Couverture médiatique de la Conférence nationale du février 1990

Journaliste à la retraite ayant officié à l’Office de radiodiffusion et de télévision du Bénin (Ortb), Constant Agbidinoukoun est l’un des journalistes qui ont eu la chance d’être au cœur de la couverture médiatique de la Conférence Nationale des forces vives de la nation de Février 1990.

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Il revient, dans cet entretien qu’il a accordé à votre rédaction mardi 7 mars 2017, sur le travail effectué par les médias pendant les dix jours qu’a duré cette conférence historique.  

Une organisation pour libérer la parole

«Il faut avouer que nous étions très contents à l’Ortb d’aller à cette conférence. Parmi nous à la radio et à la télévision, on se concertait. D’ailleurs, c’est dans la concertation qu’on s’est organisés avec Francis Zossou, André-Marie Johnson, Marcel Tchobo, Georges Amlon, Joël Houndolo, Philippe NSeck, Anick Balley, Claude da Silva. Nous nous sommes dit que nous n’allions jamais rater les travaux de la Conférence nationale. Il fallait que nous soyons déterminés pour amener les gens à changer de cap. Nous nous sommes concertés, et les deux rédactions travaillaient de concert. On a préparé la conférence Nationale. La chance, c’est qu’il faut saluer la justesse du comité préparatoire que dirigeait maître Robert Dossou.

Nous avions vu notre ministre Ousmane Batoko qui a convaincu le gouvernement et surtout le président Kérékou, que la radio pouvait émettre en direct. C’était vraiment une chance pour nous. On savait qu’on pouvait bien travailler et amener les choses à évoluer. On s’est dit: quand même, nous avons reçu de bonnes formations, mais nous n’avons jamais exercé réellement cette profession. Donc maintenant, il faut que nous en profitions.

A la Télévision, il y avait deux équipes qui étaient dans la salle, une équipe qui prenait les images, une équipe qui enregistrait tout et une équipe dans une autre salle pour les interviews. Nous ne pouvions pas faire du direct parce que c’était lourd, il n’y avait ni matériel, ni moyens financiers. Mais, la radio s’est organisée pour ce direct. Le direct poussait les gens à suivre les travaux, à savoir ce qui se passait. C’était un détonateur, c’était un vrai déclic. Les populations voulaient intervenir, et il fallait les interviewer. Il faut saluer tout le travail abattu par le comité de préparation avec Robert Dossou, et le présidium avec Feu Monseigneur Isidore de Souza. Il faut saluer la mémoire du président Kérékou. Ce n’était pas facile.

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Il faut faire remarquer qu’en ce moment, le président Kérékou avait déjà fait l’option du libéralisme. Donc il y avait déjà la Gazette du Golf, Tam-tam express, les Echos d’Afrique de notre doyen Djagoué Léandre. Il y avait aussi ‘’La Croix du Bénin’’, qui était un vieux journal. Figurez-vous qu’à l’ouverture de la conférence nationale, Ehuzu qui est l’ancêtre de La Nation s’est mis en grève. Parce que les journalistes ont dit qu’ils n’avaient pas le matériel pour couvrir les assises, ils n’avaient rien.  Et ils n’ont rien couvert pendant deux jours. C’est le troisième jour que le présidium s’est saisi du dossier, et a demandé au ministre Batoko de régler le problème. Alors, Ehuzu, l’organe du militantisme révolutionnaire a repris. Donc, ces organes ont couvert la conférence à leur manière. Mais je vous assure: le détonateur le plus important c’est l’Ortb et particulièrement la radio nationale. La Croix du Bénin qui était un hebdomadaire de l’Eglise catholique faisait un travail formidable.  

Le discours lu par Kérékou a été écris sur le champ

«Il y avait des hauts et des bas. Ce n’était facile de proclamer la souveraineté de la Conférence le 25 février 1990, mais les délégués sont parvenus à le faire. A des moments donnés, on croyait qu’on allait mettre fin aux travaux de la conférence parce qu’il y avait des grincements de dents de la part des militants et délégués du Prpb, le président Kérékou était sous pression car certains ne voulaient pas que la conférence aille à son terme. Mais, le président était fair-play. Il disait qu’il n’allait pas démissionner mais qu’on peut le destituer. C’est vrai que même au dernier jour, le 28 février 1990, il y avait encore des caciques du Prpb qui pensaient inacceptables les résolutions et recommandations issues de la conférence, et parlaient encore de traquenard politique. Ils avaient préparé un discours pour le président Kérékou. Ce n’est pas ce discours que le président a lu le 28 février. Le discours que le président Mathieu Kérékou a lu le 28 février 1990, c’est un discours préparé sur le champ dans la salle par les président du comité préparatoire, maître Robert Dossou. Je suis formel. Nous avons les images, nous avons suivi. Vous savez avec l’humilité de Robert Dossou, le maître ne veut pas le reconnaître. Mais nous nous savons que c’est lui qui a rédigé le discours. Parce que compte tenu du rapport général présenté par le professeur Albert Tévoèdjrè, à un moment donné, le président Kérékou a compris qu’il ne pouvait pas aller au-delà de la volonté populaire. Donc, il a demandé très rapidement à maître Dossou de lui préparer un petit speech. Ce que maître Dossou a fait en grand intellectuel. Le président a dit que ce n’était ni du défaitisme, ni de la capitulation. Il n’a trahi personne, c’était une affaire de responsabilité nationale. Donc, il faut saluer le courage du président Kérékou, sa détermination et sa lucidité.

Un musée à l’honneur de monseigneur Isidore de Souza

27 ans après, nous continuons de vivre cette démocratie. Nous souhaitons vraiment que ça aille loin. Il n’y a pas de meilleur régime que la démocratie. C’est vrai, c’est un régime difficile. Mais il faut l’accepter, il faut l’améliorer. Et moi je demande à tous les acteurs de continuer, particulièrement au président Patrice Talon. Je le salue pour le travail qu’il fait. Mais je le prie: il faut d’abord qu’on réhabilite le Plm Aléjo. Ensuite, qu’on crée un grand musée, un véritable musée qui va porter le nom ‘’Musée des conférences Nationales, Monseigneur Isidore de Souza», pour saluer la mémoire de ce grand citoyen béninois. Puis, faire en sorte qu’on enseigne la conférence Nationale depuis l’école primaire. La conférence Nationale du Bénin doit devenir un patrimoine immatériel commun à préserver et valoriser.

L’Ortb à la solde du Prpb

«Merci beaucoup. L’Ortb était sous le régime Prpb. Vous savez que la révolution du 26 octobre 1972 a permis de faire connaître le Dahomey, puis le Bénin. Et au départ, tout le monde acceptait cette révolution parce qu’elle permettait de nous libérer du néocolonialisme. Il y avait également trop d’instabilité dans notre pays. Il faut dire que c’est le Parti de la révolution populaire du Dahomey (Prpb), qui dirigeait le pays. Si bien que sous le régime du Prpb, il n’y avait pas de liberté de presse. C’est ce que veut le parti, l’Etat, que les journalistes doivent faire. L’Ortb était embrigadée. Mais avec le temps, les choses n’allaient plus bien. Il y avait la crise économique et à un moment donné, beaucoup d’arriérés de salaire. Il y avait par exemple à l’Ortb comme dans beaucoup d’autres structures, sept à huit mois d’arriérés de salaire. Et ça pesait sur les journalistes. Face à cela, les conditions de travail et de vie devenaient difficiles. Et nous avons décidé, à l’Ortb, d’aller en grève. Ça a beaucoup paniqué le gouvernement et les autorités du parti. Et pour la première fois, le président Kérékou a décidé de venir à l’Ortb. Effectivement, il est venu au mois de juillet 1989. La réunion a beaucoup durée. Le président ne voulait pas qu’on aille en grève parce que d’autres pourraient nous suivre. Alors que déjà les enseignants et étudiants étaient déjà en grève. Les comités d’actions et les comités de lutte du Parti communiste du Dahomey étaient en mouvement, et forçaient le gouvernement à changer de cap. Le président a tout dit, mais on est allé en grève de 72 heures pour marquer notre désapprobation par rapport à tout ce qui se faisait dans le pays. Ça a été un déclic. On a eu conscience qu’on pouvait se passer des ordres du Prpb. On en était là quand vers début décembre 1989, les instances du parti et de l’Etat (le conseil exécutif national, l’assemblée nationale révolutionnaire, le comité central du parti), se sont tous réunis. Et le communiqué final de cette réunion disait : dans le premier trimestre 1990, on va organiser une conférence Nationale des forces vives de la nation. ».

Le journalisme s’apprend

« Je suis d’abord content par rapport à ce qui se fait à l’Ortb. Nous continuons dans le sillage du professionnalisme qui est né avec la conférence nationale. La profession est devenue meilleure, même si certains régimes ne voulaient pas le comprendre. Au niveau de la presse privée, les collègues se battent. Mais on a l’impression que l’argent domine ce beau monde. Certains journaux mettent des titres sensationnels qui ne cadrent pas avec la réalité. Il faut aussi améliorer le langage. Nous demandons à la Haac, à l’Union des professionnels des médias (Upmb), au Conseil national du patronat de l’audiovisuelle (Cnpa), de continuer à former les collègues. Le journalisme c’est un métier qui s’apprend. Il n’y a pas d’à peu près. ».   

 

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