Les barrières socio-économiques et culturelles limitant l’accès des femmes à la terre et aux ressources foncières, constituent une plaie sociétale qui handicape le développement de notre pays et sa résilience face aux chocs climatiques.L’accès à la terre est un sujet dont les femmes ont du mal à parler au Bénin. « La terre tue. Si on veut La Paix il faut s’en éloigner! ». Parole d’une femme rurale béninoise.
Le pourcentage de femmes propriétaires n’était que de 14.9 % en 2011 selon l’enquête modulaire intégrée sur les conditions de vie des ménages (EMICoV). Et on ne prend aucun risque à parier que ce taux est encore bien plus faible en milieu rural.
Le tableauci-après, extrait de l’enquête rapportée par SYDEL Afrique pour le compte de la Fondation Konrad Adenauer, en dit long sur ce qui doit changer afin que la femme (en particulier en milieu rural) puissent accéder à la propriété et/ou à un usage sécurisés de la terre, de son champ :80% des hommes ont accès au foncier par voir d’héritage contre seulement 2% des femmes!
Nous devons commencer par appliquer effectivement la loi en assurant à la femme la pleine jouissance de son droit à hériter de la terre.
Tableau : Récapitulatif des droits d’accès pour les hommes et les femmes
Source : Rapport SYDEL Afrique pour le compte de la Fondation Konrad Adenauer
Mode d’accès | Héritage | Achat | Location | Emprunt | Métayage |
Hommes | 80% | 65% | 4% | 0% | 0% |
Femmes | 2% | 15% | 34% | 47% | 5% |
(Enquête-chiffres tirés des services domaniaux des comme couvertes-2016)
Et pourtant en milieu rurale, ce sont les femmes qui, majoritairement, travaillent la terre. Elles consacrent 80% de leur temps à des tâches agricoles (en particulier pour la production vivrière et sa transformation). Par ailleurs elles sont de plus en plus nombreuses à être des chefs de ménages en raison de la forte migration masculine vers les villes.
Cependant, les terres qu’elles cultivent sont parmi les plus pauvres et plus dégradées du fait de la situation qui leur est faite et qui ne leur permet pas d’investir durablement dans leurs exploitations agricoles.
Et pourtant, il a été établi par l’Organisation Mondiale pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) qu’un accès sécurisé à la terre et une autonomisation (accès aux facteurs de production) des femmes rurales dans les pays en développement permettraient d’accroître de 20-30% la productivité de leurs exploitations, d’accélérer la croissance de l’économie nationale en boostant la production et le PIB agricoles, de réduire globalement d’environ 150 millions le nombre de personnes vivant endémiquement dans la faim. J’espère que le plan national de développement agricole et nutritionnel adopté cette année a pris en compte le rôle prépondérant de la femme dans ce secteur. Et cela ne serait que justice.Et cela contribuerait aussi à construire voire renforcer l’adaptation et résilience de nos territoires aux chocs climatiques.
Malheureusement, la femme béninoise est confinée dans l’usufruit de la terre et a bien du mal à y accéder d’une façon sécurisée, et cela, en dépit d’un cadre juridique (code foncier, code de la famille) jugé favorable. Assurer son accès sécurisé à la terre est une œuvre d’intelligence sociétale.
Or, ce cadre juridique est largement méconnu malgré les efforts (insuffisants) de vulgarisation, la mise en œuvre effective et efficace étant la meilleure des vulgarisations. Les premiers qu’il faudra former cette fin sont les maires, les agents de l’administration communale ainsi que ceux des structures déconcentrées concernées.
Alors, faisons-le et que chacun y prenne sa part.
Au-delà du plaidoyer qu’il faudra mener sans relâche, il me plait de mettre l’accent sur les quatre pistes d’action ci-après pour une action publique renforcée :
1. Les programmes de développement rural et les PDC (plans de développement communaux de nouvelle génération) devraient comporter des mesures et mécanismes transitoires de discrimination positive à l’attention des femmes
2. Les stratégies et programmes d’adaptation aux changements climatiques et de gestion durable des terres devraient comporter un volet genre qui prend en compte la vulnérabilité spécifique des femmes rurales.
3. Une déconcentration intelligente au service de la décentralisation, tout particulièrement dans le cadre de la mise en œuvre du code foncier, qui permet de prospecter et d’innover avec des initiatives pilote si nécessaires concernant des modalités de sécurisation de l’usage de la terre par les femmes
4. Parce qu’on ne sait améliorer que ce que l’on sait mesurer, il faudra introduire la problématique de l’accès sécurisé de la femme à la terre dans les indicateurs de performance de la gouvernance locale,
Pour réussir l’égalité inscrite dans l’article 26 de notre Constitution, il faudra des mesures transitoires de discrimination positive comme cela a été le cas partout ailleurs où cette cause à un tant soit peu prospérer. J’espère qu’à ce sujet l’Assemblée nationale et la Cour Constitutionnelle (qui a déclaré anticonstitutionnelles des dispositions de discriminations positives envisagées par l’Assemblée nationale) sauront revoir leur copie à cette fin.
Mais rien ne remplacera l’éducation et la capacitation effectives de la femme en tant qu’acteur majeur du développement.
Mes félicitations à WILDAF-Benin et à la Fondation Konrad Adenauer pour leur engagement à cette fin.
Luc GNACADJA
Président de GPS-Dev
Ancien Ministre
Laisser un commentaire