Bénin : La décision qui consacre la vassalisation de la cour à l’Exécutif

Cette décision rendue par la Cour constitutionnelle a valeur de piqure de réveil pour le chef de l’Etat et son gouvernement. En effet, les plus grands constitutionnalistes ont souvent enseigné que la violation des décisions de la Cour constitutionnelle par le gouvernement est une fatalité. Pourtant, la non-exécution par le pouvoir exécutif des décisions de la Cour constitutionnelle, comporte de redoutables risques pour le chef de l’Etat. C’est le message important que véhicule le recours introduit le 21 avril 2017 par Monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU.

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En se fondant sur la violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution, Monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU a demandé à la Cour constitutionnelle de déclarer contraire à la constitution la violation de sa décision DCC 17-023 du 02 février 2017, par le gouvernement. Par cette décision, la Cour constitutionnelle avait déclaré contraire à la constitution la décision prise par le Gouvernement en Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016, ainsi que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, portant nomination d’une nouvelle équipe de l’Autorité de régulation des Communications électroniques et de la Poste du Bénin (ARCEP-Bénin), pour violation des droits de la défense consacrés et protégés par les articles 17 alinéa 1er de la Loi fondamentale, et 7.1. b), c), d) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Alors que cette décision a été notifiée à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal officiel, Madame Rafiatou MONROU AGBATCHI, Ministre de l’Economie numérique et de la Communication, a organisé une séance de travail avec les membres de son cabinet, des opérateurs de téléphonie mobile et ceux de l’ARCEP-Bénin, dont la nomination a été invalidée par la Cour constitutionnelle.

Le requérant a estimé que Madame la Ministre chargée de l’Economie numérique et de la communication, par ce comportement, a violé les articles 35 et 124 de la Constitution.

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Pour lui, le chef de l’Etat en refusant de rapporter le relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016, ainsi que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 portant nomination des membres de l’ARCEP-Bénin, a non seulement violé son serment prévu à l’article 53 de la Constitution, mais également les dispositions des articles 35 et 124 de ladite Constitution.

Après avoir rappelé les dispositions des articles 3 alinéa 3 et 124 de la Constitution, et 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, la Haute juridiction a jugé que «le non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle constitue en soi une violation de la Constitution».

Elle en déduit que la ministre de l’Economie numérique et de la Communication, en organisant une séance de travail et en y invitant les nouveaux membres de l’ARCEP-BENIN, nommés à l’issue du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, a méconnu les articles 3 alinéa 3 et 124 de la Constitution, et l’article 34 de la loi organique.

Cette décision est à saluer en même temps qu’elle laisse un goût d’inachevé, signe évident de manque d’audace de la Cour.

Néanmoins, il importe de tirer quelques leçons de cette décision.

Première leçon : En condamnant la séance de travail organisée avec les membres de l’ARCEP-BENIN dont la nomination a été déclarée contraire à la constitution, la Cour envoie un message fort simple au gouvernement. Les actes et décisions de l’ARCEP-BENIN sont dépourvus de toute once ou onction de légalité. Au contraire, il s’analyse comme une insécurité juridique dans la mesure où ils n’ont aucun fondement juridique.

La deuxième leçon : Toute séance de travail avec cette équipe est une nouvelle violation de la constitution qui peut être sanctionnée. En d’autres termes, la Cour condamne l’équipe de l’ARCEP-BENIN à l’isolement jusqu’au jour où elle démissionnerait. Or, il n’est pas évident qu’elle dépose le tablier.

C’est pourquoi, il était salutaire que la Cour déclarât que le chef de l’Etat avait méconnu l’article 53 de la constitution, comportant la formule du serment qu’il a prêté. Ce qui mettrait le président de la République dans les liens de la violation de son serment.

Malheureusement, elle est restée muette sur ce deuxième volet du recours à elle adressé par Monsieur WEINSOU. Elle n’a même pas daigné adresser des mesures d’instruction au président de la République, mais plutôt préféré sacrifier la Ministre de l’Economie Numérique et de la Communication.

Or, la Ministre en cause n’a fait que mettre à exécution un décret pris par le président de la République.

La Cour constitutionnelle ayant pour mission d’assurer la suprématie de la Constitution envers et contre tous, elle ne pouvait pas rester insensible aux violations de la Constitution par le président de la République, qui a pourtant juré de respecter et d’assurer le respect de la Constitution.

En ne statuant pas sur le cas du président de la République, la Cour a manqué de courage et a semblé plutôt cautionner la violation de ses décisions par le chef de l’Etat. Ce qui confirme les soupçons de musellement qui pèsent sur elle. Par cette décision, la Cour renforce ce sentiment qui tend malheureusement à se propager et surtout à affaiblir sa crédibilité.

La vassalisation de la Cour constitutionnelle est un mauvais signe pour l’Etat de droit et la paix par ces temps de rupture.

DECISION DCC 17-209 DU 19 Octobre 2017

La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête du 21 avril 2017 enregistrée à son secrétariat le 24 avril 2017 sous le numéro 0741/106/REC,par laquelle Monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU forme un recours pour violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution ;

VU la Constitution du 11 décembre 1990 ;

VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;

VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;

Ensemble les pièces du dossier ;

Ouï Monsieur Zimé Yérima KORA-YAROUen son rapport ;

Après en avoir délibéré,

CONTENU DU RECOURS

Considérant quele requérant expose : «…Suivant la décision DCC 17-023 du 02 février 2017, la Cour constitutionnelle a déclaré contraires à la Constitution, la décision prise par le Gouvernement en Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016 ainsi que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, pour violation des droits de la défense consacrés et protégés par les articles 17, alinéa 1erde la Loi fondamentale et 7.1. b), c), d) de la Charte africaine des droits de 1’Homme et des peuples » ;qu’il développe : « Cette décision a été, à la diligence de la Cour, notifiée à Monsieur le Président de la République et publiée au Journal officiel. Curieusement et malgré la notification assurée au Chef de l’Etat, Madame la Ministre chargée de la Communication, le 12 avril 2017, soit près de deux mois plus tard, a organisé une séance de travail en présence des membres de son cabinet, des opérateurs de téléphonie mobile et ceux de l’Autorité de régulation des Communications électroniques et de la Poste du Bénin (ARCEP-Bénin).

Pourtant, le Président de la République a prêté serment, conformément aux dispositions de l’article 53 de la Constitution en ces termes: ‘’Devant Dieu, les Mânes des Ancêtres, la Nation et devant le Peuple béninois, seul détenteur de la souveraineté; Nous…, Président de la République, élu conformément aux lois de la République jurons solennellement:

– de respecter et de défendre la Constitution que le peuple béninois s’est librement donnée ;

– de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation nous a confiées;

– de ne nous laisser guider que par l’intérêt général et le respect des droits de la personne humaine, de consacrer toutes nos forces à la recherche et à la promotion du bien commun, de la paix et de l’unité nationale ;

– de préserver l’intégrité du territoire national;

– de nous conduire partout en fidèle et loyal serviteur du peuple. En cas de parjure, que nous subissions les rigueurs de la loi’’. Il ressort de la formule dudit serment en son premier tiret que leChef de l’Etat est le premier défenseur de la Constitution que le peuple béninois s’est librement donnée. Mieux, l’article 124 de ladite Constitution précise que ‘’Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles’’.

Par ailleurs, l’article 35 de la Constitution … dispose que ‘’Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun’’.

En l’espèce, Monsieur le Président de la République,  en n’abrogeant pas le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, et surtout en ne mettant pas fin aux fonctions des membres de l’ARCEP-Béninnommés suivant la décision prise par le Gouvernement en Conseil des ministres du 27 juillet 2016, a méconnu la Constitution en ses articles 35, 53 et 124. » Qu’il ajoute :

« Quant à Madame la Ministre chargée de la Communication, elle a violé les articles 35 et 124 de la Constitution, en ce qu’elle a ignoré la décision de la Cour et a continué, comme si de rien n’était, à collaborer avec l’équipe de l’ARCEP-Bénin issue de la décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016 » ; qu’il conclut : « Afin que force reste aux décisions de la Cour constitutionnelle, … déclarer … contraire à la Constitution, pour violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution, le non-respect par Monsieur le Président de la République et Madame la Ministre en charge de la Communication de la décision DCC 17-023 du 02 février 2017 » ;

INSTRUCTION DU RECOURS

Considérantqu’en réponseà la mesure d’instruction de la Cour, leministre de l’Economie numérique et de la Communication, MadameRafiatou MONROU AGBATCHI, écrit :

« -Sur le moyen unique du requérant tiré de la violation des articles 35, 53 et 124 de la Constitution

Il est reproché à Monsieur le Président de la République d’avoir violé les dispositions de l’article 53 de la Constitution.

Aux termes de l’article 35 de la Constitution ‘’ Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun’’.

L’article 53 consacre la formule du serment du Président de la République avant son entrée en fonction et l’article 124 indique que ‘’Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles’’.

Il résulte des éléments ci-dessus que le requérant Amédée Vignon Serge WEINSOU, en déférant à la haute juridiction sur le fondement des trois articles cités supra, le non-respect de la décision DCC17-023 du 02 février 2017 relative à la décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016 et du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 ayant suspendu, puis relevé de leurs fonctions, les anciens membres de l’ARCEP-Bénin, demande à la Cour de se prononcer à nouveau sur le même objet.

Toutefois, selon une jurisprudence bien établie, notamment la décision DCC 96-030 du 26 juin 1996, la Cour, pour déclarer une nouvelle requête dont elle est saisie et portant sur le même objet, irrecevable, a décidé que: ‘’L’article 124 de la Constitution confère aux décisions de la Cour Constitutionnelle l’autorité de la chose jugée’’.

En conclusion, sur le fondement de l’article 124 de la Constitution, je prie la haute juridiction de constater que la requête de Monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU concerne le même objet,la décision du Conseil des ministres relative aux anciens membres de l’ARCEP-Bénin,et de la déclarer irrecevable » ;

ANALYSE DU RECOURS

Considérantqu’aux termes des articles 3 alinéa 3 et 124 de la Constitution : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels » ; « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autoritésciviles, militaires et juridictionnelles »; que par ailleurs, l’article 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose : « Conformément à l’article 124 de la Constitution,une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours.

Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles.

Elles doivent en conséquence être exécutées avec la diligence nécessaire.» ;

qu’il s’ensuit donc que le non-respect des décisions de la Cour constitutionnelle constitue en soi une violation de la Constitution;

Considérant que par la décision DCC 17-023 du 02 février 2017, la Cour a dit et jugé que « La décision du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, objet du relevé des décisions administratives du 28 juillet 2016 et du décret n°2016-631 du 12 octobre 2016, est contraire à la Constitution en ce qui concerne les membres de l’ARCEP-BENIN » ; qu’il en découle, eu égard à l’article 3 alinéa 3 précité de la Constitution, que le décret n°2016-631 du 12 octobre 2016 portant relèvement de fonction et abrogation de décrets de nomination à l’ARCEP ainsi que les actes administratifs consécutifs audit décret sont nuls et non avenus ; qu’ainsi, le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, Madame Rafiatou MONROU AGBATCHI,  en organisant une séance de travail et en y invitant les nouveaux membres de l’ARCEP-BENIN nommés à l’issue du Conseil des ministres du 27 juillet 2016, a méconnu les articles 3 alinéa 3 et 124 précités de la Constitution, et l’article 34 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle

DECIDE

Article 1er.-Le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, Madame Rafiatou MONROU AGBATCHI, a méconnu la Constitution.

Article 2.-La présente décision sera notifiée à Monsieur Amédée Vignon Serge WEINSOU, à Madame le ministre de l’Economie numérique et de la Communication, à Monsieur le Président de la République et, publiée au Journal officiel.

 

Ont siégé à Cotonou, le dix-neuf octobre deux mille dix sept

Messieurs Théodore HOLO Président

Zimé Yérima KORA-YAROU Vice-Président

Simplice Comlan DATO Membre

Bernard Dossou DEGBOE Membre

Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA Membre

Monsieur Akibou IBRAHIM G. Membre

Madame Lamatou NASSIROU

Le Rapporteur,

Bernard D. DEGBOE.-

Le Président,

Professeur Théodore HOLO.-

7 réponses

  1. Avatar de Sonagnon
    Sonagnon

    Il faut des démocrates pour faire la démocratie.

    Je disais il y a quelques sur ce forum que la démocratie est morte sous Patrice Talon au Bénin.
    Voilà un exemple concrconcret.

    Dans un pays démocratique, doit on prier quelqu’un pour qu’il se conforme à la loi?

    A plus forte raison celui qui est le garant de la légalité???

    Notre constitution à tout simplement des limites, si non le voyou qui s’est invité à la place qui n’est pas la sienne devrait pure et simplement reconduire à la place qui lui convient.

    C’est en cela que j’ai toujours dit que Patrice Talon n’a plus la légitimité pour être à la place où il est.

    1. Avatar de Sonagnon
      Sonagnon

      Lire: Être reconduire à la place qui est la sienne.

  2. Avatar de Tchité
    Tchité

    Si les decisions ne sont pas applicaquees et que les lois ne sont pas respectees, pourquoi prendre la peine d’avoir une constitution et des lois?

    1. Avatar de Josito
      Josito

      Ça sert à justifier le salaire des députés. 

  3. Avatar de Josito
    Josito

    La démocratie de la rupture c’est la rupture de la démocratie. 

  4. Avatar de fofovi
    fofovi

    Moi je ne comprend toujours pas pourquoi notre cour constitutionnelle ne rend jamais applicables les décisions qu’elle prend….

  5. Avatar de
    Anonyme

    Stop

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