Le PAG : Programme de Pérennisation de la Pauvreté (PPP) ?

Il y a 3 mois le gouvernement a lancé à grand renfort de publicité –payée à prix d’or- son programme d’actions ou PAG. Depuis lors, la communication sur le PAG continue et les premières implémentations du PAG se font voir à travers le déguerpissement brutal des marchandes, vendeurs de rue, et autres occupants –temporaires ou permanents – des espaces publics.

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Au-delà de cette première implémentation du PAG, ce programme conçu sans la participation active de la population sous quelque forme que ce soit, peut-il mettre le Bénin sur la route de la réduction de la pauvreté endémique, ou est- ce que le Partenariat Public Privé (PPP) qui en est le fondement,  doit- il  êtreinterprété comme Programme de Pérennisation de la Pauvreté ?

PAG : Diagnostic économique incomplet et vision limitée

Le PAG commence par un diagnostic centré sur la gouvernance. Il dit en effet (p10) :

« La gouvernance du pays dans ses différentes dimensions est marquée par des faiblesses notoires en termes d’efficacité, de transparence et de redevabilité. De sérieuses déficiences ont été notées au niveau de la capacité à définir et à mettre en œuvre les politiques publiques optimales.”.

On peut se demander si le problème de la gouvernance au Bénin est un problème de capacité ou volonté politique.  Avec de tels diagnostic, on s’embarque dans des programme indéfinis de « capacity building » ( renforcement de capacités) qui satisfont les PTF ( combien en a-t-on eu au Bénin  depuis que ce diagnostic est devenu à la mode, et combien sont en cours actuellement ?) sans changer d’un iota la réalité de la misère endémique des populations.

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En matière économique, le diagnostic se limite au constat de la faiblesse de la croissance sans en analyser les raisons, déplore l’importance du secteur informel sans en souligner les atouts et reprend les rengaines du patronat sur la lourdeur de la fiscalité et le serpent de mer du climat des affaires. Seule spécificité, le tourisme dont la faiblesse suffirait à expliquer notre retard économique!  

S’il est certes juste de reconnaître la responsabilité des gouvernants dans la gestion du bien public ( encore faudrait- il y mettre un terme en regardant précisément dans le rétroviseur et mettre fin à l’impunité), on ne peut passer sous silence les défis structurels de l’économie avec une balance commerciale et des paiements chroniquement déséquilibrée, un budget de fonctionnement en déficit permanent,  la primauté du secteur primaire ( produits non transformés) dans la production nationale, bref une économie de traite a peine rénovée,  en situation de dépendance, voire sous perfusion, entrainant la persistance de la pauvreté, de l’analphabétisme, de la misère, en dépit des taux de croissance positifs affichés sporadiquement.  Le Bénin est quand même un pays qui importe plus d’un milliard de dollars ( la réexportation vers le Nigeria n’expliquant pas tout) de plus qu’il n’exporte et 40 %+ de ces importations ont trait à l’alimentation !

A partir de ce diagnostic incomplet -à notre avis-, le gouvernement Talon définit une vision étriquée,centre son action sur le tourisme, et l’amélioration des « performances de la gouvernance », en gros « mieux gérer la misère »,  déclarant ouverte « une nouvelle ère de gouvernance de l’action publique” (sic) au cours de laquelle le président Talon « a fait le choix d’améliorer la gouvernance dans toutes ses dimensions “.

Ce serait certes un petit progrès si la gabegie et l’incurie dans la gestion de l’Etat étaient réduits (encore faut- il qu’on en voie le début de commencement), mais cela à lui seul ne saurait entamer la pauvreté endémique dans notre pays. 

PAG : le tourisme au centre de 45 projets sans vision transformatrice

Le PAG prévoit d’être décliné à travers 45 projets dans neuf  « secteurs » allant du tourisme a la protection sociale. Ces projets se répartissent comme suit: 

c

Rang dans le PAG

Numbre de projets

% du nombre de projets

Besoin de financement Total (Mds de FCFA)

% du besoin total de financement en FCFA

Financement Public (Mds de FCFA)

Financement public (% du total en FCFA)

Financement prive (Milliards de FCFA)

Financementprive (% en FCFA)

TOURISME

1

6

13%

644

9%

192

8%

452

9%

AGRICULTURE

2

5

11%

589

8%

300

12%

289

6%

INFRASTRUCTURE

3

8

18%

1838

24%

415

17%

1423

28%

NUMERIQUE

4

6

13%

579

8%

197.8

8%

381.2

7%

ELECTRICITE

5

4

9%

760.5

10%

328.5

13%

432

8%

CADRE DE VIE

6

11

24%

1867

25%

251

10%

1616

32%

CIIS

7

1

2%

423

6%

207

8%

216

4%

EAU POTABLE

8

3

7%

519

7%

280

11%

239

5%

PROTECTION SOCIALE

9

1

2%

336

4%

264

11%

72

1%

TOTAL

 

45

100%

7555.5

100%

2435.3

100%

5120.2

100%

Le trio de tête en pourcentage du nombre de projets se compose du « Cadre de vie » -24%-, de l’ »Infrastructure » -18%-, et a égalité le « tourisme » et le « numérique » -13%- devant l’agriculture -11%. L’« industrie » n’apparaît pas comme tel en tant que secteur. De façon  anecdotique, on peut noter que dans le document de présentation des projets du PAG, la racine « touris » -pour le toursime- apparait 31 fois sur 45 pages alors que la racine « indust » -pour industrie- n’apparait que 3 fois. Il est clair que le PAG mise sur le tourisme –notamment de luxe- comme le secteur à promouvoir.

En termes de besoin de financement total, le « cadre de vie » et l’ »infrastructure » sont presqu’a égalité en tête avec respectivement 25% et 24% des besoins de financement, suivis par l’électricité (10%)  qui dépasse de peu le tourisme (9%) toujours devant l’agriculture (8%).

Si on intègre au secteur tourisme les projets qui le soutiennent directement comme la Route des pêches( 115Mds), le Complexe international de Cotonou (155 mds), et la rénovation du centre-ville de Cotonou (149 mds), ce secteur –cité en première position dans le PAG- concentre 1063 milliards et 14% des besoins de financement, vient en troisième position, loin devant l’électricité et l’agriculture. Ce choix du gouvernement est renforcé par la guerre ouverteaux petits commerces et vendeurs de rue à travers les opérations brutales de déguerpissement. L’objectif avoué de ces opérations –qui ont concentré pendant des mois l’attention et l’énergie des décideurs au plus haut niveau- est de rendre les villes attractives  ,à l’image des villes d’Europe du Nord –qui soit dit en passant ne détiennent pas des records de fréquentation touristique.

PAG : mauvaise allocation des ressources provenant d’un endettement massif

1er cas : le tourisme

Le tourisme est certes un secteur économique pourvoyeur d’emplois et de devises, mais c’est loin d’être un secteur tirant le reste de l’économie. Qui plus es, le mode financement privilégié dans le PAG pour ce secteur c’est le recours au privé (70% de financement privé probablement par mise en concession) . Le résultatimmédiat de la mise en concession est que pendant la période de concession les excédents financiers générés sont rapatriés par les concessionnaires étrangers  et non réinvestis dans le pays .Certes des emplois seront créés dans le secteur du tourisme, mais cela restera une activité marginale dans le tissu économique, dont l’impact sur le niveau et la gravité de la pauvreté  incertain.

On est en droit de  se poser des questions sur cette stratégie qui concentre les investissements publics sur un secteur à faible effet d’entrainement sur l’économie au détriment par exemple de l’agriculture, de l’industrie ou d’autres services.Peut -on par ce biais réduire la pauvreté, ou va-t-on la pérenniser en rendant les investissements dans des secteurs plus productifs difficiles à financer, vu le taux d’endettement bâti par le PAG sur de longues durées ?

Il a été prouvé que pour que la croissance s’afuto-entretienne et soit durable et continue, il faut enclencher un cycle ou un secteur économique –industriel ou non- dégage des excédents économiques qui sont investis dans d’autres secteurs. Historiquement, dans les pays du centre (occidentaux en général), l’agriculture a été le secteur générant  des excédents économiques(grâce notamment à l’accroissement de la productivité, des rendements, et l’accès aux marchés), permettant le financement de l’industrie et des services. Des secteurs différents ont pu contribuer à l’accumulation initiale de capital dans d’autres économies –notamment les pays nouvellement industrialisés –NPI- d’Asie – ou les pays dits émergents comme le Brésil, l’Inde ou la Chine-BRIC-. Mais nulle part, on n’a connu de pays qui soit sorti de la misère endémique par le seul effet ou principalement par l’effet du développement touristique. Le rapport de la BAD qui semble avoir inspiré la fixation du gouvernement Talon sur le tourisme indique qu’à l’échelle mondiale le tourisme ne représente que 3,6% des emplois marchands en moyenne, le cas des iles ( Seychelles, Maurice, Cap Vert etc…) etant des exceptions.

2ème cas : le cadre de vie

De la même manière la concentration des investissements sur le secteur mal défini du cadre de vie ne nous paraît pas une utilisation optimale des maigres ressources de l’Etat, ce d’autant qu’il s’agit de ressources empruntées qui limitent l’accès ultérieur au crédit. Au nom de ce cadre de vie, et peut-être du tourisme, on détruit des pans importants de l’activité économique  informelle et on cherche a faire de villes africaines de pâles copies de villes d’Europe du Nord. Et pourtant, l’Asie du Sud Est qui est la première destination touristique mondiale ( en terme de région) n’a pas eu besoin de transformer le caractère de ses villes pour en faire  des copies carbone de Singapour.

Ces investissements auraient pu être orientés vers des secteurs permettant de générer de la croissance et réduire le fardeau de la dette. Le cadre de vie et la préservation des équilibres écologiques est certes une question vitale, mais l’art de la science économique et de la gestion en général est d’optimiser l’allocation de ressources en privilégiant les utilisations qui ont le plus fort retour sur investissement. Avec 24% des investissements, le secteur amorphe du cadre de vie mobilise ¼ des investissements publics avec des impacts économiques qui nous paraissent tout à fait aléatoires (150 Milliards d’impact sur le PIB attendus de la création d’un centre d’affaires au camp Ghezo). Tout se passe comme si un jeune ménage cherchant à s’installer dans la vie,en démarrant des activités générant des revenus continus, commençait par démolir la maison familiale qui l’abritait et à construire à crédit une villa cossue…. Il recevra certainement les félicitations de quelques visiteurs étrangers , mais nous ne donnerons pas cher de sa prospérité future…

Pour une politique économique hardie de sortie de la misère endémique

Après 27 ans de renouveau démocratique qui n’ont pas changé de façon significative la situation économique de la majorité des Béninois, il y avait une forte demande de repenser notre modèle économique – et politique- dans le cadre d’un nouveau contrat social impliquant peut être des sacrifices consentis collectivement dans un consensus, puisque compris et équitables. Cette demande d’assises nationales- sous une forme ou une autre -semblait acquise, mais le président Talon et son gouvernement ont préféré nous concocter un PAG avec l’aide de cabinets étrangers et sans aucune implication de la population.  Le mode de création du PAG porte en elle les germes des difficultés d’implémentation, au-delà de ses limites intrinsèques et du déficit de confiance dans le gouvernement après dix mois de déviances autocratiques  et de clientélisme à relent clanique..

On ne saurait remplacer la créativité collective et l’agrégation des besoins et priorités collectives,  mais nous nous hasardons à suggérer des pistes qui sortent des sentiers battus des dogmes de la Banque mondiale, du FMI et de la BCEAO, dogmes que nous avons essayés pendant 27 ans de renouveau et plus.

Il nous paraît primordial de partir d’une vision hardie qui se marie avec la concentration des ressources rares ( investissements et attention des pouvoirs politiques) vers les objectifs et les projets qui en découlent. Ce n’est pas le cas du PAG comme nous l’avons montré plus haut, et comme l’illustre la concentration de l’attention des pouvoirs publics sur la l’embellissement » des espaces publics et le tourisme au détriment d’une politique centrée –par exemple- sur

  • la création d’excédents agricoles massifs, base d’une agro-industrie moderne visant à faire du Bénin le grenier et le nourricier de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ( et non le pourvoyeur de matières premières de l’occident ou de la chine), à réduire les déséquilibres structurels des balances commerciales et de paiements ( l’indice de la valeur des importations a été multiplié par 6 (500% d’augmentation entre 2000 et 2016, et 45% de nos importations sont des importations de nourriture !)
  • l’industrialisation adaptée,  et les services à effet d’entrainement, visant à faire du Bénin la plate forme régionale des services informatiques et le pôle d’excellence en services de santé et de formation
  • la formation et l’alphabétisation(  à la fois massive et d’excellence) pour soutenir et permettre la réalisation des deux premiers objectifs

Le succès n’est pas garanti et il faut de nombreux ingrédients,à commencer par l’adhésion et le contrôle populaire, mais Einstein ne disait- il pas que « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Pour réduire la pauvreté et la misèreendémique, il est temps de faire autre chose et pas seulement autrement. Nous ne pouvons nous offrir le luxe  d’un nouvel échec de cinq ans , qui de plus compromet l’avenir

D’après les prévisions de divers experts, la Tanzanie possède l’un des potentiels miniers les plus prometteurs d’Afrique de l’Est. Le pays, qui dispose aussi d’un port, offre de multiples avantages aux autres nations de la région qui n’ont pas d’accès direct à la mer. Conscientes de l’immense potentiel du pays,… Lire la suite

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