En froid avec leur ministre sur la manière dont il conduit le secteur de la culture, les acteurs réunis au sein de la plateforme des confédérations et fédérations d’artistes et d’acteurs culturels du Bénin viennent de publier un plaidoyer qui compile les principaux griefs qu’ils ont contre les réformes du ministre N’Koué.
A un moment où le parlement s’apprête à amender et voter le budget de l’Etat, l’occasion est propice pour livrer à la face du monde, les trois points de leur revendication. On y découvre, leur opinion sur la gestion du secteur et leurs propositions pour l’essor culturel et touristique du Bénin sous le régime de la Rupture.
PLATE FORME DES CONFEDERATIONS ET FEDERATIONS D’ARTISTES ET D’ACTEURS CULTURELS DU BENIN
Au sujet des reformes et du projet de budget general de l’etat exercice 2017, au ministere du tourisme et de la culture
Il convient de rappeler que les premiers états généraux de la culture, de la jeunesse et des sports, se sont tenus en 1990, au lendemain et sur recommandation de la conférence nationale des forces vives de la nation de février 1990. Ces assises ont donc accouché de « la Politique Culturelle de la République du Bénin », puis, de la loi N°91-006 du 25 février 1991, portant Charte Culturelle en République du Bénin. C’est donc cette dernière qui réglemente l’animation et le développement culturels du Bénin ; elle décline notamment, les mécanismes de financement de la cultureau Bénin. Au nombre de ces mécanismes, la loi, en son titre VI intitulé « DE L’AIDE A LA CREATION » a institué en ses articles 29 et 32, la création d’un FONDS D’AIDE A LA CULTURE, en vue de « la réhabilitation du patrimoine culturel, la stimulation de la création artistique et littéraire et la diffusion de la culture béninoise sur le plan international ». A travers la création du FAC, « l’Etat béninois soutient la jeune création ». Mais déjà en son article 1er, la loi fait de l’Etat béninois, « le principal promoteur du développement culturel national », le droit à la culture étant un droit constitutionnel, un droit de l’Homme.
Les dispositions sus indiquées précisent donc clairement les fondements et la mission du FAC, à savoir, apporter de l’aide aux créateurs d’œuvres de l’esprit. Le FAC est donc l’instrument par lequel l’Etat apporte son appui financier aux créateurs d’œuvres de l’esprit. C’est donc à cette fin, et à cette fin seulement que le FAC a été créé le 24 août 1992 par le décret N°92-242, puis placé sous la tutelle du Ministère en charge de la Culture ; et en tant que structure autonome, seules les dispositions de la loi 94-009 du 28 juillet 1994 portant création, organisation et fonctionnement des offices à caractères social, culturel et scientifique, lui sont applicables.
Près de deux décennies après l’avènement de la loi portant Charte culturelle, l’Etat béninois a jugé opportun de marquer un arrêt afin d’évaluer son application ; d’où la tenue du Forum national sur la culture, les 27 – 28 et 29 décembre 2007 à Cotonou. Ce fut l’occasion pour l’ensemble des sommités du monde culturel (Artistes et Acteurs culturels, Intellectuels, Universitaires, Décideurs et Hommes politiques, Cadres du Ministère de la Culture), de reconnaitre unanimement que la loi portant Charte culturelle en République du Bénin est un excellent outil susceptible de booster véritablement le développement culturel du Bénin et le développement du Bénin en général, mais, qu’elle n’a été jusque là, que très partiellement appliquée. Par conséquent, la principale recommandation faite par le Forum sur l’évaluation de l’application de la loi portant Charte culturelle en République du Bénin était, que le Ministère de la culture prenne des mesures idoines, en occurrence les textes d’application, en vue de la mise en vigueur véritable de la loi.
Depuis la tenue de ce forum, rien n’a bougé, aucune évolution n’a été enregistrée. Les textes portant administration, organisation, et fonctionnement du FAC ont dont eu le temps de montrer leurs limites. C’est ce qui justifie la soif de réformes exprimée par les artistes et acteurs culturels au lancement du processus de renouvellement du Conseil d’administration du FAC en avril 2016. Il faut le préciser, ce sont les artistes et acteurs culturels qui ont demandé la mise en place des réformes avant la désignation du nouveau Conseil d’administration ; ce n’est nullement l’autorité ministérielle. Au contraire, celle-ci n’a pas joué franc jeu avec les artistes et acteurs culturels, les tournant en rond et les poussant davantage à la division.
Cependant, alors que l’autorité ministérielle jouait au pourrissement de la situation, et à la division, contre toute attente, les artistes et acteurs culturels ont pris conscience du danger qui les guettait de par les dérives de l’autorité ministérielle qui, au lieu de travailler à l’unification de la famille culturelle, profitait plutôt de l’occasion pour poser des actes et prendre des décisions totalement nuisibles au secteur. C’est ainsi, qu’à la faveur d’une rencontre organisée par elle le mardi 09 août 2016, pour tromper la vigilance des artistes et acteurs culturels à travers la présentation du Fonds des Arts et de la Culture (nouvelle appellation du Fonds d’aide à la Culture), les artistes et acteurs culturels ont saisi l’occasion pour taire leurs querelles intestines. Déjouant la ruse du Ministre Ange N’KOUE, ils se sont constitués en comités de réflexions puis en commission d’élaboration des réformes. Du 09 au 25 août (durant 02 semaines donc), ils ont travaillé d’arrache pieds pour enfin élaborer un document consensuel de propositions de réformes portant sur l’administration, l’organisation et le fonctionnement du Fonds des Arts et de la Culture. Ce fut pour eux, l’occasion de mettre à nu sans aucune complaisance, les plaies qui minent la gouvernance du FAC et d’y apporter des solutions radicales et contraignantes tant pour eux-mêmes que pour l’administration, parce que inspirées des règles internationales. Le rapport de la commission a été déposé au Ministre depuis le 26 août.
Force est de constater qu’à ce jour, le Ministre ange N’KOUE est resté muet et distant, évitant désormais toute rencontre avec les acteurs, mais préférant élaborer à son seul niveau, à l’insu des acteurs, de nouvelles mesures qu’il appelle pompeusement « Réformes », mais qui sont totalement en déphasage avec les règles universelles de financements culturels, contraires à l’esprit de la loi 91-006 du 25 février 1991 portant Charte culturelle en République du Bénin. Ainsi, par exemple, le Ministre N’KOUE pense remplacer le système actuel de subventions prévu par la loi, par un système de micro crédits ou de « banque de prêts culturels ». Par ce système, tout créateur d’œuvres de l’esprit sera contraint d’aller faire des emprunts bancaires pour la réalisation de ses œuvres, lesquelles œuvres sont destinées à promouvoir la culture béninoise, assurer le rayonnement culturel du Bénin. Ce qui est absolument antinomique et contradictoire, car, au terme de l’article 1er de la loi portant Charte Culturelle, « l’Etat béninois est le principal promoteur du développement culturel national. »
S’il est donc vrai que l’Etat est le principal promoteur du développement culturel national, il est aussi vrai que pour assurer cette fonction, il a besoin de nouer des partenariats avec les artistes et autres regroupements corporatistes en vue de l’aider, vu que lui-même ne peut le faire ; par conséquent, l’Etat ne peut pas demander à ces partenaires d’aller faire des emprunts pour venir l’aider à accomplir sa mission. Et c’est en connaissance de cause que le législateur a prévu un certain nombre de mécanismes de financement dont le « Fonds d’Aide à la Culture » qui a pour mission de « soutenir la jeune création » (art. 32 de la Charte).
C’est donc par pure méconnaissance, voire par pur mépris, de la loi que le Ministre N’KOUE défend cette nouvelle trouvaille par laquelle il dépouillera le FAC d’une importante partie de ses ressources.
En effet, dans le projet de budget exercice 2017, le ministre N’KOUE a prévu pour cette activité, 6 milliards 561 millions de FCFA au titre de Fonds de bonification des crédits des projets culturels (voir chap. 56 011 511 00). En d’autres termes, ce fonds sert à payer aux banques, les intérêts générés par les prêts qu’elles auraient accordés aux artistes et acteurs culturels, ces derniers devant rembourser eux-mêmes les capitaux. C’est purement et simplement une grosse supercherie pour détourner tranquillement les ressources destinées à financer les créateurs d’œuvres de l’esprit, et pour cause ?En faisant un petit calcul, on s’aperçoit tout simplement qu’on ne peut pas consacrer tant de ressources pour servir de bonification, car, pour 6 milliards 561 millions de bonification, il faudrait que les banques accordent des prêts de plus de 100 milliards de FCFA en une seule année. Ceci est irréalisable, car il faudrait pour cela, que les banques accordent un prêt individuel de 20 millions à au moins 5000 artistes et acteurs culturels. C’est cela la supercherie ; c’est impossible et c’est irréaliste. Aucune banque n’ira à cette hauteur de prêt pour le compte d’un artiste, et aucun artiste ne peut rembourser une telle somme. Par ailleurs, comment comprendre qu’au moment où le Ministre accuse le FAC d’être budgétivore, alors qu’il était réduit à un budget de 2 milliards 400 millions, il préfère jeter 6 milliards 561 millions dans les banques au titre de bonifications ? C’est tout simplement une grosse supercherie que nous n’accepterons pas.
Ce qui est retenu dans les propositions de réformes au FAC formulées par les acteurs eux-mêmes, et qui se pratique déjà d’ailleurs, c’est plutôt un « Fonds de garantie et de financements des entreprises et industries culturelles », qui n’est pas destiné à financer des artistes individuels ni des associations, mais plutôt des entreprises et industries culturelles qui ont un objet commercial, soit pour les accompagner auprès des banques qu’elles sollicitent en payant (contre remboursement ultérieur) les garanties bancaires, soit en leur accordant directement des prêts remboursables.
Au regard de ce qui précède, le Fonds de bonification (qui n’est qu’un leurre) devra être supprimé, et les ressources réorientées vers le FAC pour une utilisation plus juste au bénéfice réel des artistes. C’est notre position, et elle est non négociable.
Dans le même ordre d’idées, au chap. 56 012 511 00, il est prévu un crédit de 5 milliards 556 millions de FCFA pour « Promotion des talents et Renforcement des capacités dans le secteur de la culture », et le Ministre N’KOUE a érigé cette activité qui relève du FAC au regard de ses attributions, en un projet. Or, ceci n’a rien d’un projet puisque n’étant pas une activité nouvelle.
En effet, la promotion des talents et le renforcement des capacités des acteurs de la culture relèvent des attributions du FAC, et ont toujours fait l’objet chaque année, de TDR pour l’appel à projets du FAC. Le décret portant AOF du FAC indique clairement que le FAC a pour attributions, entre autres de :
– financer des programmes de création et de développement des activités artistiques et culturelles ;
– préserver et promouvoir le patrimoine culturel ;
– contribuer à la formation et au renforcement des capacités des acteurs culturels.
Les réformes proposées par les acteurs, ainsi que le document portant note de présentation du FAC (préparé par le Ministre lui-même) vont encore plus loin lorsqu’elles évoquent par exemple :
-préservation et mise en valeur du patrimoine culturel et du patrimoine naturel à caractère culturel ;
-éducation de la couche juvénile aux arts et à la culture
-stimulation de la création artistique et littéraire….
C’est dire donc que le Ministre N’KOUE n’invente rien de nouveau et ne peut donc parler de projet concernant ces activités qui sont du ressort du FAC. Il ne peut non plus évoquer les raisons de bonne gouvernance pour justifier ces décisions insincères, d’autant que, soustraire la gestion de ces ressources au FAC et les concentrer à son propre niveau, signifie qu’elles échappent à tout contrôle , elles courent même le risque de ne pouvoir être utilisées ; alors qu’il s’agit simplement de renforcer les mécanismes de gestion et de contrôle au niveau du FAC qui plus est, est doté d’un Conseil d’administration, pour garantir une bien meilleure gouvernance. Et d’ailleurs, parlant de mauvaise gouvernance du FAC, le Ministre, lors de la présentation de son budget devant la commission budgétaire, a déclaré que les membres de la délégation de la plate forme ont régulièrement bénéficié chacun de 20 millions de francs et que ce sont eux qui ont pillé le FAC. Nous voudrions dire publiquement ici, comme nous l’avions déjà fait lors d’un point de presse, le 16 novembre dernier, qu’à travers ses déclarations, le Ministre a menti aux honorables députés, car aucun de nous n’a jamais bénéficié d’un tel financement. C’est dire que pour justifier ses actes, le Ministre use de tous les moyens, allant des soudoiements jusqu’au mensonge.
Au total, s’il est vrai que le président Patrice TALON a respecté ses engagements en faveur du secteur de la culture, en augmentant considérablement son budget passé de 6 milliards 500 millions à 35 milliards 700 millions, force est de constater que le Ministre Ange N’KOUE cherche à détourner du FAC, plus de 21 milliards de ses ressources, en créant de pseudo projets. On ne peut d’ailleurs pas comprendre comment le budget global du Ministère puisse connaitre un tel accroissement, et que celui du FAC n’en connaisse pas du tout et soit maintenu à son niveau d’abattement de 2 milliards 400 millions. Et le Ministre d’expliquer pour se justifier, qu’il s’agit là, des ressources destinées au « fonctionnement ». Mieux, il affirme que le FAC est la « seule structure à avoir un tel budget de fonctionnement ». Mais alors, quel est donc le montant du budget total du FAC ??? Le Ministre reste muet, mais bien à dessein. La raison est que le ministre est un surdoué de la supercherie. Faisons une petite analyse.En considérant que le budget de fonctionnement du FAC est de 500 millions pour un budget global de 5 milliards, et en faisant un petit calcul, on se rend facilement compte que pour que le budget de fonctionnement du FAC soit de 2 milliards 400 millions de FCFA comme le dit le Ministre, il faudrait que le budget global du FAC soit de 24 milliards. Et lorsqu’on scrute bien le projet de budget, on s’aperçoit qu’effectivement, ce montant de 24 milliards correspond bel et bien à la somme des chapitres 52 044 521 00 (Fonds des Arts et de la Culture), puis : 56 010 511 00 – 56 011 511 00 – 56 012 511 00 et 86 013 812 00 (dont les activités relèvent dans la quasi-totalité du FAC). Mais le Ministre n’en parle pas et entretient le flou, afin de détourner tranquillement ces ressources, et c’est à cette fin qu’il refusait le lancement de la saison artistique.
Au regard de tout ce qui précède, nous exigeons :
1- L’arrêt immédiat de la supercherie orchestrée par le Ministre N’KOUE,
2- L’affectation pure et simple des crédits et des activités inscrits aux chapitres sus-indiqués dans le seul portefeuille du FAC,
3- Le lancement par le FAC, sur validation du Conseil d’Administration, dans les jours qui viennent, de la saison artistique et de l’appel à projets 2017, sur la base du montant global de 24 milliards, et des activités relevant de ses attributions classiques qui, du reste, n’ont connu jusqu’alors, aucune modification ; c’est ainsi, et ainsi seulement, que se fera l’exécution des chapitres sus-indiqués, abusivement appelés projets.
On ne négocie pas sur une supercherie ; ces exigences sont donc non négociables. Et nous
tiendrons personnellement le Ministre Ange N’KOUE pour responsable de l’aggravation de la crise dans le secteur, et des déconvenues qui découleraient de la non satisfaction de ces exigences.
Nous ne nous laisserons pas faire ; nous invitons tous les artistes et acteurs culturels, sur toute l’étendue du territoire national, à rester mobilisés pour les actions prochaines, et à faire preuve de vigilance face aux actes de soudoiements, d’intoxication, de sabotage, d’infiltration, et aux mensonges qu’entretient le Ministre N’KOUE, avec malheureusement la collaboration de quelques vils individus tapis dans nos rangs qui pensent pouvoir gagner des postes ou de l’argent en jouant les faux conseillers. Nous voudrions les prévenir que la révolution qui se prépare dans le secteur risque de les emporter à jamais.
Vive les artistes et acteurs culturels du Bénin.
Vive la culture béninoise.
Vive le FAC.
LA PLATE FORME
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