Tu es ce que tu manges

Plantons le décor. Nous sommes dans l’un des plus grands hôtels de la place. Un groupe d’experts est convié à un déjeuner de travail. Au menu de ce déjeuner, des mets étrangers. Leurs noms claquent comme des inconnues d’une équation culinaire complexe. Tout se passe comme si l’on avait préféré les produits venus d’ailleurs aux produits de chez nous. Départons-nous, pour lever toute équivoque, de l’idée d’imposer au menu de nos hôtels et restaurants, au nom d’un nationalisme plutôt étroit, des mets béninois, des mets africains.

La guerre des cuisines n’aura pas lieu. Mais les comptes doivent être proprement tenus pour que nous sachions à quoi nous engagent les options que nous prenons. Quelles sont-elles ? A quelles conséquences nous exposent-elles ?

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1- Si tous les hôtels, tous les restaurants – notamment les plus importants – décidaient, pour ainsi dire, de « béniniser » leur menu, ce serait un grand et bon point pour le Bénin. Ceci à divers titres. Ceci à différents niveaux.

  • La production agricole, animale, piscicole etc. serait boostée. En termes d’augmentation, sur nos marchés, en quantité et en qualité, des fruits et légumes, des produits de la pêche et de l’élevage. L’offre bonifiée du produit du travail des Béninois irait ainsi à la rencontre d’une demande solvable. Un tel progrès, dans plusieurs secteurs vitaux de notre économie, serait un gage d’autosuffisance et d’indépendance. Comme quoi, d’un clic, nous pouvons changer l’ordre actuel des choses. Nous pouvons   enclencher une véritable révolution. Le « consommer béninois » cesserait d’être un simple slogan.
  • L’accroissement de la production entraînerait l’accroissement des revenus au bénéfice de toute la chaîne des acteurs : agriculteurs, pisciculteurs, éleveurs,   marchands, du grossiste au vendeur au détail.

Un pays qui s’engage à consommer ce qu’il produit, réduit notablement ce qu’il importe pour sa nourriture. Ce sont des devises qui sont ainsi économisées. Ce sont, en d’autres termes, des milliards de nos francs qui resteront sur place et qui serviront à construire le pays. En procédant autrement, ce sont les autres que nous enrichissons. Et les autres, pour comble d’ironie, ce sont ceux-là chez qui nous allons quêter l’aumône pour nous soulager du fardeau de notre pauvreté. On vous l’a dit, l’Afrique n’est pas pauvre. Elle est appauvrie.

2 – Un peuple qui produit plus et qui tire ainsi le meilleur de son travail, à défaut de briser définitivement le cercle infernal   de la pauvreté, gagne des gallons sur le plan de son autonomie. Autonomie de pensée avant tout. Difficile pour un politicien de manipuler celui qui se rend désormais moins vulnérable à la corruption. Compliqué pour un bonimenteur de vendre sa salade et de faire gober ses mensonges à celui qui a su se dégager de la servitude de la nécessité. C’est la corruption qui bat en retraite. C’est une nouvelle conscience citoyenne qui point. C’est la capacité de choisir par soi-même et pour soi-même qui s’affirme.

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Jamais nous n’aurions pu établir la relation entre le menu d’un déjeuner dans un hôtel et cette lame de fond salvatrice capable de changer le destin de tout un peuple. Un peuple qui se défait de ses chaînes. Un peuple qui sait river les yeux sur les sommets de ses rêves et de ses ambitions. Un peuple qui s’interdit de se laisser aller à errer sans but ni objectif.

3 – Produire ce qu’on mange, manger et faire manger ce qu’on produit ne comble pas que de biens matériels. Une telle option   engage un pari culturel qui va dans le sens de l’affirmation de l’identité. Qui sommes-nous et d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Quelles sont nos motivations et nos raisons d’être et d’agir ? Se poser de telles questions, plutôt que de se livrer en aveugles au destin qui vous entraîne, pour parodier Racine, c’est refuser d’être les victimes résignées des vicissitudes d’un passé honni. Au cas où on l’oublierait, le maître colon avait délibérément choisi d’enterrer nos valeurs de vie sous la chape d’un profond oubli. Si nous devions revisiter l’histoire, dans l’espoir têtu d’exhumer notre part d’humanité, commençons par remettre à l’honneur les mets et plats de nos terroirs. La bouche a une valeur symbolique incontestable. C’est par la bouche que nous nourrissons le corps. C’est par la bouche que notre esprit construit ou détruit le monde. Pensons-y.

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