Conformément aux prescriptions de la constitution du 11 Décembre 1990, le Chef de l’Etat en exercice a l’obligation à chaque fin d’année, de présenter l’état de la Nation à travers un discours prononcé devant les députés à l’Assemblée nationale. C’est à cet exercice que s’est livré le Président Patrice Talon, le 22 décembre 2017 devant la représentation nationale à Porto-Novo. Au lendemain de ce discours, Eugène Azatassou le coordonnateur des Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe), a livré ses impressions à travers une interview accordée à votre journal. Il a aussi profité de l’occasion pour aborder d’autres sujets d’actualité.
LNT : Le Chef de l’Etat Patrice Talon s’est conformé à la constitution du 11 Décembre 1990 en prononçant son discours sur l’état de la Nation le vendredi 22 décembre 2017, devant les députés à l’Assemblée nationale à Porto-Novo. Quelle analyse globale faites-vous de ce discours ?
Eugène Azatassou: C’est un discours qui va dans la droite ligne de ce qu’on a eu jusqu’ici depuis l’installation du Président Talon à la tête de notre pays le 6 Avril 2016. C’est-à-dire « le pays était totalement gâté, ils sont venus pour tout arranger, il faut serrer la ceinture, il faut espérer, le bout du tunnel est pour bientôt, on va construire complètement le pays », etc., etc., etc. C’est un discours dans la même veine. C’est un discours qui endort et qui cherche à endormir davantage le peuple béninois et à faire en sorte que l’on continue d’espérer alors que la situation est très morose. C’est un euphémisme. Le panier de la ménagère est vide alors que des plus de trois 3000 milliards de budget utilisés pour notre pays depuis 2016, on ne voit aucune trace de ce qui est fait. On ne sent que l’appropriation de l’économie du pays par un clan. Tout au début et cela s’est poursuivi, le Président de la République et ceux qui l’entourent se sont réglé les comptes et ont ramassé les fonds. On ne comprend pas qu’on ait utilisé un tel budget (2010 milliards) en 2017 plus cent pour cent des 1400 milliards en 2016, et qu’on en soit là à payer les salaires sur crédits bancaires. On fait croire qu’on est toujours en train de faire la fondation, et que le trou est profond. Alors que l’impression qu’il se dégage nettement est que l’on creuse tous les jours avec des prêts à droite et à gauche. Ils creusent le trou davantage et le peuple béninois gémit chaque jour que Dieu fait. Et pour pouvoir gérer comme cela en toute liberté, et ne pas avoir d’entraves, on bâillonne les libertés démocratiques. On sait ce qui se passe au niveau de la presse. Toute protestation ou toute velléité de protestation est réprimée. Soit c’est le bâillonnement, soit c’est la corruption, soit c’est la recherche de prétextes à accrocher à un citoyen pour l’envoyer en prison ou le radier. C’est exactement ce qu’on est en train de vivre et moi j’ai été surpris que le discours n’ait fait état de rien de tout cela, que le discours n’ait pas fait état des violations répétées de la constitution. Nous assistons actuellement à la vassalisation des Institutions, le non respect des décisions de la Cour constitutionnelle. La vassalisation de l’Assemblée nationale s’est étalée au grand jour ces derniers temps. C’est vraiment dommage. C’est le discours qui dit : «dormez tranquille, nous nous occupons de vous», alors qu’en réalité nous dormons tranquille et on nous pille.
Vous avez prononcé le mot ‘’corruption’’. Là-dessus, le Chef de l’Etat s’est dit déterminé à mener une lutte implacable contre ce fléau, afin d’assainir l’économie du pays. Vous n’y croyez pas ?
Vous-même vous voyez, la moralisation de la vie publique est une bonne chose en général si elle est menée avec la rigueur qu’il faut. Actuellement, il n’y a pas cette rigueur là. On ne s’attaque qu’à ceux qui sont des opposants et qui l’expriment. Ce sont ceux-là qui sont dans le collimateur. C’est à ceux-là qu’on s’attaque. C’est pour ceux-là qu’on invente des choses. Vous avez bien vu que pour un dossier 45 milliards, on dit non, nous n’allons pas regarder dans le rétroviseur et pour un dossier 2 millions 500 cent mille avec du champagne, et dont les preuves n’existent d’ailleurs pas, on s’acharne sur des gens. Au lieu de regarder dans le rétroviseur, on a plutôt choisi de regarder dans la vitre arrière pour ne pas faire d’accident. On n’appelle pas cela moralisation de la vie publique. On se sert du principe de moralisation de la vie publique pour régler des comptes ou pour mettre au pas des gens qui veulent critiquer. Et c’est dommage qu’on en soit arrivé là. Je crois que l’équipe qui là est définitivement incapable de moraliser la vie publique tel que souhaité par le peuple béninois.
La date du 21 Décembre 2017 est le délai butoir donné par la Cour aux députés pour désigner leurs collègues membres du Cos-Lépi. Jusqu’à minuit de cette date, rien n’a bougé officiellement au parlement. Est-ce là une autre violation des décisions de la Cour par l’Assemblée Nationale ?
C’est clair que c’est une autre violation. Ce jour là, le Président de la République a fait son discours sur l’état de la Nation mais n’a fait aucun cas de cette décision de la Cour qui est une décision grave. Grave parce que la loi a été violée. Le Cos-Lépi devait être installé depuis juillet 2017. La Cour a enjoint de le faire dans les délais et c’est précisément l’expiration de ce délai là que le Chef de l’Etat choisit pour faire son discours, sans faire aucune mention de cette décision de la Cour. C’est tout comme s’il dit : « le chien aboie, la caravane passe ». Il choisit même ce jour pour se moquer de la Cour constitutionnelle et du peuple béninois en réalité. Le gouvernement nous a habitués à ne pas appliquer les décisions de la Cour constitutionnelle qui ne l’arrangent pas. A ce niveau, c’est excessivement grave et cela montre en réalité que nous sommes dans un Etat où les Institutions ne sont plus respectées. Nous sommes en autocratie, parce que c’est ce que le Président veut qu’il applique. Les lois qui ne l’intéressent pas ne sont pas appliquées. On les met de côté et on fait voter sa propre loi. On crée sa propre structure. On veut organiser les élections avec sa propre liste en allant chercher un opérateur SAFRAN de renommée négative au plan internationale. On est allé le chercher de force soit même, de manière que le consensus issu de la conférence nationale est foulé au pied et bafoué. Le peuple béninois n’acceptera pas cela. En tout cas, nous au niveau de l’alliance Fcbe, nous mettons le gouvernement en garde en disant qu’il n’y aura pas d’élections au Bénin sans la Lépi. Si le Cos-Lépi n’est pas rétabli et que la Lépi n’est pas rétablie, et il n’y aura pas d’élections. Il n’y aura pas d’élections avec la liste du Ravip qui est la liste 2 du gouvernement, une liste que le gouvernement s’est confectionnée tout seul, et qui n’est pas la liste consensuelle. Par conséquent, les populations peuvent aller se faire enregistrer pour le Ravip afin de bénéficier de tout ce que cela peut offrir comme services administratifs. Mais en ce qui concerne les élections, il n’y aura pas d’élections dans ce pays avec une liste issue du Ravip.
Vous avez les moyens techniques de contrôler la provenance de la liste à utiliser pour les élections prochaines, si elle est du Ravip ou c’est la Lépi ?
C’est le gouvernement qui nous contraint à cela. Dès que le Ravip avait été lancé, la loi adoptée et le comité de supervision composé comme il l’a été, au sein du Front pour le sursaut patriotique (Fsp), nous avons réagi en déclarant que la liste issue du Ravip ne doit pas servir aux élections. Le gouvernement n’a daigné écouter cela et il fonce en violant la constitution, de sorte que la majorité parlementaire n’applique pas la décision de la Cour. Est-ce que nous avons les moyens techniques de contrôle de la liste ? Le peuple béninois est notre moyen numéro 1. Nous comptons sur ce peuple de consensus. Ce peuple qui a fait la conférence nationale et qui a fait éditer des lois, des principes de consensus qui ont valeur constitutionnelle. C’est ce peuple qui doit veiller au grain et nous comptons sur lui. Il ne doit pas accepter qu’on aille aux élections dans ce pays avec une liste issue du Ravip, parce que c’est une liste concoctée par une seule partie, par une minorité, par un individu qu’est le Président de la République qui est parti chercher son opérateur. C’est lui le Président de la République qui a fait voter la loi sur le Ravip, et qui dans le comité de supervision, a mis 18 personnes pour la mouvance et seulement deux pour l’opposition. A en croire les députés, c’est une supervision de luxe parce qu’ils ne sont pas sur le terrain, ils ne savent pas du tout ce qui s’y passe, et la liste est laissé à SAFRAN, cette société qui est fauteur de troubles dans les pays où elle est passée. Il reste encore un certain temps pour les élections et nous commençons à, tirer sur la sonnette d’alarme dès aujourd’hui, pour dire qu’on ne fera pas d’élections dans ce pays avec une liste issue du Ravip.
24 heures avant le discours du Président Talon, le budget général de l’Etat exercice 2018 a été voté. Est-ce un hasard de calendrier ?
Disons que le parlement au moins ces derniers temps, a montré son vrai visage. Nous avons la confirmation que le parlement est vassalisé. Compte tenu de la façon dont ce parlement a ignoré les décisions de la Cour constitutionnelle, compte tenu de la façon dont les députés de la minorité parlementaire ont été interdits de parole, nous ne pouvons plus dire que c’est un hasard de calendrier. Ce sont des arrangements entre copains qui se sont entendus pour gérer ce calendrier. Le parlement est vassalisé. Ce n’est pas un hasard. Ce qui est certain, c’est que notre pays est en train d’être couvert par la charte de l’autocratie.
Je vous remercie.
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