). Heureux temps, dira-t-on. L’Etat était alors le seul et unique pourvoyeur d’emploi.
Puis vint le temps des vaches maigres. La Banque mondiale y contribua avec ses programmes d’ajustement structurels (PAS). L’offre d’emplois de l’Etat ne suivait plus la demande. Le souci d’une saine régulation des flux inspira des appels à candidatures, des examens, des concours. Malheureusement, la compétition ne tarda pas à s’égarer sur les sentiers tortueux des pistons, dans les marécages fétides des recommandations et des passe-droits. Le bal masqué s’anima avec l’entrée en force de la politique. L’emploi s’obtenait au bout de quelques critères non écrits : il faut être bien né, avoir pignon sur rue, bénéficier de soutiens à grosses bretelles, appartenir à certains cercles ou réseaux où tout se joue et se monnaye à coups de notes sexuellement transmissibles.
Beaucoup de jeunes, plus candides que réalistes, n’avaient pas encore compris le fonctionnement du système. Ils continuaient de voguer dans les brumes d’un rêve sans lendemain. Ils se berçaient de douces illusions. Ils passaient le plus clair de leur temps à rédiger des demandes d’emploi, à se mirer dans des cartes de visite qui clamaient leurs titres et grades. Et ils allaient, d’entreprise en entreprise, disséminant derrière eux, la semence infertile. Les gens de Porto-Novo diront : « Nou tata ma non ta ». « Circulez, il n’y a rien à voir », car tout ce qui est mis ainsi en batterie n’est qu’un pétard mouillé.
Revenus de leur rêve pour certains, sortis de leur cauchemar pour d’autres, ces jeunes jurèrent, devant Dieu et devant les hommes, qu’on ne les y reprendra plus. On peut une fois se tromper. On peut quelquefois se tromper. Mais on n’a pas le droit de se tromper ou de se laisser tromper chaque fois et toutes les fois. Les uns enfourchèrent une moto. Ils forcèrent ainsi les portes d’une profession, celle de conducteurs de taxis-motos ou « Zémidjan ». Les autres se transformèrent en vendeurs d’essence de contrebande le long des artères des grandes villes. D’autres encore signèrent un long bail avec la débrouille au quotidien. Ils s’efforcèrent de faire leur trou. En somme, la survie au prix d’une suite sans fin de jongleries. L’emploi rêvé fuyant les uns et les autres et la vie étant loin d’être rose pour tous, ces jeunes, devenus, par la force des choses, des laissés pour compte, décidèrent de régler son compte à leur société.
Beaucoup entendirent l’appel du large. Ils se jetèrent à l’eau, abandonnèrent tout derrière eux pour d’improbables odyssées. Jusqu’au jour où parents, proches et amis apprirent la pénible et terrible nouvelle : leur enfant a fracassé sa pauvre existence contre les houles fatales de l’aventure au large des côtes de la Méditerranée. Un mort sans sépulture. Une tombe anonyme, sans épitaphe.
D’autres jeunes, pour échapper, croyaient-ils, à la misère, s’organisèrent en gang de braqueurs. Ils terrorisèrent leurs concitoyens qu’ils dépouillaient de leurs biens. Avant qu’ils ne furent dépouillés à leur tour. Dans le droit fil de ce qui arriva à l’arroseur. On le sait : la vindicte populaire ne fait pas de quartier. Les balles des policiers non plus.
D’autres, enfin, en desperados qu’ils étaient devenus, estimaient n’attendre plus rien de la vie. Ils se transformèrent en machines à tuer. Comme s’ils voulaient s’offrir un feu d’artifice de sang avant de mériter les délices du paradis.
Vous l’aurez constaté : c’est au passé que nous avons déroulé cette marche vers l’abime. La question de l’emploi, de l’emploi des jeunes notamment, est d’une brûlante actualité. Loin de tout artifice d’écriture. Cette question est là, sous nos yeux. Elle est là sous la forme d’une bombe. Nous n’avons pas le choix : il nous faut la désamorcer
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