Restitution des biens culturels du Bénin: Des réflexions pour un aboutissement heureux

La question de restitution de ses biens culturels Nationaux, soulevée par le Bénin, à travers la lettre adressée à la France en août 2016, et suivie d’une réponse de la partie française en décembre dernier, continue de nourrir les débats.

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Dans l’un de leurs échanges week-end dernier sur le thème «Le non diplomatique de la France à la demande du gouvernement béninois de retourner ses biens culturels: Blocages juridiques et précautions à prendre pour faire prospérer la décision gouvernementale», certains juristes et acteurs culturels se sont prononcés. Nous vous livrons ici le contenu de la réflexion de Pascal Wanou, juriste de formation, et Président de la Fédération nationale de théâtre du Bénin.

« Que le Bénin engage déjà le processus d’identification et de dénombrement … »

Avant tout, il faut admettre tout simplement que la France a répondu NON à la demande du Bénin ; il n’y a pas de « Non diplomatique » ; non c’est non.

Ensuite, Je voudrais féliciter et remercier le Président Patrice TALON et son Gouvernement, pour avoir pris enfin, et courageusement, la décision de demander la restitution de nos biens culturels illicitement déportés par l’ancienne puissance coloniale.

Je dis enfin, parce que, c’est depuis 1990, lors des états généraux de la Culture et des Sports, que le Bénin, à travers l’adoption de sa Politique culturelle, a affirmé la nécessité d’œuvrer au rapatriement de ses biens culturels illicitement transférés à l’extérieur. C’est déjà le point 3 intitulé « Inventaire, conservation et mise en valeur du patrimoine culturel », qui en affirme le principe : « la politique culturelle du Bénin mettra un accent particulier sur la sauvegarde et la restauration du patrimoine en péril… C’est pourquoi l’Etat béninois procédera… à la négociation des accords nécessaires au rapatriement de notre patrimoine culturel détenu par les anciennes puissances coloniales ». Et la Loi 91-006 du 25 février 1991, portant Charte culturelle en République du Bénin, dans son chapitre 3, article 13 (alinéa 3), de disposer :

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« En outre, il (l’Etat) œuvre également à la restitution des biens culturels expatriés ».

C’est dire donc que depuis 27 ans que l’Etat s’est assigné la mission de faire rapatrier ses biens culturels expatriés, ce n’est qu’aujourd’hui que le Gouvernement ose formaliser la demande de restitution. Le Gouvernement TALON est à féliciter.

Mais, s’il y a 27 ans, l’Etat s’est assigné cette mission de reconstitution de notre patrimoine culturel, j’observe malheureusement que, dans le même temps, il a péché par négligence. En ce sens que, 20 ans déjà avant l’avènement de la Charte culturelle, une convention internationale avait vu le jour sous l’égide de l’UNESCO, à propos des « mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites, des biens culturels », ce fut la convention de 1970 de l’UNESCO. Le Bénin, membre de l’UNESCO, n’avait pas signé cette convention jusqu’à la tenue des états généraux de la culture, pas plus qu’il ne l’a encore fait jusqu’à la date d’aujourd’hui. C’est un facteur de blocage juridique, puisque le Bénin ne peut se prévaloir de cette convention pour fonder sa demande, à l’opposé de la France qui l’évoque, à juste titre, pour justifier son refus.

Dans le même ordre d’esprit, en juin 1995, fut signée à Rome, la Convention UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (un peu comme pour compléter la convention de 1970). Force est de constater encore une fois, que le Bénin, jusqu’à la date d’aujourd’hui, n’a pas cru devoir signer cette convention. Ce qui constitue un facteur supplémentaire de blocage juridique. Ces deux textes internationaux constituent les principaux socles qui encadrent et gouvernent les processus de restitution des biens culturels illicites.

A cela, s’ajoutent d’autres éléments d’ordre juridique non moins importants, comme le droit de propriété, l’inaliénabilité, l’imprescriptibilité et l’insaisissabilité. La France par exemple, est devenue au fil du temps, propriétaire légale des biens concernés, même si le Bénin reste le propriétaire légitime. C’est autant de blocages juridiques qu’il va falloir démêler avec tact et diplomatie.

Quelles précautions prendre alors pour espérer un aboutissement heureux ?

Pour ma part, il faudrait :

Que le Bénin engage au plus vite le processus de ratification et d’adhésion des conventions sus citées, (celles de 1970 et de 1995), et toutes celles qui existeraient éventuellement dans le cadre de la restitution des biens culturels illicitement exportés ; même si ces textes ne sont pas rétroactifs, ils sont une base irréfutable de négociation, car, c’est bien de négociations qu’il s’agira.

Que le Bénin engage déjà le processus d’identification et de dénombrement de ces biens et de leurs propriétaires actuels ; cela permettra d’en connaitre le nombre exact, puis d’explorer les pistes de négociation avec les propriétaires autres que l’Etat français ;

Que le Bénin commence aussi à mettre en place, parallèlement à l’identification et au dénombrement, le dispositif d’accueil et de sécurisation de ces biens, car dans ce processus, le Bénin doit donner la preuve de la bonne conservation de ces biens, et de la possibilité pour le public d’y avoir accès avec facilité ; il s’agit de restaurer et de moderniser nos musées, mais aussi, de réfléchir à une politique d’appropriation et de fréquentation des musées ;

– Que, parallèlement à toutes ces actions, le Bénin saisisse le Comité intergouvernemental mis en place par l’UNESCO. En effet, un État qui a perdu des biens culturels d’une importance fondamentale, et qui en demande la restitution ou le retour, dans des cas ne relevant pas des Conventions internationales, peut faire appel au Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d’origine, ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale. Le Comité est chargé : de rechercher les voies et moyens de faciliter les négociations bilatérales, pour la restitution ou le retour de biens culturels aux pays d’origine. A cet égard, le Comité peut également soumettre aux Etats membres concernés, des propositions en vue d’une médiation ou d’une conciliation; de promouvoir la coopération multilatérale et bilatérale, en vue de la restitution et du retour de biens culturels à leur pays d’origine…

Pascal WANOU,  Juriste & Acteur culturel

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