Bénin: « Le nouveau visage de la cour constitutionnelle est source d’instabilité », selon Michel Adjaka

Clé de voûte de l’architecture démocratique béninoise, «La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.» (Article 114 de la constitution du 11 décembre 1990).

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Elle «statue obligatoirement sur:
– la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation;
– les Règlements intérieurs de l’Assemblée nationale, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication et du Conseil économique et social avant leur mise en application, quant à leur conformité à la Constitution;
– la constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques en général, sur la violation des droits de la personne humaine;
– les conflits d’attributions entre les institutions de l’Etat.
– Veille à la régularité de l’élection du président de la République; examine les réclamations, statue sur les irrégularités qu’elle aurait pu, par elle-même, relever et proclame les résultats du scrutin; statue sur la régularité du référendum et en proclame les résultats;
-Statue en cas de contestations sur la régularité des élections législatives.» (Article 114 de la constitution du 11 décembre 1990).
Ces deux articles plantent le décor des attributions principales de la Cour constitutionnelle.
La Cour n’a pas que des missions prioritaires, elle a aussi des fonctions subsidiaires consacrées par les dispositions de l’article 118 de la constitution. Ledit article dispose que la Cour constitutionnelle «compétente pour statuer sur les cas prévus aux articles 50, 52, 57, 77, 86, 100, 102, 104, et 147.»
S’agissant de la composition de la Cour, l’article 115 de notre constitution prévoit que «La Cour constitutionnelle est composée de sept membres dont quatre sont nommés par le Bureau de l’Assemblée nationale et trois par le président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
Aucun membre de la Cour constitutionnelle ne peut siéger plus de dix ans.
Pour être membre de la Cour constitutionnelle, outre la condition de compétence professionnelle, il faut être de bonne moralité et d’une grande probité.
La Cour constitutionnelle comprend:
– trois magistrats, ayant une expérience de quinze années au moins, dont deux sont nommés par le Bureau de l’Assemblée nationale et un par le président de la République;
– deux juristes de haut niveau, professeurs ou praticiens du droit, ayant une expérience de quinze années au moins, nommés l’un par le Bureau de l’Assemblée nationale et l’autre par le président de la République;
– deux personnalités de grande réputation professionnelle, nommées l’une par le Bureau de l’Assemblée nationale et l’autre par le président de la République.»
Du Haut Conseil de la République (HCR) à la Cour constitutionnelle, la veille constitutionnelle a été permanente sur le respect des droits humains, des libertés, le contrôle de constitutionnalité, le contentieux électoral et sur la régulation du fonctionnement des institutions. Qu’on l’aime ou non, en moins de vingt-cinq (25) ans d’activité, la Cour constitutionnelle a joué son rôle de gardienne du temple démocratique.
Malgré ces prouesses, la commission des réformes politiques et institutionnelles a estimé qu’il faille valider les propositions du président de la République tendant au renforcement de l’indépendance des membres de la Cour par l’instauration d’un mandat unique de neuf (09) ans renouvelable par tiers. Ladite commission est d’avis que les membres de la Cour soient élus au sein des assemblées de corps de juristes identifiés à l’exception des membres désignés par le président de la République et le Bureau de l’Assemblée nationale. A l’instar de sa sœur, la Cour suprême, la commission a jugé nécessaire de cantonner la Cour constitutionnelle au contentieux des élections présidentielles et à la proclamation définitive des résultats.
Enfin, la commission a recommandé que le principe de l’autonomie financière de la Cour soit affirmé au plan normatif et que les dispositions soient prises pour en garantir au plan technique l’effectivité.
Il importe de préciser à toutes fins utiles que l’article 2 du décret n°2016-272 du 03 mai 2016 portant mise en place de la commission nationale technique chargée des réformes politiques et institutionnelles a donné mandat à celle-ci à l’effet d’étudier et de proposer au président de la République, les réformes politiques et institutionnelles visant à améliorer le modèle politique béninois» et de «recenser et évaluer les mesures politiques, institutionnelles et juridiques nécessitées par la réforme ainsi que les modalités de leur mise en œuvre en vue du renforcement du régime démocratique ; élaborer l’avant-projet de loi portant révision de la constitution du 11 décembre 1990, ainsi que tous les avant-projets de textes rentrant dans le cadre de cette mission.» En dépit de ces termes de références clairs et précis, les activités de la commission seront brutalement cour-citées dès lors qu’il a été constaté que celle-ci n’est pas favorable au mandat unique. Ses travaux seront poursuivis en catimini par une équipe plus docile. Loin de servir de boussole à la rédaction du projet de constitution, les recommandations de la commission n’apparaîtront que par endroits dans ledit projet.
Dans la Constitution en gestation, la Cour constitutionnelle est composée de neuf (09) membres désignés pour un mandat de neuf (09) ans non renouvelable. En dépit du mandat de neuf (09) ans non renouvelable, les membres de la Cour seront, selon le projet, renouvelables par tiers.
Pire, alors que la commission n’a déterminé aucune limite d’âge pour être membre de la cour constitutionnelle, le projet fixera une limite-plancher de quarante (40) ans révolus assortie de l’exigence de la nationalité béninoise.
Sur l’origine socio-professionnelle des membres de la Cour, la commission a proposé deux (02) magistrats, deux (02) avocats, deux (02) professeurs de droit et de sciences politiques élus par leurs pairs en assemblée générale. Les trois (03) autres membres seront désignés, à raison de deux (02) par le Bureau de l’Assemblée nationale et un (01) par le président de la République. L’ancienneté requise est de vingt (20) années d’expérience professionnelle.
Le projet de révision ne retiendra les vingt (20) ans qu’à l’égard des magistrats et des avocats, à l’exclusion des professeurs d’université qui peuvent siéger à la Cour constitutionnelle avec seulement une expérience professionnelle de cinq (05) années. Qu’est ce qui peut justifier cette discrimination en faveur des professeurs d’université ? L’exposé des motifs n’en dit aucun mot.
Alors que l’option n’a pas été faite en faveur de la présence au sein de la Cour des anciens présidents de l’Assemblée nationale ou de la République, les experts commis à la rédaction du projet retiendront de faire siéger un (01) ancien président de l’Assemblée nationale, à défaut un ancien vice-président.
Par ailleurs, on note que la Cour a connu l’amputation de certaines de ses attributions. Il s’agit de :
-la proclamation des résultats pour faciliter la célérité de la délivrance des électeurs impatients de savoir l’issue du scrutin. Une telle option emporte l’enrôlement de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) au rang d’institutions constitutionnelles en lieu et place du Conseil National du Renseignement et de la chefferie traditionnelle,
-l’omission préméditée du groupe de mots «de grande réputation professionnelle» prévue pour qualifier la personnalité membre de la Cour est très inquiétante, d’autant plus qu’au Bénin tout le monde est personnalité,
-le contrôle a priori des lois ordinaires avant leur promulgation et ce, en représailles aux récents revers essuyés dans ce domaine par le président de la République.
Sur l’autonomie financière de la Cour constitutionnelle, le projet est resté silencieux, alors que la commission des réformes politiques et institutionnelles a recommandé qu’elle soit consacrée et rendue effective.
L’élection du président de la Cour pour un mandat de trois (03) ans renouvelable une fois est une innovation porteuse d’instabilité. Le risque est grand et perceptible que la Cour comporte beaucoup de ses anciens présidents qui, par pur complexe de supériorité, pourraient régulièrement s’affronter au grand dam de l’efficacité projetée et attendue de ladite Cour.
En clair, la Cour projetée risque de générer de nombreuses crises chroniques et endémiques suicidaires pour la paix et le développement du pays.

Michel ADJAKA

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