Révision de la constitution: Les propositions du Dr Albert Hounou

Médecin généraliste résidant à Burlats, en France, le Béninois Dr Albert Hounou, apporte sa contribution au débat en cours sur la révision de la Constitution du 11 décembre 1990.

Après un bref rappel contextuel et historique, il procède à un diagnostic avant de faire ses propositions. Lesquelles portent sur la limite d’âge pour les candidats à la présidentielle, le mode d’élection des maires, le poids de l’argent dans les élections, la réforme du système partisan, et le mandat unique.

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Comme il l’avait promis lors de la campagne présidentielle le Président Talon veut toiletter notre constitution. C’est bien le moment de le faire même s’il y a d’autres priorités. A la fin de son mandat, nous trouverions suspect une telle initiative. Nul ne peut oublier les turpitudes de Yayi Boni et ses velléités qui avaient inutilement stressé notre pays vers la fin de son deuxième et dernier mandat.

On ne peut pas non plus oublier qu’au Burkina, Blaise Compaoré, devenu au fil des années un expert dans le bidouillage des constitutions, finit par être balayé par une colère incandescente du peuple. Au Niger, Tandja dans la même situation sauva in extrémis sa peau face à une frange de l’armée qu’il croyait acquise à sa sinistre cause. Les exemples sont nombreux sur le continent avec des fortunes diverses.

Toute modification doit intervenir au début et non à la fin pour éviter toute suspicion. Saisissons donc cette opportunité pour revoir notre constitution bien qu’elle soit un modèle du genre. Prenons la main tendue de notre Président avant qu’il ne contracte le virus du syndrome du tapis rouge.

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Le syndrome du tapis rouge

C’est une question pathologique et nous devons essayer de comprendre comment ces hommes politiques en viennent à bafouer les textes institutionnels qui ont permis leur accession au pouvoir.

Lorsqu’un de nos semblables, un être humain, un mortel comme tout le monde, parvient au pouvoir de quelque moyen que ce soit, il vit un moment de métamorphose psychique. Le tapis rouge symbolise les honneurs. Marcher dessus vous fait grandir de quelques centimètres, vous vous sentez gonflé, nimbé d’un pouvoir quasi divin. Passer les troupes en revue, se faire admirer des foules, font monter l’adrénaline.

Au fil des jours et des mois, votre égo s’hypertrophie vous devenez allergique aux critiques, vous développez des prémices de mégalomanie. Vous êtes pris dans le vertige du pouvoir, vous devenez « accro » au pouvoir comme d’une drogue dure. Agacé par les contradictions, vous devenez de plus en plus taciturne, vous écartez tous ceux qui vous résistent, et votre cour ne se composent que de gens qui, du matin au soir, vous glorifient, vous êtes grand, vous êtes le meilleur, vous êtes un génie. Progressivement vous vous déconnectez des réalités de votre peuple jusqu’à devenir l’adepte du fameux « j’y suis, j’y reste ».

C’est la peur et la lâcheté qui favorise l’essor et la croissance de toute dictature. Dans nos démocraties naissantes la route est longue pour les consolider. Toute démocratie suppose une opposition structurée, qui doit arracher sa liberté. Celle-ci s’use quand on ne s’en sert pas ! Pour être forte, l’opposition doit avoir en son sein des hommes courageux et indépendants car en face, le Prince, atteint du syndrome du tapis rouge, sera poussé lentement mais surement hors du jeu démocratique encouragé par les silences coupables de ceux qui sont élus pour dénoncer les dérives.

Des oiseaux de mauvais augures, préférant leur assiette à leur dignité comme un ivrogne délaissant sa vertu pour une bouteille, pousseront le Président au crime. Pour lutter efficacement contre ce syndrome, il faut des institutions fortes et non des hommes forts.

Les propositions

La limite d’âge : je pense que la limite de l’âge à 70 ans est une grande injustice. A 70 ans, de nos jours, on est encore jeune. Des milliers de Béninois et de Béninoises de 80 ans peuvent bien diriger notre pays. Je connais beaucoup de gens qui ont à 100 ans leur fonction supérieure intacte ! Ce n’est pas parce que la pauvreté a réduit notre espérance de vie qu’il faut condamner tous ceux qui ont 80 ans. Il y a des sportifs à 95 et 100 ans. L’indien Ramjit Raghav, vient à 96 ans de donner naissance à un magnifique bébé ! le bougre n’a certes plus la frénésie de ses 20 ans, mais il a visiblement son horloge biologique en forme et ferait pâlir d’envie des sexagénaires ! qui s’en plaindrait ? Là n’est pas la question serait-on tenté de me dire, mais sachez qu’on peut être en bonne forme à 90 ans comme perdre toute énergie vitale à 50 ou 60 ans ! Les Béninois, s’ils atteignent 80 ans ou plus sont rarement déments. Qui a bien vu Nicéphore Soglo lors des dernières présidentielles affirmerait sans risque de se tromper qu’il avait de l’énergie à revendre.Adrien Houngbédji peut diriger le Bénin. Bruno Amoussou peut encore briguer la magistrature suprême. Je propose donc de fixer à 78 ans l’âge limite pour être candidat. Le risque est de réintroduire de vieux crocodiles dans le marigot présidentiel mais pourquoi pas ? en plus de leur expérience, le temps a bien bonifié leur sagesse.

Le mode d’élection des maires : l’élection des maires au Bénin apparait comme une aberration. Le système actuel conduit à placer à la tête de certaines communes des hommes impopulaires et minoritaires, de purs affairistes dont le mode de gestion n’a rien à envier aux grands chefs de la mafia.

Je propose une élection calquée sur le mode présidentiel c’est-à-dire par le suffrage universel direct, et qu’on la couple avec les élections législatives afin de gagner du temps et de l’argent.

L’argent des élections : notre pays inspire du respect et est cité en exemple sur le continent et au-delà. Cependant, le coût des élections parait scandaleux. Comment accepter qu’on dépense en moyenne 700 millions de FCFA par circonscription pour les législatives alors que des villages entiers n’ont même pas une seule boîte d’antalgiques ou d’anti-diarrhéiques ? On devrait réfléchir à réduire et plafonner les dépenses, l’argent des campagnes électorales fait oublier les programmes et les idées de développement en éliminant les candidats même les plus brillants.

Modification de l’article 5 nouveau : pour éviter l’accentuation des clivages régionaux et ethniques des partis, on pourrait revoir cet article qui fixe les conditions de financements des partis politiques. Par exemple, on pourrait exiger 2/5 des sièges dans au moins 2/5 des circonscriptions. Ceci pourrait forcer un peu plus les alliances et éviter l’ancrage trop ethnique des partis.

La question du mandat unique : franchement je pense qu’on a plus à gagner qu’à perdre dans ce système et ce n’est pas seulement à cause du risque du syndrome du tapis rouge. Quand un gouvernement est dépouillé de la perspective d’un deuxième mandat, il n’a pas la tentation de manœuvres politiques à dessein électoral. A priori, il se concentre plus sur les questions vitales de développement. Il distrait moins le peuple et a pour souci unique la gestion saine de son pays.

Toutefois, la constitution doit élaborer des garde-fous, la possibilité de poursuivre les auteurs de crime économique, fussent-ils d’anciens Présidents ou Ministres. En un mot, ce mandat unique doit être bien cadré par les lois dissuasives d’accaparement des richesses du pays pour un groupe d’individus protégés par des lois d’amnistie. Si ce n’est le cas le mandat unique ne sera pas générateur d’avancée en terme de développement mais l’occasion de s’enrichir sans compte à rendre. On pourrait assister à l’émergence de pouvoir « kleptocratique » qui « bidouille » des lois d’autoprotection post-mandataires. C’est le véritable danger du mandat unique.

Autres propositions :

1-    Les anciens Présidents de la République, s’ils ne sont pas condamnés par la justice et s’ils le désirent, deviennent d’office membres du Conseil Constitutionnel.

2-    Les candidats à une quelconque élection publique doivent présenter un casier judiciaire vierge.

3-    La durée du mandat des députés, des maires, et des conseillers communaux pourraient être maintenue à quatre ans et cinq ans. La vitalité d’une démocratie nécessite un renouvellement des acteurs de la vie publique, et six ans apparaissent trop longs même si l’argument financier est recevable.

4-    Le non cumul des mandats de maire et de député. Un maire ne doit plus être candidat pour la députation et vice versa, ou alors il démissionne de son mandat avant toute autre candidature.

Une large concertation, et la collecte d’idées à confronter avec l’avis d’experts juridiques triés sur le volet, s’imposent selon moi. S’en suivra la voie parlementaire avant un éventuel référendum. Tout ceci ne peut prendre moins de six mois. Le cas échéant, les parlementaires auront la très lourde responsabilité d’étudier convenablement le texte proposé, de la passer au prisme des intérêts du peuple et non leur propre avenir. Dans un an il sera trop tard, mais toute précipitation peut être préjudiciable à notre constitution

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