Le dernier article sur le colonel Alphonse Alley. A lire et à partager.La suite du récit se lit tout seul. Le colonel Alley naguère adulé tant par son armée que par la population, se laissera progressivement déborder par la troupe savamment manipulée par des leaders tapis dans l’ombre.
La lecture attentive des pages qui suivent montre que le chef incontesté avait déjà perdu de son aura en 1967 quand « les jeunes cadres de l’armée » l’avaient mis aux arrêts au Petit Palais en compagnie du Commandant Sinzogan à la chute du général Soglo. L’auteur ne s’y était pas trompé quand, il déclina l’offre de sa nomination au poste de directeur de cabinet.Il avait compris avant tout le monde que celui que les cadres de l’armée avaient réussi à imposer à la tête du pays, contre la volonté du pustchiste professionnel, Maurice Kouandété n’était plus que l’ombre de lui-même.
La suite, on la connaît, les élections présidentielles organisées dans le cafouillage, dont les résultats ont été invalidés. La nomination du Dr Emile DerlinZinsou au poste de président, le coup d’état de 1969 contre le même Zinsou qui avait fini par le jeter en prison pour un complot mal ficelé. Tout cela a précipité la descente aux enfers d’un militaire brillant qui avait rêvé trop grand pour une armée composée en grande partie de soudards manipulés par des chefs qui n’avaient d’ambition que pour eux-mêmes
Quand Stanislas Spéro Adotévi, l’auteur de » Négritude et Négrologues » raconte Alley (suite et fin)
Alley venait donc d’accéder au pouvoir suprême. Président de la République et, ipso facto, Chef suprême des Armées.
Il me proposa d’être le Directeur de son cabinet. Avec, disait-il, un pouvoir étendu et la possibilité de choisir qui je veux comme collaborateur. Il était sincère. Je le crus. Dans mon esprit, j’acceptais de travailler pour un « Grand Patron ». Car, j’admirais son allure de grand capitaine. J’aimais aussi sa passion de la vie, cette rage de vivre quelque peu rabelaisienne qui le définissait ; enfin sa tête de baroudeur marquée par une moustache caractéristique et dominée par de grands yeux intelligents. Bref, il avait une grande gueule qui, j’en étais convaincu, allait se mettre au service de notre pays humilié par les culbutes de ses bergers qui, pendant si longtemps lui ont interdit toute issue vers la liberté : une ouverture sur la démocratie fille d’un vrai projet de développement.
Acquis aux bons conseils, balayant les fausses objections, je pris fonction et me résolus à faire le boulot, non sans quelque appréhension, ni quelques conseils sollicités auprès d’amis, dont René Dossa 17 et le Président Zinsou.
Un jour cependant, je crois que c’était le troisième jour de ma prise de fonction, j’entrai dans le bureau du Président, probablement sans avoir frappé. Le spectacle qui s’offrait à moi était celui d’une grande souffrance qui me cloua sur place. Je percevais Alley, regardant dans le vide. Anéanti. La force puissante qui habituellement irriguait ses yeux et les rendaient souvent insoutenables s’était éteinte. Et abimé cet enthousiasme qui roulait comme un feu rayonnant. C’était une âme endolorie qui n’habitait aucun corps. Cette foi qui transportait les montagnes s’était évanouie. Je m’étais mis face à lui. Il me regarda quelques longues secondes et me dit d’une voix venant de l’au-delà, son malaise devant la situation qu’il vivait. Son étonnement mué en révolte, lorsqu’il repensait à l’arrogance des jeunes officiers au moment de son transfèrement au Petit Palais ; ce que Sinzogan aussi me confirmera plus tard. Et chez son ancien directeur de cabinet, le fameux Kouandeté, cette propension à la démesure qu’il n’arrivait pas à saisir et que j’ai nommée, pour réduire la tension « l’hybris grecque ». La définition quelque peu fantaisiste que j’ai eu à donner du concept le fit sourire et le ramena à la réalité. Mais, il était vraiment atteint.
Emergeant brusquement de son effondrement, il me manda d’aller au Togo en mission chez le Président Eyadema. J’acceptai volontiers et me rendis en pleine nuit à Lomé en compagnie d’Idrissou Souley, un ancien membre de mon cabinet au temps où j’étais ministre de l’information. Et qui sera plus tard ambassadeur du Bénin à Paris. La rencontre avec le Président Eyadema fut symptomatique. Après les salutations d’usage, Eyadema me demanda à brûle-pourpoint ce que je pensais de la position d’Alley. « Est-il, insista-t-il, le chef » ? Je bafouillai une réponse qui n’eut pas le mérite de la clarté et qui bien entendu, ne parvint pas à le convaincre. Me regardant dans les yeux, il réitéra sa question : « est-il oui ou non le chef » ? J’affirmai, en réponse et avec une certaine sincérité, que les lignes n’étaient pas encore marquées et qu’il fallait attendre quelque temps. Il me répéta alors, par deux fois, le regard dans le lointain comme s’il se parlait à lui-même. « Il faut qu’il soit le chef… cela, Alley doit le savoir. Faites le lui savoir de ma part ». Il parlait sans doute en connaissance de cause ! Nous nous quittâmes au petit matin. Et je rejoignis mon poste. Je n’allais plus jamais le revoir.
Arrivé à Cotonou, je me rendis directement au domicile d’Alley où je lui fis mon rapport en mettant en exergue l’obsession justifiée du Président Eyadema. Plus tard, je devais préparer pour Alley le texte de la Proclamation qu’il allait adresser à la Nation. Sa première proclamation ! Je pris toute une journée et une partie de la nuit pour élaborer un texte qui, du début à la fin, portait sur les événements ; évaluait leur impact sur le pays et leur retentissement à l’extérieur. Et enfin, pourquoi lui, Alley, s’était fait le devoir d’assumer dans l’honneur, « l’exploit » des jeunes officiers. Le texte lui plut. Il l’aima. Le relut plusieurs fois et fit même quelques essais de voix. Nous en étions au toilettage de notre texte lorsque Kouandeté et un autre officier, dont j’avoue n’avoir gardé aucun souvenir, entrèrent dans le bureau du Président sans se faire annoncer et surtout sans se donner la peine de frapper. Ce qu’ils n’auraient jamais osé avec le Général Soglo ! Mais le meilleur était à venir. Leur présence, disait Kouandeté d’une voix assurée, s’expliquait par la nécessité de discuter avec le Président du contenu de son discours. Cela ne me choqua pas outre mesure. Après tout, n’était-il pas Chef du Gouvernement Provisoire chargé de la Défense Nationale et de l’Information ? Mais, ce qui heurta plus particulièrement ma sensibilité, ce fut, outre ses propos incongrus sur les civils et auxquels je répliquai violemment, l’arrogance du ton dont il usa pour rejeter le texte qu’il trouvait « politiquement incorrect ». Ce texte, dit-il après une vague lecture et en regardant dans la direction d’Alley, est inacceptable car « si nous n’avions pas fait le coup aucun de vous n’aurait été là pour en parler ».
Ce discours vulgaire appelait une réponse et une sanction. Je regardai Alley. Je m’attendais à la réaction appropriée. Pas un mot ne sortit de sa bouche. Il était silencieux. Les yeux baissés. Il venait d’être brûlé dans sa foi…
Je le sentis en danger pour la vie. Je me levai, quittai la salle et une fois rentré chez moi, je décidai de lui envoyer une lettre l’exhortant à abandonner cette dangereuse galère. C’était une lettre de démission que j’écrivis dans l’espoir fou de provoquer l’effet d’un électrochoc. Il ne comprit pas. Il prit la lettre pour un acte de désertion, un geste d’abandon et m’en a voulu quelque temps.
Mais bientôt, tout allait se précipiter. Tout ne pouvait que se précipiter. De marchés de dupe en marchés de dupe, le ciel politique passa au noir d’encre et l’orage fondit sur nous pendant cinq longues années. Longues années de succession de situations tour à tour bouffonnes, grotesques et violentes, ou à la fois stupides et ignobles. Jeux de masques et temps perdus à percer les masques ; à découvrir qui se masque ; pourquoi et dans quel but on conserve le masque en le remodelant. Cinq longues années de variation de sens, de charivari… de malheur.
A mesure que passaient les jours et les saisons, se dessillèrent les yeux d’Alley. Il commençait à voir ce qu’il ne voulait pas voir. Ce qu’il feignait d’ignorer : la division de l’armée, la transvaluation dans l’aliénation des principes qu’il avait énoncés. Goût des antithèses fictives au détriment de la rigueur. Appropriation et adultération des structures qu’il avait conçues et leur utilisation à des fins de mise en tutelle des opposants au processus de dérégulation. Prise en otage de la société. Tout cela lui parvenait par vagues agitées de douleur intériorisée. Progressivement, cependant que se gâtaient les choses, il rencontra la distance comme élément différentiel qui le sépare désormais de cette armée, lieu géométrique de toute cette passion et de chaque acte de sa vie d’homme. Lentement, comme une marrée qui se retire, il se découvrit sans pouvoir… Il ne connaîtra plus jamais le frémissement d’être au centre des décisions.
La rapidité des évènements qui s’assujettissaient les uns aux autres dans ce Dahomey à la botte, lui fit prendre conscience que l’armée qu’il se représentait comme médiatrice dans le jeu politique était incapable de maîtriser aussi bien le flux des choses que leur contenu. Dans son essence comme dans sa réalité quotidienne, elle ne possédait ni la force d’élaborer une pensée ni les moyens de proposer une vision.
Au cours de ces années, l’histoire, d’épisode en épisode, roulait en roue libre comme poussée par une force aveugle vers une fin inexorable, sans merci. Nous avons tous suivi la valse-hésitation des promesses non tenues. On se souviendra pendant longtemps encore de l’incommensurable faribole que cette élection sans fondement ni principe décidée à la hussarde, parce que la situation devenait intenable. Les caisses étaient vides et dans la rue, les murmures se faisaient brouhaha. S’étant brulés les doigts au contact de la réalité, ces faiseurs drolatiques qui s’étaient autoproclamés jeunes cadres de l’armée, organisaient cette palinodie au cours de laquelle les dahoméens furent honteux de voir l’avocat Boissier Palun s’humilier à croire aux jeux de ces gamins égarés dans la jungle de la politique. Et qui, pris de panique choisirent de se renier une seconde fois, en annulant l’élection de Moumouni Adjou. Puis comme ils avaient constamment besoin d’émotions fortes, ils s’aperçurent brusquement que la sauce manquait de piment.
Et ce sera l’énorme et ahurissante loufoquerie de l’affaire dite « affaire de la Pentecôte ».Bouffée délirante de comportements schizophréniques de brigands psychotiques sortis tout droit des romans de Melville 18 et lecteurs assidus de Levy Brühl 19 ,qu’ÉricALLEY nous présente dans un travail d’entomologie qu’il faut savourer à cause de la précision et de la qualité du récit.
Je ne voudrais, quant à moi, ne retenir de cet opéra bouffe 20 que tout le temps perdu par le Président Zinsou, à s’affairer autour d’une affaire dans laquelle il n’avait rien affaire et qui ne faisait pas son affaire. Et surtout tout le temps gâché à aigrir la peine d’Alley qui fit campagne pour lui comme il aurait fait pour n’importe lequel des trois leaders qui occultaient l’horizon du Dahomey, parce qu’il croyait profondément en lui-même que la place de l’armée ne pouvait être ailleurs que dans les casernes et aux ordres du pouvoir politique.
Zinsou s’était à la vérité trompé d’ennemi en imposant à Alley une série d’humiliations inutiles dont se servira Kouandeté pour fracasser son régime. Alley, non pas attaché militaire, mais ambassadeur, même dans n’importe quelle république bananière d’Afrique ou d’Amérique Latine et son procès n’eût pas eu lieu ! Un procès en réalité et en raison justifié, qui démontrait combien Alley aussi bien que son entourage avait perdu pied en élaborant ce projet insensé, à la fois sidérant et farfelu d’enlèvement du Chef d’Etat-major. Ce qu’aucun Chef d’Etat n’importe où dans le monde ne saurait tolérer.
Le procès eut donc lieu ; et nous connûmes au cours de ces assises, des moments de joie ineffables lorsque, tel qu’en lui-même, se présenta le nouveau Chef d’Etat-major de l’Armée : le Colonel Kouandété, exhibant fièrement sa cinquième ficelle de lieutenant-colonel. Il fut magnifique.
L’interrogatoire du Président de la Cour nous révéla un personnage égo maniaque, à la pensée focalisée sur son moi, ignorant la remise en question, la notion de la faute ou de l’injustice commise. Ce qui sortit de sa bouche est un salmigondis de justifications confuses, de discours de haine.
Mais force était de reconnaître que nous étions en présence d’un homme de caractère ; une forte personnalité qui termina sa péroraison par : « je suis chef et je mourrai chef ».
Alley, ce jour-là, gagna la sympathie de tout le public du tribunal, mais il venait de perdre à jamais son armée au profit d’un redoutable manipulateur.
Il arrive, dans la vie des hommes, un moment où l’on ne mène plus les évènements. Ce sont eux qui vous mènent. Cela veut dire que dans le cas d’Alley, il y aura désormais :’’ un avant et un après’’. Concrètement, dès la fin de ce procès, le colonel Alley perd son auréole de Grand Chef en devenant le soldat de deuxième classe : prisonnier et souillé. Ce qui dans les sociétés grégaires comme l’Armée, est irrémédiable.
C’est un fait courant dans l’histoire : un chef déshabillé est un chef nu donc souillé 21. Les sociologues, les historiens des religions ont souligné l’ambivalence du sacré ; Roger Caillois22 notamment a montré que ce qui est sacré est en même temps susceptible de constituer une souillure. Au reste l’adjectif latin ’’sacer’’ signifie à la fois ‘sacré’’ et ‘’souillé ‘’; la même signification ambivalente se retrouve dans le grec ‘’hagios’’ qui peut en même temps exprimer la notion de ‘’pur’’ et celle de ‘’pollué’’. Chez Hésiode (Les Travaux et les Jours, La Théogonie, Le Bouclier) la souillure n’est pas distincte de la saleté matérielle. Lorsque l’homme souillé a lavé la saleté qui macule son corps et ses vêtements, il retrouve l’état de pureté. Cette notion est présente dans toutes les cultures. Chez nous (dans la culture éburnéo-guinéenne) on lave avec des décoctions l’homme qui a frôlé la mort ou connu une grande souffrance morale.
Alley a donc affronté l’imminence ultime. Il a connu la dislocation, l’exclusion. Il vient d’être établi dans l’instabilité par le cours des choses. Il ne pouvait parvenir à la palingénésie qu’en commettant un acte énorme comme César passant le Rubicon. Mais César avait toutes ses légions. Il était au milieu de ses Vétérans. Or Alley n’avait plus personne. Il était seul. La chance l’avait abandonné 23 . Machiavel 24 a particulièrement insisté sur la fonction de la chance (la Fortuna) dans le cheminement de la vie politique. Il faut savoir la saisir car une fois qu’elle vous abandonne, elle ne revient plus. César Borgia, cardinal et archevêque à 17 ans, prince magnifique vit son avenir s’évanouir à la mort de son père le Pape Alexandre VI. Il suffit d’un instant pour que tout bascule. Il en fut de même pour Alley….
Il se passa en effet beaucoup de choses lorsqu’il sortit de prison en décembre 1969, mais il n’en contrôlait plus le cours. D’abord, paradoxe des paradoxes comme il y en a tant dans l’histoire, ce fut le coup d’Etat de Kouandeté contre Zinsou, celui à cause de qui on l’envoya en prison qui le libera.
Puis, après la chute de Zinsou et le refus des officiers de confier le pouvoir à Kouandeté, il fut mis en place un comité de gestion nommée Directoire. Composé des officiers de Souza, Sinzogan et Kouandeté, il rétablit Alley dans ses droits et prérogatives. Mais incapable d`organiser des élections autrement que folkloriques, le Directoire fut contraint d’aller chercher dans la besace d’Alley le retour des trois anciens leaders, mais sous la forme tératologique d`un monstre à trois têtes appelé à régner par terme de deux ans pendant six ans.
Plus tard, nommé Secrétaire Général à la Défense, Alley ne jouera plus de rôle historique ni dans l’armée ni dans le pays. Il fut cependant très efficace dans la médiation entre les mutins du Camp Ghezo conduits le 23 février 1972 par l’éternel Kouandeté et le Chef d`Etat-major de l’armée le commandant Kérékou qui s`avançait déjà à pas invisibles, mais affirmés vers… le pouvoir suprême : en la circonstance, le retour de l’armée dans ses baraquements, la reconnaissance par celle-ci de l’obéissance sans discussion et l’acceptation sans hésitation de l’ordre républicain.
Alley avait reçu trop de coups pour un idéal auquel il crut toute sa vie et qu’il voulait transmettre en message passionné de foi aux jeunes générations. Un message d’espoir qui passe par les durs chemins de la démocratie, principe du fondement qui sert de soubassement à une République. Ainsi lorsqu’en 1975 Aikpe fut assassiné et que la prison d’Abomey futsaccagée par les manifestants venus le libérer, Alley refusa de s’évader convaincu que ses idéaux de démocratie et d’unité de l’armée prévaudront un jour.
On comprend maintenant pourquoi et comment il reçut en plein visage la déréliction qui l’abimait comme une griffure : une sale blessure. Alors, pour persévérer dans l’être, il perdit toute notion de vigilance, s’abandonna à la chair tendre des choses, à l’immédiateté de la vie, ce lent cheminement vers la mort. Je me rappellerai toujours ce repas de ce soirde 1972 à Porto Novo à mon domicile et auquel étaient conviés pour…‘discuter’, Kérékou et Owens. Le dîner était prévu pour 19 h. Nous attendîmes, tous trois, Alley jusqu’à 21 heures. Il vint à 21h05. Mais en galante compagnie. Kérékou me prit de côté et me dit : ‘’Professeur l’homme, c’est toujours la même chose. On ne peut rien faire avec lui’’.
Alley m’avait parlé, un jour, bien après ce diner, avec beaucoup de douleur et de tristesse devant ma maison à Porto-Novo, du choix humiliant des jeunes cadres après le coup d’état qui renversa le Conseil Présidentiel. Il ne savait pas que tout, avant ce choix, était déjà consommé ! Il ne comprit jamais, que son élimination définitive suivie de sa nouvelle arrestation en 1973, datait, au vrai, de ce soir de 1972.
Mais dix-sept ans jour pour jour, ses idées triomphèrent. L’armée se retira de la scène politique. Et le pouvoir revint au civil.
Alley mourut le 28 mars 1987 d’une crise cardiaque. Il était affaibli ; épuisé au-delà du pensable à sa sortie de prison. Le gouvernement jusqu’à sa mort lui ayant refusé ses droits, il vécut ses derniers jours dans une grande pauvreté adoucie seulement par l`affection de sa famille qui l’entourait et la générosité d’amis fidèles et courageux.
Il ne se plaignait jamais ; persuadé qu’il était, d’avoir payé, sans doute au prix le plus fort, les idées qui l’avaient animé toute une vie durant. Convaincu aussi qu’un jour, et ce jour vint, on lui sera reconnaissant d’avoir porté seul, tout seul, la croix de la raison et du devoir. Envers et contre tout et tous.
Il gardait tout pour lui : les injures, les médisances, les calomnies et les injustices. Parce qu’il était de Bassila, on avait prétendu qu’il était l’homme de Maga. Mais le gouvernement d’Ahomadegbé et d’Apithy, le gouvernement ‘’wologuèdè‘’ l’avait envoyé sans hésitation, sans l’ombre d’un doute à Parakou, mâter la révolte des partisans du même Maga en mars 1964. D’autres enfin ont claironné qu’il fut vendu à Apithy parce que l’Armée avait refusé d’arrêter, en novembre de la même année, ce dernier, sur injonction de ce qui fut appelé sans humour : ‘’l’Assemblée du peuple’’.
C’était un homme seul. On le verra souvent, très souvent en compagnie joyeuse. Il aimait plaisanter et rire. Et son rire était contagieux. Mais, au vrai, c’était pour étouffer la braise de son cœur.
En le suivant au fil des jours, à partir de l’observation de ‘’petits faits’’ comme les aimait Stendhal ; à travers ses propres faits et gestes aux instants lamentables de sa chute comme aussi bien au travers de ce que nous avons connu de lui en ses temps de gloire stellaire, nous découvrons vite et très exactement, cette solitude. La solitude totale qui est celle du malheur tragique. La solitude d’un homme africain, de surcroit un militaire africain (chose inouïe alors), en affrontements successifs avec les hommes qui l’entourent et son combat contre son destin pour la recherche obstinée d’une parole pour l’Afrique. Celle après laquelle nous courons tous depuis plus de cinquante ans et qui s’énonce en termes d’éradication de la pauvreté, de liberté pour nos peuples, d’éducation pour nos filles et de santé pour nos enfants et petits-enfants ; bref, en vision de vraie démocratie dans nos sociétés. Et, en cette occurrence, la nécessité de définir, en Afrique, la place et le rôle de l’armée dans la cité.
On prête au roi BEHANZIN, la phrase suivante :’’Est vraiment victorieux, l’homme resté seul qui continue de lutter dans son cœur’’. L’histoire d’Alley, reconnaissons-le, c’est la tragédie de ce héros solitaire qui a mené pour nous, à sa manière, et jusqu’ au terme ultime, la seule vraie bataille qui, aujourd’hui encore, en vaille la peine : celle de l’horizon d’une Afrique du futur.
Ouagadougou décembre 2013
Notes
17- Journaliste et homme politique dahoméen. Il participa à la création du journal national : Daho-Express. Me succéda à la tête du Ministère de l’Information. A la chute du 2e gouvernement du Général Soglo, il aura diverses fonctions politiques et techniques. Au cours de la présidence de Nicéphore Soglo, il deviendra le 1er président de la HAAC, fonction qu’il occupera pendant huit ans. Il aura été durant toute sa vie un de mes meilleurs amis. Un ami sans retour.
18- MELVILLE (HERMAN0 écrivain américain (1819 – 1891) ancien marin, auteur de romans d’aventures (MOBY Dick 1851. BILLY BOUDD) dans lesquels des brigands d’allure respectable qui se savent brigands agissent dans la réalité en brigands
19-LEVY BRUL 1939- père de la théorie de la mentalité primitive, théorie concernant tous les peuples non occidentaux. Il eut cependant le courage dans un ouvrage intitulé LES CARNETS de remettre en cause cette hypothèse peu avant sa mort, alors qu’il était en pleine gloire officielle. Donnant ainsi un exemple d’intégrité scientifique.
20-Un roman de quatre sous dans lequel Alley instruisit ses affidés, des soldats du rang et quelques officiers subalternes, qui devaient assassiner leur chef de la garnison de Ouidah afin d’opérer un coup d’Etat devant renverser le régime dont il était lui-même le Président ; cela lui aurait ainsi permis de faire revenir au pouvoir le Président Maga et ses amis…. Une histoire de fou où se trouvaient réunis tous les ingrédients constitutifs de nos phantasmes habituels (pratiques occultes et surtout régionalisme). Phantasmes qui jusqu’à nos jours ont obscurci le firmament dahoméen, et affaibli tous nos élans vers des projets constructifs…
21-Les hommes de ma génération et celle qui la précède, en suivant les événements d’Algérie ont pu constater que les généraux CHALLE, ZELLER, JOUHOUD et SALLAN, bien que disposant de nombreux partisans dans une large couche de l’armée française, celle-ci ne connut ni rébellion, ni tentative de soulèvement lorsque leurs chefs furentarrêtés, déshabillés, jugés et emprisonnés. Il en fut de même du Général VON BRAUTCHICH, Chef d’Etat-major général de l’armée de terre de l’Allemagne pendant la dernière guerre mondiale qui, limogé par Hitler croyait à une révolte des grands Généraux de l’armée. Ce qui évidemment n’eut pas lieu.
22- L’Homme et le Sacre, Gallimard 1939, Réédition. ‘’Folio essais’’, 1988.
23- Il est connu que lorsqu’on proposait à Napoléon la promotion d`un général, il disait toujours : ‘’Je sais qu’il est très compétentmais est- ce qu’il a de la chance’’. Napoléon était bien placé pour comprendre la force de la chance dans l’art de la guerre !
24- ‘’Les’’ DISCORSI, LE PRINCE etc.
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