Parole et image : la reconquête

N’y allons pas par quatre chemins. Il nous faut absolument nous réapproprier notre parole. Il nous faut impérativement contrôler nos images. Qui contrôle les images du monde qui font, chaque jour, le tour du monde ? Qui règne sur la parole du monde ? Qui formule ce discours prétendument fédérateur et universel qu’on voudrait mettre dans la bouche de Monsieur et de Madame tout le monde ?

Voilà des questions qui ne tombent pas naturellement sous le sens. Surtout pas quand on se retrouve devant son poste téléviseur, à l’heure d’un sulfureux « classico » Real Madrid/ FC Barcelone. Les deux célèbres équipes de football sont à des milliers de kilomètres d’ici. Pourtant, à Cotonou, sinon dans tout le Bénin, ça chauffe. Autant qu’au Camp Nou à Barcelone. Autant qu’à Santiago Barnabehù à Madrid.

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Pendant ce temps, sur place, au Bénin, le football s’est arrêté, la balle a cessé de rouler, le championnat est suspendu, des champs de patate douce ont pris la place des stades, des talents se sont évanouis en fumée, des générations entières de jeunes athlètes sont sacrifiées. Dans le silence complice de tous ceux qui n’entendent plus que des paroles venues d’ailleurs. Dans l’indifférence de ceux qui ne voient plus que des images apprêtées par d’autres.

Pour comble d’ironie, c’est nous qui en redemandons. Au point d’oublier que ces images ne sont pas produites par nous. Au point d’ignorer que ces paroles parlent de nous, mais sans nous. Au point de méconnaître que ces images et ces paroles nous transforment en des singes. Des singes qui vivent leurs rêves de singes face à un miroir. Alors, questions. Quel discours produisons-nous par nous-mêmes et sur nous-mêmes ? Quelle image de nous-mêmes projetons-nous sur nous-mêmes ? Comment nous voyons-nous dans notre propre miroir ?

N’y allons pas par quatre chemins. Il nous faut absolument nous réapproprier notre parole. Il nous faut impérativement contrôler nos images. Il nous faut quitter la nudité dans laquelle nous sommes, sortir de l’absurdité dans laquelle nous nous enfonçons. C’est une question de vie ou de mort. Une question frappée de l’impérative alternative : to be or not to be. Etre ou ne pas être.

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Quelle image montrent-ils de nous, donnent-ils de l’Afrique et des Africains ceux à qui nous avons vendu tous nos droits à l’image ? Une Afrique des guerres et des conflits, égrenant le chapelet sans fin de leurs faits et méfaits. Une Afrique des réfugiés s’égarant dans l’enfer des déserts ou se laissant happer par la mort dans les profondeurs océanes. Une Afrique des épidémies et des pandémies, la fosse commune des plus vulnérables. Une Afrique de la désespérance peuplée de tristes Sisyphes condamnés à tricoter et à détricoter tout à la fois des destins brouillons.

Et ce sont les mêmes, selon des critères connus d’eux seuls, qui consacrent ceux des nôtres qu’ils estiment bons. Ce sont les mêmes, selon une grille d’appréciation connus d’eux seuls, qui condamnent à l’oubli ceux des nôtres qu’ils exècrent et diabolisent. A eux les centres d’excellence nantis du droit de dresser la liste des meilleurs d’entre nous, de consacrer et de célébrer ceux-ci, faisant passer du coup à la trappe les fortes têtes dont la tête ne plait pas.

Et c’est la totale quand nos responsables, nos chefs, en mal d’audience, oublient les médias de chez eux et se lancent dans la quête des radios, télévisions et journaux étrangers. Ces médias, croit-on, porteraient plus haut leur voix. Ces médias, pense-t-on, porteraient plus loin leurs idées. A eux primeur et préséance. Plutôt confier sa parole à Jean, là-bas, qu’à Zannou, ici. Car, là-bas, c’est l’oasis avec des talents en fleur. Car, ici, c’est le désert, dans toute sa stérilité minérale. En somme, le pot de fer d’un côté, le pot de terre de l’autre. Comme qui dirait : « Il n’y a pas match ! »

Stop ! Arrêtons cet ordre inique des choses. Cessons de cautionner l’absurde en continuant de marcher sur la tête. Mais attention : un droit se mérite, un droit s’arrache. Pour dire que le droit à l’image et à la parole que l’Afrique revendique à juste raison ne lui sera ni octroyé ni servi sur un plateau. Le continent doit se préparer à faire ses classes dans trois écoles distinctes mais complémentaires : l’école de la compétence (Savoir et savoir-faire), l’école de l’organisation (Efficacité et efficience), l’école de la production (Création, invention, innovation). Sommes-nous prêts ? Partons !

3 réponses

  1. Avatar de Adékpédjou Akindes.
    Adékpédjou Akindes.

    Merci à Jérôme pour son message.
    Il a, habilement, occulté la responsabilité de nos dirigeants politiques à la recherche d’un hypothétique honneur de passer sur RFI, France 24 et autres. Il a tenté de minimiser la démonstration de l’aliénation culturelle à la base de ces comportements de singes domestiqués. Oui, nous sommes obligés de faire avec, en espérant que nous aurons un jour, au Bénin, des Présidents qui n’ont pas honte de s’habiller comme les personnalités bien de chez nous, comme a fini par faire le Président Nicéphore Soglo. Je me permets d’en rêver.

    1. Avatar de GbetoMagnon
      GbetoMagnon

      « Il a…occulté la responsabilité de nos dirigeants » J’aurais dit qu’il a « su suggérer »

      « tenté de minimiser…l’aliénation culturelle à la base de ces comportements » j’aurais dit qu’il a moqué la vanité de parvenu, dont il a été fait montre

  2. Avatar de GbetoMagnon
    GbetoMagnon

    Et toc…

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