Les séminaires parlementaires: Une menace sur le pluralisme démocratique au Bénin?

Par définition une démocratie pluraliste est un régime politique qui garantit et protège la diversité des opinions. Ainsi donc, dans la pratique parlementaire, le pluralisme démocratique suppose l’existence de dispositifs institutionnels (constitutionnels et légaux)qui garantissent, protègent et promeuvent la diversité des opinions sur toutes les questions dont l’Assemblée Nationale pourrait être saisie.

Publicité

Or, après 27 ans du renouveau démocratique, certaines pratiques parlementaires douteuses jettent peu à peu un voile sombre sur le pluralisme politique au sein du parlement. C’est ainsi que les séminaires parlementaires initiés dans le but de permettre une meilleure appropriation des lois par les parlementaires se révèlent comme une entorse à l’expression plurielle des idées et convictions politiques au sein de l’institution parlementaire. Qu’est-ce qui peut expliquer un tel paradoxe? Il est évident que, la réponse à cette question met en débat le management de l’institution parlementaire par son président, étant entendu que la constitution et le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale disposent que « l’Assemblée Nationale est dirigée  par un Président assisté d’un bureau ». Dès lors il me paraît important, vu leurs fréquences et leurs actualités, d’apprécier la pertinence des séminaires parlementaires dans leur forme comme dans leur fond au regard du principe du pluralisme, principe à valeur constitutionnelle. Du moins, le séminaire parlementaire, l’une des pratiques managériales en vogue aujourd’hui, dans la forme comme dans le fond, constitue une menace pour le pluralisme principe à valeur constitutionnelle.Les séminaires parlementaires, dans la forme, constituent une escroquerie politico-intellectuelle (I). Dans le fond, c’est une violation du principe du pluralisme politique (II).

I- Les séminaires parlementaires, une escroquerie politico-intellectuelle.

Dans un pays où l’on préfère des mensonges bien dits aux vérités mal construites, si une chose est si évidente que nul n’y songe, prendre le risque d’en parler n’est sûrement pas une entreprise rentable. Mais, à la longue la mort programmé du débat démocratique dans notre pays et l’avènement de la pensée unique y trouvera son compte. Après 27 ans de vie parlementaire, nous devons passer à la responsabilisation des députés et des groupes parlementaires et à la professionnalisation des pratiques parlementaires. C’est une question d’hygiène démocratique à laquelle notre pays ne saurait se dérober.

Or, les séminaires parlementaires, dans leur forme actuelle sont aux antipodes de cette hygiène démocratique. Ils ne permettent pas une responsabilisation des députés et dénie au peuple son droit de savoir quelles sont les positions défendues par les différentes affinités politiques présentes au sein du parlement. A la limite, cette pratique prend l’allure de « round de négociation politique » entre le gouvernement et les députés.

A titre d’exemple, si nous prenons la proposition de « loi sur le recueil des renseignements », cette loi a été proposée par trois députés signataires à savoir les honorables Robert Gbian, Boniface Yêhouétomè et Nassirou Bako Arifari. Mais, lors du séminaire parlementaire d’appropriation organisé à Dassa, c’est le gouvernement qui envoie deux ministres, comme experts, pour venir expliquer les fondements, en réalité le bien fondé et l’opportunité de la proposition de loi aux parlementaires. C’est une escroquerie politico-intellectuelle qui n’honore pas nos 27 ans de pratique démocratique.

Publicité

A lire Proposition de loi portant recueil du renseignement: Menaces sur la république (lire la proposition de loi ici)

Ce qui est grave, nous sommes en présence d’une proposition de loi introduite par Nassirou Arifari Bako, président de la commission de défense et sécurité du parlement. Le Général Robert Gbian est signataire de cette proposition de loi sur le recueil de renseignement. Mais, c’est le garde des sceaux et le ministre de l’Intérieur Sacca LAFIA, vétérinaire de formation, qui sont les experts venus expliquer aux parlementaire le contenu de la loi. C’est déjà incompréhensible qu’une loi proposée par un député soit exposée par un ministre du gouvernement. Delà à envoyer un vétérinaire pour expliquer une loi sur le recueil des renseignements, dont l’un des députés signataires est un général à la retraite, ce n’est plus un séminaire d’appropriation. En résumé, les députés proposent des lois, le bureau du parlement prend l’initiative d’un séminaire, le gouvernement finance et envoie des ministres expliquer les propositions de lois. C’est simplement un marché « politicien » qui n’honore pas notre démocratie.

Autrement, pour la révision de la constitution, à l’instar de la retraite parlementaire de 2012, le gouvernement mettra des fonds à la disposition de la direction du parlement qui organisera un séminaire parlementaire où des experts choisis par le gouvernement viendront expliquer le bien fondé du projet de révision aux députés. De compromissions en compromissions, les deux parties pourraient trouver leur compte sur le dos du peuple. La révision serait actée sans qu’on ne soit capable de situer véritablement les responsabilités des uns et des autres.Cette pratique, dans sa forme actuelle, n’est rien d’autre qu’une supercherie indécente co-organisée par le parlement et le gouvernement. D’ailleurs, lors de la présentation du PAG, le président demandait solennellement aux députés présents de ne plus « regarder » les lois avant de les voter. Est-ce la mise en œuvre d’un tel plan déjà ?

Les séminaires parlementaires, une violation du pluralisme démocratique

Dans le fond, les séminaires parlementaires constituent une menace sur le pluralisme démocratique. En effet, le lien entre le principe du pluralisme politique et la vie démocratique est établi par le préambule de la constitution du 11 décembre 1990 en des termes clairs : « Nous peuple béninois (…) Affirmons solennellement notre détermination par la présente Constitution de créer un État de droit et de démocratie pluraliste ». Par conséquent, pour le peuple béninois, le respect du pluralisme est l’une des conditions de la démocratie. Ne pas le comprendre, c’est remettre en cause la démocratie.

L’objectif du pluralisme est de garantir que tous les courants et les sensibilités politiques légalement constitués participent à la compétition démocratique. Dans ce sens, si par le biais des élections les sensibilités politiques se font représenter au parlement, le pluralisme démocratique implique l’adoption de mécanismes et de pratiques institutionnels qui stimulent et qui garantissent la diversité des idées. Dans le cas du parlement, qui est le temple par excellence du pluralisme démocratique, il faut permettre au peuple de disposer des opinions politiques diversifiées.

Comme on peut le constater dans le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, « les députés peuvent s’organiser en groupes parlementaires par affinité politique » (Article 24 alinéa 1 du règlement intérieur du parlement). En ce qui concerne leur fonctionnement, le règlement précise que « les groupes (parlementaires) constitués conformément à l’article précédent s’organisent de manière autonome et assurent leur service leur service intérieur par un secrétariat administratif » (Article 25 du règlement intérieur du parlement). Si la loi a fait du principe « d’affinité politique » la principale règle d’organisation des groupes parlementaires, c’est pour permettre à toutes les sensibilités politiques du pays, représentées au parlement, de participer au débat démocratique en fonction de leurs idéologies et de leurs convictions politiques ou philosophiques.

C’est pourquoi, sur toute question déférée devant le parlement sous forme de projets ou de propositions de loi, qui concerne notre « vivre ensemble », il est indispensable que toutes les sensibilités politiques organisées en groupes parlementaires aient la possibilité  d’en débattre de manière objective et autonome. Pour cela, dans son principe, c’est une bonne pratique que d’organiser des séminaires d’appropriation des projets et propositions de lois. Mais, au nom du principe du pluralisme démocratique qui doit gouverner les pratiques parlementaires dans une démocratie moderne comme la nôtre, il faut organiser autant de séminaires parlementaires que de groupes parlementaires. Ceci permettrait une appropriation en fonction de leur idéologie et de leur conviction politiques sur les sujets. Mieux, on pourrait envisager, pourquoi pas exiger, la publication des rapports des séminaires de chaque groupe parlementaire pour permettre au peuple, leurs mandants, d’une part, d’apprécier la qualité de leur participation et, d’autre part, de constater la manifestation de la pluralité des opinions politiques au sein du parlement.

Il n’y a pas de souveraineté du peuple sans représentativité. Il n’y a pas de représentativité sans pluralisme politique. Il n’y pas de pluralisme politique sans la diversité, mais surtout la diversification des opinions. Au nom du principe du pluralisme démocratique, on doit exiger de la direction du parlement  que, si des fonds sont disponibles pour des séminaires d’appropriation, que ces fonds soient mis à la disposition des groupes parlementaires. Ces derniers pourraient se faire assister par des experts de leur choix et leur rapport sera déposé pour les études en commissions. C’est une garantie de la traçabilité des idées et de transparence dans la procédure législative. 

A contrario, accepter des pratiques qui ne favorisent pas l’organisation et la promotion de l’expression plurielle des idées et des convictions, c’est dresser le lit de la pensée unique. Accepter la pensée unique au sein du parlement, c’est tuer la démocratie.

 

Djidénou Steve KPOTON

( Citoyen Engagé JLB-FES /2015)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité