La tendance baissière du naira et nos ambitions économiques

1- Les dirigeants politiques ouest africains, à leur conférence de Lagos de 1975, avaient envisagé une monnaie communautaire à l’avenir pour la sous-région. Le but visé était de renforcer les liens économiques de leurs pays, entre autres choses.

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Evidemment, cela ne pouvait être du goût de tous de par le monde ! A ce propos, point n’est besoin de rappeler une opposition farouche à ce projet sous d’autres cieux depuis lors. Intérêts économiques, géopolitiques et géostratégiques obligent ! Mais, l’idée d’une monnaie communautaire a, somme toute, fait du chemin. On doit ce progrès à la coopération et aux échanges entre les peuples, sources fondamentales de la loi téméraire de l’inverse proportionnalité  entre le niveau de développement politique, économique, social et moral des communautés et le nombre de leurs monnaies en circulation pour toute période historique en considération. En d’autres termes, l’adoption d’une monnaie communautaire reste une question objective  à laquelle la simple volonté des hommes ne peut rien. Au pire, peut-elle être retardée, comme c’est le cas. Mais, l’empêcher est une mission impossible !

2- D’ailleurs, depuis un certain temps les événements prennent une nouvelle tournure à ce propos. Premièrement, au plan politique et moral, des faisceaux de plus en plus nombreux des populations du continent et d’ailleurs rejettent toutes monnaies de dupes. Ils exigent la souveraineté politique et économique des peuples africains. Deuxièmement, au plan économique, les conséquences de la crise qui secoue le monde depuis 2008 rebattent partout les cartes économiques. Ainsi, pour ce qui nous concerne (au Bénin), l’économie et la monnaie du Nigéria qui ont longtemps eu une puissante influence sur l’économie du sous-continent et le Franc CFA sont aujourd’hui en repli tactique. Ce qui est loin d’être un gage d’avenir radieux pour le Franc CFA et l’économie des pays usagers. Troisièmement  enfin, les dernières élections présidentielles aux Etats-Unis d’Amérique ont ouvert des pages d’incertitude s’agissant de la plus riche puissance au monde, entre autres, sur  les énergies fossiles. Aucun régime responsable, gérant une économie fortement dépendante de l’exportation d’hydrocarbures ne saurait rester de marbre à cette nouvelle donne par ces temps de morosité. Le Nigéria opte probablement pour la proactivité en la matière, en prévision de toutes éventualités.

3- Tous ces faits ont leur part d’influence sur l’évolution du taux de change du Naira. Cette monnaie tend actuellement vers la parité avec le Franc CFA sur le marché parallèle ou informel. Pour caricaturer les choses à l’extrême, on peut dire que la tendance  évolue aux échanges entre le Nigéria et ses voisins vers une base pragmatique de quasi unité monétaire commune de fait.

Or une faible valeur du Naira, couplée à une forte production intérieure qu’entend promouvoir le régime actuel  du pays, aboutira à la circulation d’abondants produits nigérians de faible valeur d’échange mais d’appréciable valeur d’usage, pour un marché comme celui de la sous-région. Par contre les produits similaires  de pays usagers du Franc CFA auront une forte valeur d’échange, pour pratiquement la même valeur d’usage que ceux du Nigéria. C’est clair, les produits du Nigéria pourraient avoir un avantage comparatif sur ceux de ses voisins. Ce pays pourrait ainsi gagner le pari des exportations massives et à terme réaliser sa relance économique, pour autant que la paix sociale, la stabilité politique et la bonne gouvernance sont de la partie. Bref, à l’économie des pays usagers du Franc CFA de renvoyer l’ascenseur à celle du Nigéria !

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4- Quelles seraient les implications de cette situation pour notre économie? That is the question ! Que ce soit pour les produits industriels dans nos villes ou les produits vivriers dans nos zones rurales, la tendance serait à l’opposition entre le « pot de terre contre le pot de fer ». Ainsi, se profilerait l’accroissement de la mévente générale sur nos marchés et l’ensemble de notre pays avec son cortège de licenciements massifs dans les unités de production ou de services, de baisse tendancielle de recettes pour l’Administration Publique, de difficultés collatérales de mise en œuvre de la Loi de finances, etc. Notre sport national, l’importation pour la réexportation pourrait être désespérément dans le désarroi. Le poumon de notre économie, le Port Autonome de Cotonou, serait plus à la peine. Les véhicules d’occasion joncheraient davantage les  parcs automobiles. Les importateurs et autres opérateurs économiques tourneraient plus massivement leur regard vers d’autres horizons. Nos structures financières ou autres investisseurs et bailleurs de fonds pourraient être hantés par l’incertitude et le doute. Autant le dire, nos ambitions économiques pourraient être à l’épreuve. Mais,  nous pouvons user de nos ressources et nous en sortir !

5- Alors, autant envisager au plus tôt, des mesures pour tenir  le désastre à distance. Il urge de passer au crible nos mécanismes de production et de fixation des prix des marchandises pour une meilleure compétition de celles-ci et un marché intérieur plus consommateur. Le temps est venu d’arrêter de mêler la politique à tout, aux services publics et à la production agricole en particulier. Le Nigéria soutient et subventionne l’agriculture. C’est vrai qu’il en a les moyens. Quant à nous, nous pouvons éviter des charges inutiles qui peuvent peser sur les prix des produits vivriers notamment. Par ailleurs, la transformation de la CLCAM en une véritable banque agricole accélèrerait la pénétration des capitaux dans les zones rurales et pousserait en avant la production, la transformation, la préservation, le stockage et la circulation des denrées alimentaires. Elle boosterait aussi l’élevage, l’aquaculture industrielle, la sylviculture, l’agro-industrie en général, etc. Nous gagnerions à envisager l’élévation graduelle du niveau technologique des spéculations agricoles et passer de la production marchande simple prédominante notamment dans ce sous-secteur à la production capitaliste de produits alimentaires à forte valeur ajoutée  pour le marché ouest africain. Notre plus grand défi demeure la promotion d’un environnement global propice au développement rapide du secteur secondaire pour la création abondante et durable de richesses  pour la nation  et d’emploi pour la jeunesse.

6- En résumé, à l’allure où vont les choses, le Bénin doit quitter les sentiers battus, refondre son système économique global, remettre ses populations au travail, protéger, soutenir et promouvoir plus que par le passé l’initiative privée et se hâter vers le développement plus vigoureux  de l’économie capitaliste. Cela a un prix ! Mieux vaut le payer pour un meilleur avenir, que de végéter éternellement dans la misère. C’est ce  que comprit par exemple le Brésil. Il s’y mit  il y a une trentaine d’années. Où en est-il aujourd’hui ? Mais seulement voilà ! L’histoire de l’Humanité enseigne qu’aucun pays au monde n’y a jamais accédé sans avoir été sous la direction ou l’influence de ses filles et fils altruistes ou nationalistes ou patriotes qui l’aiment désintéressement et stimulent les sacrifices de leurs peuples pour un avenir radieux  de la nation. Telle est la réalité gravée sur le marbre dont nous devons tenir compte pour rêver les yeux ouverts

Dr Jean Adébissi ODJO

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