Interview : Me Alao conseille d’assigner le préfet Toboula en justice

Exécutée avec un impitoyable déchaînement, l’opération de déguerpissement qui a cours à Cotonou ne respecte pas les dispositions légales selon l’avocat et acteur de la société civile béninoise Me Sadikou Alao qui explique que les victimes peuvent assigner le préfet Modeste Toboula en justice pour obtenir des réparations.

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Lnt : Depuis peu, le gouvernement a lancé une opération de libération de l’espace public. Quel est votre appréciation de cette opération ?

Me Alao : Vous savez que depuis quelques semaines, il se poursuit une opération de libération des espaces publics dans les principales villes du Bénin. Ce qui attire l’attention de tout le monde, c’est ce qui se passe à Cotonou. C’est tellement important que ça affecte la vie de nombreuses populations et entraîne leur appauvrissement en même temps que cela sème une brouille sans précédent entre l’autorité de tutelle qu’est le Préfet et le maire de Cotonou. Plus grave, cela entraîne pour certaines populations un sentiment d’injustice, notamment dans le contexte religieux qui est le nôtre. Les musulmans du Bénin, pour ne parler que d’eux, se sentent victimes d’une discrimination (…). La liberté de religion est sacrée au Bénin. La société civile qu’est le Gerddes-Afrique a l’obligation d’attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale sur cette situation qui est sans précédent et qui risque de nous emporter loin.

Vous avez mis l’accent sur les musulmans tout à l’heure. Pourquoi eux ?

Tout simplement parce que des actions ont été prises par le Préfet contre la communauté musulmane en disant que les musulmans devraient éviter d’occuper une partie de la voie publique à leurs heures de prières du vendredi. Vous devez savoir que l’occupation de l’espace public est propre à toutes les religions, pas simplement aux musulmans mais à toutes les autres religions. Vous avez les chrétiens qui font exactement à l’occasion des fêtes qui les concernent beaucoup de choses. Vous avez les féticheurs, vous avez les « égoun-goun », pour ne parler que d’eux et vous avez l’intempestive dame de Banamè qui, au contraire, en impose à tout le monde. Les musulmans disent, si eux, ils ne peuvent pas dans certains quartiers où leurs mosquées sont exigües occuper pendant quelques minutes de prière l’espace public, qu’ils se sentent marginalisés(…). Nous devons, en tant que cadres et intellectuels, attirer l’attention de l’autorité publique sur les graves dangers qui font courir au Bénin pour une opération simple d’occupation du domaine public qui plus ne relève pas de l’autorité du Préfet mais de l’autorité du maire.

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Me sur cette question, il convient de souligner que ce ne sont pas que les musulmans qui sont concernés par cette opération. Ce sont tous les citoyens, toutes les confessions religieuses qui sont interdites d’occupation de l’espace public pour quelque activité que ce soit. Pourquoi alors cette focalisation sur les musulmans ? Est-ce que les musulmans ne devraient pas comprendre que l’occupation de l’espace public n’est pas chose admissible ?

Lorsqu’un cortège de l’église chrétienne, catholique ou protestante, lorsqu’on fait passer la vierge dans tous les quartiers à l’occasion de certaines cérémonies, nul ne saurait l’interdire. Nous avons vu la fête des religions endogènes, nous avons vu la fête des « égoun-goun ». C’est tout à faire légal que les gens sortent les masques et défilent toute la journée et les « Egun-gun » ne s’en privent pas tous les mois. La dame de Banamè, elle sort dans toutes les villes du pays, elle fait des manifestations, elle présente même des armes pour l’auto-défense. Ça n’impressionne, apparemment pas ceux qui devaient la réprimer. Alors, les gens se disent que si pour leur prière du vendredi qui ne dure même pas trente minutes, on doit aller les disperser, il y a là une discrimination. Je vous rappelle que même en France, à Paris, tous les gouvernements successifs, et le Bénin n’a de leçon à donner à personne, ont dit clairement que pour les prières du vendredi, l’occupation partielle de l’espace publique est une manifestation de la liberté de culte. Il n’y a que Le Pen (Jean-Marie) et sa fille (Marine) qui ont souhaité voir les gouvernements interdire cette pratique. Mais tous les gouvernements ont dit non ! Si c’était qu’on abandonne les mosquées pour aller prier dans la rue, je comprendrais. Il s’agit d’occupation temporaire pour les mosquées qui sont exigües. Parce que les vendredis, c’est l’appel à la prière globale. Donc, il y a beaucoup plus d’affluence que le nombre de musulmans dans les quartiers. Il y a des quartiers où on n’a pas besoin de prier dans la rue. Prenez par exemple la mosquée centrale de Porto-Novo. Elle est tellement vaste et étagée que quel que soit le nombre de personnes, la voie publique n’a pas besoin d’être occupée. L’essentiel, c’est de réglementer cela, de faire en sorte que la mairie autorise cette occupation partielle, les vendredis. Cela sera normal si c’est protégé par la police.

Au-delà des religions, soutenez-vous que l’opération de déguerpissement qui a cours à Cotonou est mal conduite ?

Oui ! Oui ! Oui ! En fait l’aspect des religions n’est qu’une parenthèse. Les musulmans ne sont pas des êtres exceptionnels, ce sont des Béninois comme les autres, qui ont les mêmes droits et n’ont pas besoin d’être discriminés. Demain quand ce sera les gens de « Egun-gun », vous m’entendrez dire la même chose. Cette opération pose problème si vous avez lu la loi 97-28 du 15 janvier 1999. Cette loi responsabilise le maire pour  la gestion de la cité. L’Etat ne peut pas se substituer au maire dans la gestion de toutes les opérations de la ville même s’il s’agit de la  capitale économique. C’est le maire qui s’occupe de toutes les opérations urbaines de développement, de salubrité et même d’occupation de la voie publique. La loi a prévu une exception. Si le maire manque à son devoir, l’autorité de  tutelle doit lui faire sommation de faire telle ou telle chose. S’il persiste à ne pas faire, la tutelle se substitue à elle et fait ce qu’il y a à faire.  Il ne s’agit pas pour la tutelle de se substituer au maire pour administrer la ville. Ce faisant, le préfet qui dirige les opérations de casse au point d’interdire au maire d’interférer, viole la loi et  il est étonnant que le maire  n’ait pas assigné le préfet en justice pour faire respecter ses droits. Le maire de Cotonou, je le connais à peine, mais les textes sont têtus. C’est lui qui est responsable. L’Etat peut l’aider. L’Etat ne peut se substituer à lui que lorsqu’il est défaillant. Alors dire au maire de ne pas donner des instructions, c’est une faute.

Les citoyens, victimes du déguerpissement n’ont-ils aucun droit face à l’autorité ?

Le Bénin est un Etat de droit. Si l’Etat veut déguerpir quelqu’un qui occupe illégalement un espace public, la loi prévoit que l’Etat doit adresser une sommation à la personne. Si elle ne s’exécute pas, que ce soit le préfet ou toute autre autorité, on doit s’adresser au juge qui autorise l’autorité à faire évacuer la personne manu-militari. Puisque des crimes et des délits ne s’y commettent pas, il s’agit d’une occupation abusive. La procédure, c’est que le préfet s’adresse au juge pour faire l’état des sommations, des refus d’obtempérer et le juge prend une ordonnance pour l’autoriser à évacuer les occupants. Mais ici, on ne fait pas ça. Le préfet dégage les gens, casse et saisit les biens. C’est des saisies illégales qui entrainent sa responsabilité et permettent aux particuliers concernés de réclamer des dommages et intérêts. C’est-à-dire qu’en l’état, les opérations qui se font autorisent les particuliers à poursuivre le préfet pour obtenir réparation. Il faut que les Béninois le sachent. Ce n’est pas une nécessité de manifester, d’aller casser ou de protester. Il faut aller devant les juges. Quelle que soit l’arrière-pensée qu’on a sur les juges, lorsqu’on constate qu’une opération est illégale, il faut venir à la justice. C’est ce que j’exhorte nos compatriotes à faire. J’ai appris qu’on a saisi dans certains magasins. De quel droit une autorité administrative peut saisir les biens d’un particulier qui est constitutionnellement protégé ? Les biens sont protégés par la Constitution. Personne ne peut les saisir  sans qu’une loi ou un juge l’y autorise. Si vous vous taisez aujourd’hui, vous vous tairez demain. Aucun préfet, même si c’est un Général, n’a le droit de faire ça. On n’est pas en état de guerre ou en état d’exception. C’est en état de guerre qu’on prend toutes les mesures pour sauver la majorité. En état d’exception, il y a une loi qui habilite l’autorité. Aujourd’hui, qu’est-ce qui autorise un préfet à aller saisir des biens. C’est irrégulier et la société civile qui se respecte doit le dénoncer pour que l’Etat central sache qu’on ne fait pas les choses n’importe comment. Il y a des lois au Bénin.

Ce qui se fait à Cotonou au Bénin est-il conforme à ce qui se fait dans d’autres villes à l’étranger ?

Dans une grande ville comme Cotonou, il y a des endroits qui sont sacrés, des endroits que nous aimons tous voir. Est-ce qu’un seul individu, un préfet en l’occurrence est censé connaître tous nos désidératas. Des commissions de quartier peuvent être mises sur place pour voir ce qu’on peut sauver et ce qu’on peut évacuer. Ici, on évacue simplement parce qu’on a envie de débarrasser. Aucun pays ne ressemble à un autre. A Paris, il y a des restaurants qui occupent les trottoirs sur les Champs-Elysées. Montréal, Johannesburg… dans toutes les villes, les restaurants occupent les trottoirs, les espaces  publics sous des formes déterminées par la loi avec des contrats réguliers avec la municipalité. Chaque ville a son histoire et son caractère typique.

Le préfet menace de suspendre le maire de Cotonou. En a-t-il le pouvoir ou peut-on y voir une manœuvre politique sous-jacente ?

Je ne veux pas me mêler de politique. Je parle en tant que société civile. C’est vrai, légalement, lorsqu’il y a un tel conflit et qu’il y a des fautes qui sont commises, le préfet a le pouvoir de suspendre mais il n’a pas le pouvoir de remplacer. Ce sont les populations qui remplacent. Quelle que soit la suspension, il ne peut pas nommer un autre à sa place.

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