Usa: L’Amérique profonde vote pour un impossible retour au passé

Béninois de la diaspora et résident aux Usa depuis une vingtaine d’années, notre collaborateur Jean F.Houessou  Consultant est un grand observateur de la vie politique américaine. Il  livre ici  sa réaction à chaud sur les raisons profondes du choix de Donald Trump

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« Make America great again » ou « Faire en sorte que l’Amérique  redevienne une grande Nation », tel fut le slogan de Trump qui vient de remporter les élections présidentielles.

En conclusion de notre précèdent article sur les élections américaines de 2016, nous écrivions :

« Au total, on peut dire que les USA sont à un carrefour, ou ils peuvent choisir de tenter d’inverser à leur profit le cours de la globalisation, dans l’espoir de reconquérir une position ultra-dominante et préserver un mode de vie et des niveaux de revenus largement supérieurs à ceux des autres populations, tout en générant des superprofits pour leurs capitalistes, ou alors de réformer la société et l’économie des USA pour une meilleure répartition des richesses -encore phénoménales – produites dans leur pays, et une meilleure adaptation de leur population a un monde en changement, où les rapports de force sont en constante évolution. »

Aujourd’hui, on peut dire que l’Amérique profonde a choisi la première option, celle de tenter de reconquérir une position ultra-dominante dans le monde, rejetant les conséquences de la globalisation pour son économie et son mode de vie.

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La victoire de Trump peut s’analyser selon plusieurs facteurs, mais trois nous paraissent déterminants :

  • La révolte des laissés pour compte de la globalisation
  • Le rejet de la classe politique traditionnelle
  • Les faiblesses de la candidature d’Hillary Clinton

Les nombreuses promesses du candidat Trump seront difficiles à tenir, même avec un parlement uniformément républicain. Mais il est certain que son élection va provoquer une redistribution des cartes à l’échelle mondiale et entraîner des questions sur la place et le rôle des Etats Unis, leur caractère de modèle démocratique, servant d’inspiration ou imposé aux pays tiers.

La révolte des laissés pour compte de la globalisation

Au cours de ces élections, Trump a réalisé ses meilleurs scores dans les comtés ruraux de l’Amérique profonde et dans la population des travailleurs manuels blancs, en particulier celles des régions désindustrialisées ou « Rust Belt ». Ces travailleurs de l’industrie manufacturière, licenciés, ou réduits à des emplois moins payés, ou sans protection sociale (assurance santé, retraite…), voire petits boulots, suite à la délocalisation de leurs entreprises sont les laissés pour compte de la globalisation. Résignés par le passe, ils ont trouvé dans les promesses démagogiques du milliardaire Trump, la réponse à leur désarroi. Sortant de leur torpeur et apathie, ils se sont mobilisés en grand nombre  pour voter Trump, accroissant le nombre de votants blancs dans ces régions.  Ainsi a-t-il pu gagner en Pennsylvanie  ou les aciéries de Pittsburg sont un lointain souvenir, en OHIO, ou le déclin de la sous-traitance automobile et la disparition de la métallurgie a transformé des villes comme Youngstown en degré zéro de la friche industrielle. Le Michigan, berceau de l’industrie automobile largement délocalisée à Mexico et ailleurs penche pour Trump , en attendant les résultats définitifs. Les autres états désindustrialises comme INDIANA (autrefois réputée pour les caravanes et camping-cars), le Wisconsin (autrefois centre des industries mécaniques de précision) ont  également voté majoritairement Trump.

Les populations des campagnes elles sont secouées par les changements démographiques ( accroissement des populations non blanches) et culturels ( acceptation des homosexuels par exemple…) dans lesquelles ils ne reconnaissent pas l’Amérique de leurs pères ( « American as we know it »).Pour eux le slogan « take our country back », ou «  reprenons le contrôle de notre pays » sonne merveilleusement le retour à une Amérique majoritairement blanche ou noirs et autres populations de couleur étaient relègués a une situation de citoyens de seconde zone cantonnés dans des emplois subalternes. Dans les comtés ruraux de l’Amérique profonde – plaines du centre, états ex- ségrégationnistes du Sud-, Donald a raflé la mise, avec des marges de victoire (60% et plus) peu courantes dans le système à deux partis des USA.

Cette révolte des laissés pour compte de la globalisation et des nostalgiques d’une Amérique uniformément blanche a été confortée par le rejet de la classe politique, perçue comme manquant de sincérité et en collusion avec les puissants.

Le rejet de la classe politique traditionnelle

Le mouvement d’extrême droite, Tea Party, aux connotations racistes est né après la grande récession de 2008 comme une protestation contre les aides accordées aux banques et  aux familles affectées par les saisies hypothécaires de leusr maisons. Ce mouvement a popularisé la méfiance -déjà présente – envers la classe politique traditionnelle ( républicains et démocrates) présentés comme des « vendus «  aux puissances financières et industrielles, et inaptes à prendre en compte les demandes des citoyens.

Donald Trump a su utiliser cette critique pour battre ses concurrents républicains, puis contre Hillary , présentée comme un politicien dont les 30 ans de carrière en politique sont exhibés comme acte d’ accusation.

Cette critique d’extrême droite rejoint parfois la critique de gauche qui dénonce l’influence démesurée des lobbys –organisés et légaux- de l’industrie et de la finance, la collusion des députes et sénateurs, avec le patronat. Bernie Sanders se fera le porte-parole de cette critique de gauche, insistant sur les rapports « incestueux » d’Hillary Clinton avec le mode de la haute finance (Goldman Sachs etc…). Trump dont la fortune peut être liée à des contrats de cession complaisants, se présentera comme l’anti-politicien, finançant sa campagne sur ressources propres, et prêt à en découdre avec la classe politique traditionnelle, présentée comme corrompue, avec Hillary Clinton son archétype.

Ce discours anti politicien a eu des échos, en particulier auprès de la jeunesse. Celle-ci ne s’est pas mobilisée pour Hillary Clinton contrairement aux deux campagnes d’Obama, préférant s’abstenir de voter ou votant pour les candidats de la frange sans aucune chance de victoire.

Les faiblesses de la candidature de Hillary Clinton

Dans le contexte de rejet de la classe politique et de révolte contre la globalisation, les faiblesses inhérentes de la candidature d’Hillary Clinton ont été amplifiées contribuant à sa défaite inattendue.

La principale faiblesse que les républicains ont exploité avec –diront certains l’aide du FBI- a été la controverse sur l’utilisation d’un serveur privé pour abriter les courriels confidentiels du Secrétariat d’Etat. Cette erreur qu’elle finira par reconnaitre, l’enquête à rebondissement du FBI (y compris à 2 semaines des élections), les attaques incessantes des républicains, ont réussi à peindre d’Hillary l’image d’une personne en qui on ne pouvait faire confiance, ceci en dépit de l’absence de preuve de malhonnêteté. A cette controverse, se sont ajoutées les critiques sur le financement de la Fondation Clinton par des étrangers –notamment saoudiens- et l’accès aux arcanes du pouvoir par ceux-ci, tout ceci renforçant les critiques sur les liens entre le monde  de la haute finance et les Clinton.

Handicapée par ces problèmes –et probablement une dose de misogynie inavouée au pays des cow- boys-, Hillary Clinton n’a pas pu ou su générer l’enthousiasme des minorités ( noirs, hispaniques, asiatiques) et surtout des jeunes qui avaient contribué à élire et réélire Obama.

Quelles conséquences pour l’Afrique et le monde ? 

Il est trop tôt pour analyser toutes les conséquences de l’élection de Trump comme président des USA. La bourse de New York semble voter négativement avec une anticipation de  chute de plus de 5% à l’ouverture. Trois éléments nous semblent se dessiner.

  • Une politique extérieure isolationniste et impériale à la fois: Trump a clairement indiqué sa préférence pour l’isolement de l’Amérique, menaçant de mettre en question les alliances avec le Japon et la Corée du Sud, la participation dans l’OTAN. Dans le même temps, il espère faire jouer à l’Amérique un rôle de premier plan sur la scène internationale, faire respecter et craindre l’Amérique.

Des accords internationaux comme celui sur la lutte contre le réchauffement climatique, ou les accords de libre-échange seront probablement renégociés ou non ratifiés si on s’en tient aux discours du candidat Trump.

Les relations avec la Chine et la Russie connaitront une nouvelle orientation avec un axe de sympathie Moscou-Washington et une agressivité marquée à l’encontre de la Chine.

L’Afrique n’a pas été au cœur des débats électoraux et on peut supputer que Trump n’en a qu’une connaissance limitée et n’y porte pas un grand intérêt. Les menaces terroristes et la lutte contre celles-ci pourraient forcer un intérêt passager. Les transnationales américaines elles continueront leur conquête du continent et de ses ressources. Des programmes comme AGOA ou MCC seront peut-être remis en cause par une administration TRUMP tournée vers l’isolationnisme.

  • Un environnement économique incertain : Avec ses promesses de renégocier les accords d’échange, Trump introduit plus d’incertitude dans les relations commerciales internationales et cela aura des conséquences sur le commerce. Le rôle du dollar comme monnaie de référence (et son cours) seront soumis à de nouvelles interrogations, ce dès le 9 Novembre, ceci parce que les partenaires mondiaux réaliseront le caractère incertain, voire imprévisible de la politique américaine.

Le programme économique de Trump, plutôt vague, repose sur des réductions d’impôts. Les effets de ceux-ci –s’ils sont mis en œuvre- sur l’économie des USA et du monde sont à double tranchant : possible relance de l’activité – qui n’est pas stagnante comme en Europe-, mais augmentation des déficits.

  • Une redistribution des centres de pouvoir et d’influence : Une ironie du sort sera peut-être que la recherche d’un retour à l’hégémonie américaine se traduira par une réduction de l’influence et du pouvoir des USA sur le monde.

Déjà l’Europe se posait en alternative au monde bipolaire (USA-Russie) hérité de la guerre froide.

 La chine devenue 2eme puissance économique mondiale entend réclamer sa place dans la conduite des affaires du mode.

Le Japon et la Corée du Sud, longtemps arrimés à l’Amérique responsable de leur défense, vont certainement réévaluer leur situation au vu des déclarations du candidat Trump, des menaces et provocations de la Corée du Nord, de l’affirmation de la Chine comme puissance régionale et mondiale.

Les Etats de la périphérie, comme ceux du Moyen Orient ou d’Amérique Latine, et ceux émergeants (Nouveaux pays industrialises d’Asie,…)  vont probablement réévaluer leurs situations et alliances formelles et informelles au vu des déclarations et publiques du nouveau président américain.

Tout ceci devrait se traduire par une réduction de l’influence morale et politique des Etats Unis qui auront plus de mal à se présenter comme le modèle d’une démocratie tolérante et inclusive.

Les mois et années à venir donneront la mesure exacte de ces conséquences, mais il est clair que cette élection de TRUMP comme successeur d’Obama qui avait soulevé tant d’enthousiasme et d’espoir, sonne le glas de l’Amérique comme « Suning city on a Hill » (cité brillante sur la colline que Ronald Reagan évoquait

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