Bénin: Déclaration de la Société Civile sur les menaces législatives aux libertés publiques

Cotonou, le 16 mars 2016

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Depuis quelques semaines, des informations font état de ce qu’une dizaine de propositions de lois seraient devant le parlement du Bénin pour adoption. Les Organisations Non Gouvernementales de promotion et de défense des droits de l’homme, dans leurs rôles de monitoring, d’alerte et de veille citoyenne, ont travaillé sur certaines d’entre elles. Il s’agit :

De la proposition de loi portant recueil du renseignement ;

De la proposition de loi portant organisation du secret de la défense nationale ;

De la proposition de loi portant identification des personnes physique en République du Bénin ;

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De la proposition de loi portant conditions et procédure d’embauche, de placement de la main d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en république du Bénin ;

De la proposition de loi portant régime général d’emploi des collaborateurs extérieurs.

De notre lecture croisée de ces différentes propositions de lois et au regard des valeurs et principes de droits humains dont l’attachement du peuple a été réaffirmé dans le préambule de notre constitution, il ressort que plusieurs de ces propositions de lois violent avec aisance de nombreuses dispositions d’instruments internationaux de l’ONU, de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, de la Charte africaine des droits et du bien être de l’enfant, sans oublier les documents de références des comités des droits de l’homme et du haut commissariats aux droits de l’homme de l’ONU.

Plantons le décor en affirmant avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples que « les mesures utilisées dans le cadre de la sécurité des États qui constituent une ingérence dans la vie privée (notamment, les fouilles à corps, les perquisitions de maisons et propriétés, les écoutes, y compris téléphoniques, la surveillance de la correspondance et des métadonnées, le contrôle électronique et l’infiltration d’agents, et la réception d’informations liées à la vie privée, leur collecte, l’accès à celles-ci, leur utilisation, leur stockage, leur entretien, leur examen, leur communication, leur destruction et leur dissémination au niveau national ou entre Etats et leur partage) doivent être prévues par la loi, strictement proportionnées et absolument nécessaires au but légitime à atteindre, mises en œuvre d’une manière compatible avec la dignité humaine et le droit au respect de la vie privée, et autorisées par le droit international des droits de l’homme. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Le cadre juridique global concernant toute ingérence dans la vie privée, ainsi que les procédures prévues, doivent être accessibles au public. Ces mesures doivent absolument être sous le contrôle d’un juge et il doit être possible de contester la légalité de ces mesures devant un tribunal. ». Plus spécifiquement, nos observations sur les différentes propositions de lois se présente comme suit :

De la proposition de loi portant recueil du renseignement

Les dispositions de cette proposition de loi évoquent en plusieurs de ses articles <<les techniques de renseignements>> et affirment que le but de ces renseignements serait d’assurer le respect des engagements internationaux du Bénin. Quels sont les engagements internationaux auxquels le Bénin désire se conformer ? La proposition de loi garde un silence inquiétant. Toutes les dispositions de cette loi ne donnent aucune garantie de sécurité, d’impartialité et surtout de confidentialité sur les renseignements qui seront collectés. Elles affirment et concentrent tous les pouvoirs de collectes, des techniques de collectes, du choix des personnes et le cadre de collecte dans les mains d’une seule personne sans possibilité pour aucune autre institution d’en assurer le contrôle.

Elle ne garantit pas la possibilité aux citoyens béninois de saisir le tribunal en cas d’abus puisque les auteurs disposent d’une immunité pénale absolue, une immunité dont les députés eux-mêmes ne bénéficient pas. Autrement dit, ils peuvent tuer, torturer, voler, blesser sans aucune juridiction nationale ne puisse les poursuivre ni même enquêter sur les faits. Avec cette proposition de loi le Président de la république devient l’unique maitre des opérations de surveillance et peut à lui seul décider de qui, comment, où et pourquoi faut-il surveiller et surtout la nature des renseignements à recueillir. Si la collecte desdites informations est dans l’unique intérêt de toute la nation béninoise, il est donc important que des mécanismes de contrôles soient mis en place. L’avènement d’une telle loi serait le siècle de la surveillance de masse, de la surveillance à des fins personnelles et politiques. Elle n’offre aucune garantie qu’elle sera appliquée dans l’intérêt supérieur de la nation béninoise. Se basant sur les dispositions de l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Bénin est partie, nous mobiliserons toutes nos ressources pour combattre l’adoption de cette loi en son contenu actuel.  

De la proposition de loi portant organisation du secret de la défense nationale en République du Bénin

Cette proposition est certes nécessaire pour encadrer le travail de nos forces de sécurité et de défense mais elle manque de précision pour prévenir les dérives et le détournement de son application pour assouvir les dérives politiques au Bénin. D’abord, la loi ne décrit pas le processus par lequel un document, un site ou tout autre pourrait être classé secret défense. Le but est d’éviter que sous le couvert de secret défense, des crimes soient hors de portée de la justice. Ensuite, cette loi parle des magistrats ayant l’habileté des dossiers de secret défense sans pour autant définir les critères de désignation desdits magistrats. Enfin, la loi ne permet aucun contrôle juridictionnel impartial en cas de réel dérive.

De la proposition de loi portant identification des personnes physiques en République du Bénin

Nous nous réjouissons de l’avènement de cette proposition de loi ; nous reconnaissons qu’elle est un outil efficace de développement. Mais, elle manque de réalisme. Son application ou sa mise en œuvre constitue une politique d’exclusion des populations vulnérables des politiques publiques. À 2400 FCFA, moins de 2% de la population dispose d’un acte de naissance et moins de 1% dispose d’une carte nationale d’identité. À 10 000 FCFA, nous ignorons le nombre de béninois qui en disposeront. Cette loi serait innovante si elle rendait la délivrance de la carte nationale d’identité obligatoire à un cout plus raisonnable avec une procédure plus accessible à la population.

De la proposition de loi fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main d’œuvre

Les députés signataires de la proposition de loi affirment qu’en République du Bénin, 60% de la population active sont des jeunes âgés de 15 à 35 ans, que ces jeunes constituent une population de diplômés sans emploi enregistrés sur le marché du travail qui, lui-même, est caractérisé par un déséquilibre entre l’offre et la demande d’emploi. Cela est un beau diagnostique fait par les Élus du peuple. Face à cette problématique chronique du chômage, ils proposent une loi qui instaurera des emplois précaires, non durables.

Cette loi donne aux employeurs la possibilité de licencier sans aucun risque de se faire condamner par le juge. En lieu et place d’emploi durable et digne, les députés offrent à la jeunesse béninoise une loi scélérate, qui va tuer le peu d’emplois existants. Avec cette loi, le travailleur n’a aucune garantie sur son emploi ; il vivra le stress d’être renvoyé à tout moment. L’employeur, économiquement fort, est renforcé par cette loi qui lui donne le pouvoir de rompre assez facilement les contrats de travail. Dans ce contexte, nous nous interrogeons : Pourquoi légiférer dans des domaines déjà couverts juridiquement ? Pourquoi partir de l’intérêt du capital pour innover dans une flexibilité juridique attentatoire aux droits acquis et à la dignité humaine ? Pourquoi innover avec de nouvelles formes de contrats pour contourner la force de celles existantes ? Pourquoi faire rétroagir ladite loi une fois adoptée pour remettre en cause des acquis juridiques ? La réponse la plus perceptible est celle malheureusement de la célébration du capital dans notre Etat devenu entreprise. Le Bénin n’est pas une entreprise commerciale dont la seule rentabilité reste et demeure la rentabilité comptable ; la rentabilité sociale constitue aussi et surtout un indicateur de performance dans un Etat républicain.

De la proposition de loi portant régime général d’emploi des collaborateurs extérieurs

En analysant cette proposition de loi, nous avons l’impression que le gouvernement veut faire payer aux travailleurs (APE et ACE) les conséquences d’une situation dont l’État est le seul responsable. Qui a recruté des agents permanents de l’État incompétents ? qui a recruté ou créé des postes fantaisistes d’agents permanent de l’état ? Qui a rédigé et adopté le profil des postes dans la fonction publique ? Ce sont les gouvernements qui se sont succédés à la tête de notre pays.

Après avoir détruit notre appareil administratif par une gestion fantaisiste et du clientélisme parrainé par l’incompétence, le gouvernement décide de faire payer aux fonctionnaires leur capacité à ne pas être à ses bottes en faisant débarqué des mercenaires sous le prétexte de collaborateur extérieurs. En quoi cette proposition de loi renforcera-t-elle la capacité d’employabilité des demandeurs d’emploi en vue de les sortir du chômage à longue durée ? En quoi cette loi permettra-t-elle de combattre le sous-emploi dans l’administration publique, les institutions de l’Etat ainsi que les collectivités territoriales décentralisées ? Quelles sont les conditions et les critères de recrutement de ces mercenaires ? Toutes ces questions préoccupent toute la société civile au plus haut point. Au regard de tout ce qui précède, nous, Organisations Non Gouvernementales recommandons ce qui suit aux députés ainsi qu’au Gouvernement :

Proposition de loi portant recueil du renseignement

  1. Que l’écoute ou la collecte de renseignements sur les citoyens soient dans le respect strictes des conventions internationales, régionales et en respect des lois de protection de la vie privée au Bénin ;
  1. Que l’écoute ou la collecte de renseignements surdes citoyens, soit subordonnée à l’autorisation préalable d’un juge et uniquement dans le cadre d’une enquête régulièrement et légalement ouverte devant un juge d’instruction ;
  1. Que l’exploitation de tous les renseignements recueillis sur les citoyens béninois soit autorisée par un juge expressément saisi aux fins.
  1. Que le juge puisse au besoin, à tout moment avoir accès aux installations d’écoute ou de collecte pour vérifier le respect de son autorisation ;
  1. Que toute personne qui dénonce une écoute illégale soit protégée par loi.
  1. Que les personnes qui exécutent ce travail ne soit couvert que tant qu’ils sont dans le strict respect du cadre légal et qu’aucune immunité pénale non limitée et non contrôlée ne leur soit accordée.
  1. Que l’expression <<Les magistrats et les agents chargés d’instruire le recours doivent être habilités au secret de la défense nationale>>soit clarifiée et les critères de désignation soient inscrits dans la loi.
  1. Qu’aucun journaliste, aucun défenseur des droits humains, les donneurs d’alerte ne fasse l’objet d’écoute dans l’exercice de leur profession (le secret professionnel oblige).

  Proposition de loi portant organisation du secret de la défense nationale

  1. Que soit défini, tout ce qui doit relever du secret défense pour éviter plus tard que des crimes politiques, assassinats etc. soient par décret mis sous le sceau du secret défense.
  1. Que la Cour constitutionnelle ait les armes juridiques pour lever au besoin le secret défense pour la manifestation de la vérité dans le cadre de procédures judiciaires.
  1. Nous proposons une commission nationale chargée du secret défense qui doit être dirigé par l’un des membres de la Cour constitutionnelle afin de limiter les risques de dérapage

Proposition de loi portant identification des personnes physiques

  1. Rendre obligatoire et gratuit l’établissement de la carte nationale d’identité

Proposition de loi portant identification des personnes physiques

  1. Rendre obligatoire et gratuit l’établissement de la carte nationale d’identité

Proposition de loi fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main d’œuvre

Nous appelons à l’abandon pure et simple de ladite proposition de loi et appelons à œuvrer plutôt à l’aboutissement du projet de relecture de la loi portant Code du travail en République du Bénin, initié depuis quelques années.

La relecture a ceci d’avantageux qu’elle est faite suivant une procédure très inclusive, de sorte que toutes les parties intéressées par la question soient consultées.

Proposition de loi portant régime général d’emploi des collaborateurs extérieurs

Nous appelons à l’abandon pur et simple de ladite proposition de loi.

Nous appelons tout le peuple à maintenir la veille citoyenne et à rester debout comme un seul homme pour que jamais notre pays ne retourne à ces heures sombres de la destruction des libertés publiques et du respect de la vie privée !

« Si les dirigeants n’écoutent pas leurs peuples, ils les entendront dans les rues, sur les places, ou, comme nous le voyons trop souvent, sur les champs de bataille. Il existe un meilleur moyen. Davantage de participation. Davantage de Démocratie. Davantage de contacts et d’ouverture. En d’autres termes : un champ d’action maximum pour la société civile».

Ceci est une remarque faite par M. Ban Ki-moon, ancien Secrétaire des Nations, lors de l’évènement de haut niveau sur le soutien de la société civile, 23 Septembre 2013

Ont signé cette Déclaration :

Groupe d’Action pour le progrès et la paix

Changement Sociale Bénin

Action Chrétienne pour l’Abolition de la Torture

Réseau des ONG de Défense des Droits de l’Homme SOS Civisme Bénin

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