Fermeture d’organes de presse : pourquoi la responsabilité du Gouvernement est engagée

Le 28 novembre 2016, par une décision prise par son Président M. Adam Boni Tessi, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) a suspendu sept organes de presse.

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A savoir, Radio Soleil Fm et les chaines de télévision Sikka Tv, Eden Tv, E-télé, La Béninoise Tv, La Chrétienne Tv et Unafrica Tv. Dans le fond comme dans la forme, la décision est inédite sous l’ère du renouveau démocratique. Pour la simple raison qu’après 26 ans d’aventure démocratique elle est sans précèdent en considération du nombre de médias concernés. Or, depuis 1990, les Béninois ont toujours, sans ambiguïté aucune, exprimé leur attachement à la démocratie.  De sorte que la liberté de la presse, quoi qu’elle pose quelques problèmes, peut être envisagée, somme toute, comme le fameux « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (pour parler comme Nietzche) de la démocratie béninoise. Pour faire court, la décision de la Haac révèle des inquiétudes quant aux ambitions démocratiques de notre pays. Sans aucun procès d’intention, est-ce un signe annonciateur de ce que sera la liberté de presse sous le régime du Nouveau Départ ? Autrement, peut-on comprendre que, quelques semaines après l’élection du Président Patrice Talon, dans les conditions et circonstances que nous savons tous, sept médias soient fermés de façon si expéditive et si arbitraire ? Dans son projet de société intitulé le « Nouveau départ », le candidat Patrice Talon a promis de « rétablir un Etat respectueux des principes de la démocratie ». Entre une telle affirmation et la décision de la Haac, il y a lieu de soulever le débat sur la responsabilité politique du président de la République, Patrice Talon.  Et ce, sans pour autant perdre de vue que cette décision porte en elle un débat juridique sur les prérogatives de la Hacc qu’il faut vider avant toute analyse.

La Haac peut bel et bien fermer un média, mais…

Nous sommes dans un Etat de droit. Nul n’est au-dessus de la loi. Les contrats régulièrement conclus constituent des lois pour les parties. Au regard de ses principes juridiques élémentaires mais fondamentaux, les médias concernés par la décision devraient saisir la justice pour que le droit soit dit. Bien évidement s’ils estiment que la Haac, par cette décision, a violé la convention qui les lie.  Pour ceux d’entre ces médias qui n’ont aucun contrat avec la Haac, mais plutôt avec des sociétés de productions, la même démarche serait salutaire si tant est que lesdites sociétés sont en conformité avec les lois béninoises qui régissent le secteur de la production audiovisuelle. Certes, dans sa mission de protection et de régulation, la Haac peut apporter des limites à la liberté de presse. Dans tous les cas, ces limites concernent  notamment les domaines du « respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, à la sauvegarde de l’ordre public, de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale, aux besoins de la défense nationale, aux nécessités de service public, aux contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication…» (Confère l’article 3 de la loi organique du 21 aout 1992 relative à la Haac, amendé en 1994). En l’espèce, des éléments factuels avérés existent-ils pour soutenir que nous sommes en présence de l’un des domaines de limitation prévus par les textes ? Non. Mieux, les prérogatives de sanction dont dispose la Haac ne s’exerce que suivant une procédure légale.  En effet, au terme de l’article 46 de la loi organique sur la Haac, « en cas de violation des obligations prescrites par les Lois et les règlements, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication met en demeure les titulaires d’autorisations pour l’exploitation d’un service de presse de communication audiovisuelle, de respecter les obligations qui leurs sont imposées. La mise en demeure est rendue publique en cas de récidive ». Ce n’est qu’après une mise en demeure que la Haac peut prendre une décision de suspension (confère l’article 47 de la loi organique sur la Haac). Or, dans sa forme la décision de la Haac ne respecte en rien cette procédure.

Les marges de manœuvre de l’Exécutif

Trois indicateurs sont souvent convoqués pour apprécier dans sa globalité la gouvernance politique d’un régime. Premièrement, les normes et les pratiques politiques en vigueur dans le pays. Ici, il s’agit de savoir si l’on a fait ce qu’on doit faire face à une situation donnée. Ensuite, quand il s’agit d’un nouveau régime, on convoque l’offre politique présentée par le candidat élu. Cette démarche permet de comprendre si l’on a fait ce que l’on a promis de faire. C’est-à-dire si la parole donnée est respectée. Enfin, on apprécie par rapport au régime défunt dans une démarche comparatiste dont l’objectif est de rechercher si un progrès qualitatif est enregistré.

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En convoquant les normes et la pratique, on élève le pouvoir de la vérité. En matière de la liberté de presse, la vérité du constituant de 1990 est claire : la liberté de presse est reconnue et garantie par l’Etat (l’article 24 de la constitution du 11 décembre 1990). On convient que tout ce qui est reconnu et garanti par l’Etat dans la constitution engage implicitement la responsabilité du Chef de l’Etat. Car, n’est-il pas le garant du respect de la constitution ? Cette prérogative de garant du respect de la constitution fait du Président de la République, en toutes circonstances (il faut le préciser), le point central du fonctionnement de notre système politique. Par conséquent, que ce soit l’animation des institutions de la République ou le déploiement de l’appareil de l’Etat, le Chef de l’Etat ne peut pas trahir les convictions et les ambitions démocratiques renouvelées du peuple béninois dont il est par excellence l’émanation. Autrement, si les agissements, même au nom du principe de la séparation des pouvoirs, d’une institution constituent une violation de la constitution dans ses lettres ou dans son esprit, c’est un devoir pour le Président de la République de l’empêcher. A cet effet, le gouvernement dispose de deux moyens juridiques. Premièrement, par conviction et sous le leadership politique du président, le gouvernement pourrait déférer en procédure d’urgence (voir l’article 120 de la constitution) la décision de la Haac devant la Cour Constitutionnelle. Qu’importe la décision de la Cour, une telle démarche serait salutaire et très symbolique. Le second moyen dont dispose le gouvernement est la possibilité de consulter la Cour Suprême, sur le fondement de l’article 132 de la Constitution, aux fins de requérir l’avis de la haute juridiction sur la portée et les conséquences de la décision de la Haac sur le principe de la liberté de presse en particulier et les acquis démocratiques dans notre pays en général. Mieux, les deux moyens peuvent être évoqués et mis en branle simultanément par le gouvernement. Cela aurait été un signal très fort. Autrement, que ferait le gouvernement, si un Président de la Haac, au nom de ses prérogatives de régulation de la liberté de presse, décide d’interdire les activités de l’Ortb ? Le gouvernement dira qu’il s’agit de la séparation des pouvoirs ? Comme précédent, lors des élections présidentielles de 2006, sur une requête de la Cena (Commission électorale), la Cour constitutionnelle se fondant sur sa prérogative de régulatrice de l’activité des pouvoirs publics, avait décidé de reporter au 22 mars 2006 le second tour initialement prévu pour le 18 mars 2006. Mais, le général Mathieu Kerekou s’y est opposé en convoquant le corps électoral pour le 18 mars au motif qu’il est le garant du respect de la constitution.

Une régression

A l’instar des normes et la pratique, en considération de « ce qui se faisait » et de « ce qui se fera » désormais, il y a encore matière à débattre.  La promesse du candidat Patrice Talon de « rétablir un Etat respectueux des principes de la démocratie » parait légitime. Car, c’est une évidence que le régime de Boni Yayi n’était pas une référence en matière de respect des principes de la démocratie. Fort de cela, en cautionnant la fermeture de  sept médias une même journée, le président Patrice Talon se retrouve dans une posture de trahison de ses convictions démocratiques.  Par ailleurs, s’il s’agissait réellement de faire respecter les normes en vigueur ou les conventions, la décision de la Haac devrait prendre en compte l’ensemble des médias qui se retrouveraient en situation de violation des textes. Or, d’une part, les médias concernés sont ceux dont les lignes éditoriales ne sont plus favorables au régime du Nouveau Départ. Et, d’autre part, certains médias (précisément trois), dans la même situation que ceux fermés, ne sont pas du tout inquiétés. Quand on convie dans le débat la proximité des promoteurs desdits médias avec l’actuel régime, il y a de quoi émettre des réserves sur ses convictions démocratiques.  Contrairement à ce qui a été annoncé par le candidat Patrice Talon, nous avons régressé avec cette décision de la Haac. Car le régime défunt n’a jamais franchi ce rubicond malgré l’engagement et l’activisme de certains médias contre sa gouvernance.

Pour conclure, dans toutes les démocraties modernes, les relations entre le pouvoir et la presse n’ont jamais été simples.  C’est tantôt le grand amour, tantôt le désamour total. Est-ce pour autant qu’il faut bannir la liberté de presse ? Non. Car tuer la liberté de presse, c’est tuer simplement la liberté.  Et tuer la liberté, c’est tuer la démocratie. Le général de Gaulle disait, à propos de Sartre qui s’agitait trop au nom de la liberté de penser, « la République n’enferme pas son Voltaire ». Au Bénin, la liberté de presse est notre Jean-Paul Sartre. C’est notre Voltaire, notre Emile Zola ! Comment peut-on expliquer à l’histoire que la République du Bénin, que préside Patrice Talon, a pu mettre en prison, la liberté de presse, notre Voltaire ? Cette décision de la Haac restera une tache indélébile dans la conscience démocratique du régime du nouveau départ. A jamais !

Djidénou Steve Kpoton
Citoyen Engagé/ JLB Promotion 2015

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