Bénin : Noël Chadaré demande à la Cour de rappeler le gouvernement à l’ordre

(Lire le recours en inconstitutionnalité de la Cosi-Bénin, adressé à la haute juridiction) Le régime Talon a opté pour une nouvelle loi sur l’embauche en République du Bénin, par la loi n°2017-05 du 21 mars 2017. Cette loi serait déjà en application et fait des victimes. Ne pouvant rester insensible à cette situation, la confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi-Bénin), a adressé un recours en inconstitutionnalité à la Cour Constitutionnelle le 08 novembre 2017. Son secrétaire général Noël Chadaré, a accordé une interview à votre journal. Il demande à la haute juridiction de rappeler le gouvernement à l’ordre.

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Lnt : Récemment, vous avez adressé un recours en constitutionnalité à la Cour Constitutionnelle, au sujet de la loi sur l’embauche au Bénin. Que dit réellement cette disposition ?

Noël Chadaré : La loi sur l’embauche est l’initiative d’un député dit-on. Une proposition de loi fortement inspirée par le pouvoir, vue la précipitation avec laquelle le gouvernement s’est empressé de promulguer la loi. Cette loi consacre un recul de tous les acquis des travailleurs. Parce que ça renvoie le Bénin à des années lumières en arrière. Dans cette loi, on a fait du travailleur, un individu taillable et corvéable à merci, et on a conforté l’employeur qui désormais peut faire ce qu’il veut. C’est un vrai boulevard qu’on a dressé aux patrons. Le contrat à durée déterminée (Cdd), on peut le renouveler ad vitam aeternam ou le résilier à tout moment.

Alors que dans le code du travail, on ne peut renouveler le Cdd qu’une (01) fois. Quand on passe une troisième fois, c’est en Cdi (contrat à durée indéterminée). Et cette loi sur l’embauche, permet à l’employeur de renouveler indéfiniment le Cdd.

L’autre chose qui constitue un recul, ce sont les indemnités prudhommales, c’est-à-dire les réparations. On les a contenues entre 3 à 9 mois. Le travailleur s’il va devant la justice, même s’il a raison, on ne peut pas lui payer des frais de réparation au-delà de neuf 09 mois. C’est une disposition qui donne les coudées franches à l’employeur. Il peut licencier des employés à tout moment, parce que ça ne lui coûtera pas grand-chose. On lui a enlevé toutes les peurs, au motif qu’on veut flexibiliser le marché de l’emploi et permettre aux gens qui sont au chômage de trouver du travail. On a ouvert les vannes et on a donné toutes les libertés à l’employeur.

Vous êtes contre la flexibilité du marché du travail apparemment

On n’est pas contre la flexibilité du marché du travail. Il y avait déjà un projet de loi portant relecture du code du travail. Ce projet de loi est passé au conseil national du travail, au conseil économique et social où nous étions et nous avions fait des observations. Nous sommes d’accord que pour qu’on rende le marché un peu plus flexible. Il faut revoir la durée du Cdd. Mais nous ne sommes pas d’accord que les travailleurs soient en Cdd indéfiniment. On peut revoir les indemnités prudhommales et il faut discuter avec les travailleurs et toutes les couches sociales concernées.

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Quelle initiative concrète la Cosi compte prendre pour se faire entendre ?

La confédération des organisations syndicales indépendantes (Cosi-Bénin) dès qu’il y a eu cette loi, a condamné cette dérive. Le chef de l’Etat nous ayant reçue au palais avec les autres centrales syndicales, avait dit qu’on devrait se retrouver dans une commission pour voir, mais qu’en attendant, qu’on lui permette de continuer de mettre en application cette loi qui est en totale  contradiction avec le code du travail en vigueur en République du Bénin. Le code ne limite ou ne plafonne pas les réparations prudhommales. La décision Dcc-17-179 du 10 août 2017 qui a été renduepar la Cour Constitutionnelle a été claire. C’est vrai que la haute juridiction a dit que la requête du député Guy Mitokpè en mai 2017 par exemple sur la même loi est irrecevable en disant que le pouvoir peut la promulguer. Pourtant, elle a fait une recommandation qui n’a pas été respectée. Dans l’arrêt rendu par la Cour à son article 3, il est dit : « Il y a lieu de réunir dans un même texte de loi portant code du travail en République du Bénin, les dispositions pertinentes de la loi n°1998-004 du 27 janvier 1998 et celles de la loi n°2017-05 du 21 mars 2017 fixant les conditions et la procédure d’embauche, de placement de la main-d’œuvre et de résiliation du contrat de travail en République du Bénin ».

Ce qui veut dire que les deux lois (le code du travail et cette proposition de loi envoyée par un député) sont contraires. On fait obligation au gouvernement de fusionner cette loi avec le code du travail avant promulgation. On devrait revenir faire le travail de telle manière que les deux dispositions fassent une seule loi. Le gouvernement a  violé un des articles de l’arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle. Si le pouvoir doit respecter l’article 3 de cet arrêt, ça doit devenir un projet de loi pour mettre les deux ensembles. Ça doit faire alors tout le circuit.

Une loi sociale passe nécessairement au conseil du travail, au conseil économique et socialoù il y a  les syndicalistes et doit échouer à la Cour suprême. En conséquence, ça prendra du temps et pour éviter cela, le pouvoir a pris un raccourci pour promulguer cette loi au mépris de la recommandation.

Quel était l’objectif de la Cosi-Bénin en saisissant la Cour ?

L’objectif de ce recours en inconstitutionnalité, c’est de demander à la haute juridiction d’assumer pleinement ses rôles et de prendre ses responsabilités. Il faut qu’elle aille au-delà de l’arrêt rendu pour rappeler le gouvernement à l’ordre. La promulgation de cette loi est illégale, frauduleuse. Le code du travail doit être jusqu’à maintenant la seule référence et non cette loi scélérate. La Cour doit aller plus loin. Elle doit continuer de faire son travail. Il faut la féliciter au passage parce qu’elle est courageuse. Il faut qu’elle oblige le chef de l’Etatà respecter les recommandations qui lui sont faites et déclarer que cette promulgation est inconstitutionnelle.

Au cas où la requête de la Cosi-Bénin  ne serait pas acceptée, aurait -t-il d’autres démarches ?

Je suis très optimiste. Cette loi adéjà commencé à être appliquée et on  commence à renvoyer des travailleurs sans aucun respect de ce que dit le code du travail et on se réfère à la loi sur l’embauche. Si la haute juridiction ne se prononçait pas en notre faveur, il y aurait d’autres possibilités. Nous allons utiliser toutes les voies de recours possibles. Nous allons mener toutes les formes de combats légaux pour que cette loi soit totalement annulée, abrogée et qu’on fasse recours au code du travail pour voir comment certaines dispositions peuvent être acceptées.

Avez-vous saisi des institutions internationales sur le sujet ?

Pas pour le moment. Nous attendons l’avis de la Cour à ce sujet pour voir quelle autre forme de combat mener. Vivement qu’elle se prononce parce que ça fait plus d’un mois et demi que nous avons déposé ce recours.

Un appel au gouvernement !

Quand le gouvernement veut entreprendre des réformes qui concernent les travailleurs, qu’il ait la courtoisie d’en discuter avec les représentants des travailleurs. On n’est pas contre les réformes, mais on ne veut pas n’importe quelle réforme. Les dispositions de l’article 6 de la charte sur le dialogue social, sont claires sur le sujet. Il ne faut pas fragiliser notre démocratie.

Propos recueillis et transcrits par Louis Tossavi

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