Le traditionalisme, la cause première de notre affaissement systémique

Après quarante-deux ans d’enseignement aux Département de Sociologie-anthropologie et de Psychologie et des Sciences de l’Education, je ne désespère pas de parvenir à faire adopter par mes doctorants qui en sociologie qui en psychologie ou sciences de l’éducation, une démarche épistémologique et méthodologique pertinente d’analyse en sciences sociales ; à savoir une approche scientifique des faits basée sur des régularités généralement éprouvées et  non l’enfermement dans des clichés afro-centristes qui ne nous fait guère progresser dans la connaissance de nos sociétés et –ce qui est la tâche primordiale du social scientist- de fournir des conseils avisés aux décideurs politiques.

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Or, les docteurs en sociologie qui étaient intervenus la semaine dernière sur Canal 3 à propos de la royauté traditionnelle m’ont particulièrement déçu faute d’avoir pris en compte ces 10 considérations :

  1. Les chefferies traditionnelles sont avant tout des vestiges de notre passé précolonial. Le colonisateur les avait dès l’abord méconnues, mais faute de ressources humaines pour couvrir toute son administration territoriale, avait coopté quelques-uns des chefs traditionnels pour administrer les cantons.
  2. Ces cantons ont disparu à l’indépendance et furent remplacés par les subdivisions de cercles.
  3. « L’indirect rule » propre à la colonisation anglaise avait maintenu les « chiefs » dans la plupart de ses colonies, surtout au Cameroun et au Nigeria.
  4. Les chefferies traditionnelles n’ont été valorisées dans aucun des territoires de l’Afrique Occidentale et de l’Afrique Equatoriale dites françaises ; on en n’entend pas parler au Sénégal, au Mali, en Côte d’Ivoire, au Gabon ni en Centrafrique, sauf au Cameroun bien sûr.
  5. Le régime du PRPB qui avait fait sienne une idéologie rationnelle, le marxisme-léninisme, non seulement les avait superbement ignorées, mais les avait combattues comme des vestiges de la féodalité et des suppôts d’une idéologie réactionnaire et de pratiques obscurantistes.

 6- Sous le Renouveau démocratique, les chefferies traditionnelles avaient le profil bas sous Nicéphore SOGLO qui mettait plutôt en exergue les religions traditionnelles ; mais elles connurent un essor surprenant sous le Général Mathieu Kérékou qui fit créer un Conseil National des Rois du Bénin et surtout sous Boni YAYI qui fit organiser plusieurs colloques à leur intention ; toutes choses qui aboutirent à la création du Haut Conseil des Rois du Bénin.

7- Depuis avril 2016, un nouveau régime est venu et a affirmé sa volonté d’une rupture, sinon d’un nouveau départ. Tous les observateurs, de bonne foi ou par cynisme, regardent avec espoir ou scepticisme du côté du Président  Talon. Or, dans deux domaines au moins, Patrice Talon est en train de surprendre même ses plus fidèles partisans ; en cause :

  1. a) l’aide publique à fournir aux musulmans pour la construction de moult mosquées ;  
  2. b) la constitutionnalisation de l’existence (et non plus seulement légalisation de leur existence comme sous le Général Kérékou et Boni Yayi) des chefferies traditionnelles et donc de l’inscription au budget national d’une rente à leur allouer !

8- Nous venons de fêter les 27 ans de notre Conférence Nationale.  A ce sujet, l’Association Béninoise de Droit Constitutionnel a organisé le mardi 28 février une demi-journée de réflexion. En tant que discutant, j’ai eu à présenter un petit texte où à la suite de Madame Francine Godin, je disais que la période 72-82 fut objectivement la meilleure période pour notre système politique. En effet, l’Etat bonapartiste de cette période a garanti non seulement la stabilité politico-institutionnelle à notre pays, mais a réalisé des  efforts notables dans la satisfaction des besoins sociaux, ne serait-ce que le plein emploi aux jeunes diplômés. Après, nous avons fatalement sombré dans le despotisme césariste avec quelques velléités de sursaut patriotique sans lendemain au début (généralement deux ans) des trois régimes du Renouveau démocratique (1990-2016).

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9- Ne serait-ce que par pur patriotisme, tout le monde attend du régime du Nouveau départ, de mettre fin à la fatalité du despotisme césariste. Ce qui suppose le règne absolu de la logique républicaine et de l’Etat de droit qu’il faudra défendre sans complaisance. La promotion coûte que coûte de la démocratie pluraliste et de l’Etat de droit peut aller jusqu’à la dictature, celle  de la loi ou des obligations du développement : c’est la dictature démocratique de l’Etat bonapartiste. Cela suppose mettre fin à toutes les rentes et autres primes créées par parasitage stérile, lors donc que la culture se promeut d’elle-même par une créativité personnelle ou collective au niveau de la société civile (Loi de 1901)  et n’a pas besoin en que tant telle de soutiens financiers de l’Etat. Sinon nous nous soumettons à une logique totalitaire et non pluraliste. En effet, les rois et chefs traditionnels, comme les confessions religieuses, font partie certes de l’ordre républicain, mais n’ont rien à avoir avec la superstructure étatique. L’une des rubriques rémanentes des sciences politiques est la thématique Etat/Société civile. Confondre les deux niveaux, c’est chausser ipso facto les bottes du césarisme totalitaire!

10-Au demeurant, qu’est-ce qui a bien pu pousser les initiateurs de cette démarche profondément sectaire et crypto-régionaliste à ameuter une délégation séparée des rois dits du « Septentrion » ou du « Nord » alors qu’il existe plusieurs cadres nationaux de concertation des rois du Bénin ? Par ailleurs, est-il pertinent de pousser le Président Talon, gardant de l’intégrité territoriale, de l’unicité et de l’indivision de la République, à méconnaître notre Constitution en se faisant l’interlocuteur d’une prétendue délégation des rois du « Nord » ou du « Septentrion », encourageant ainsi des menées séparatistes ?

Attention ! Nos frères maliens ne sont pas encore venus à bout de l’irrédentisme des partisans de l’Azawad. Je ne crois pas extravaguer en mettant en garde contre d’obscures motivations islamistes quand je vois que tous ces rois « traditionnels » sont en fait des dignitaires habillés comme des cheiks ou des sultans du monde islamique.              

(A suivre)

Dénis AMOUSSOU-YEYE, psychosociologue

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