Quand silence rime avec absence

Indéchiffrable Bénin. Voici un pays qui grouille de monde, fourmille d’idées, croule sous le poids d’une foule d’opportunités. Des agglomérations urbaines aux zones rurales. Des terres boisées du sud aux terres de savane du septentrion. Pourtant, en ce monde vivant et bruyant, il y a des plages de silence, il y a des poches d’absence. Doit-on s’en plaindre ? Et si ce n’était que ce qui fait l’originalité de notre cher et beau pays. Allons à la pêche de nos silences. Allons à la chasse de nos absences.

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Commençons par le sport. La phase finale du championnat d’Afrique des nations (CHAN) se termine au Maroc. Sans le Bénin dont personne n’entendra le nom, dont aucun mât ne portera le drapeau. Deux autres grands rendez-vous feront vibrer l’Afrique et le monde. Encore une fois, le Bénin sera aux abonnés absents. Il s’agit de la coupe du monde du football en Russie en 2018 et de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) au Cameroun en 2019. Le tour cycliste du Gabon et le championnat d’Afrique de handball au Gabon se terminent. Mais sans le Bénin. Comme si nous étions condamnés à rester scotcher à nos postes radio et de télévision. Les absents n’ont qu’un droit : applaudir à distance les exploits des autres.

Poursuivons par l’actualité bibliographique. Les Béninois écrivent de plus en plus. Nous pouvons en témoigner. Mais ceux-là qui prennent le risque de prendre la plume, sans soutien ni accompagnement, sont assurés, à l’avance, de perdre des plumes. Ils sont jeunes pour la plupart. On comprend ainsi pourquoi, dans le secteur du livre et autour du livre, rien ne se passe, rien ne bouge. Tout ce qui trouve ainsi à s’éditer dans la douleur passe à peine le mur de l’imprimerie. Cà fait un flop. Cà sombre dans l’oubli. Voilà comment, chaque jour, au pays de Gbèhanzin et de Bio Guéra, on assassine Mozart. Dans l’indifférence générale.

Poursuivons avec nos couturiers et stylistes. Ils semblent accepter comme une fatalité de raser les murs, de se voiler la face, d’adopter un profil bas. Ailleurs, sous d’autres cieux, leurs collègues procèdent autrement. Ils mettent un point d’honneur à exposer au regard de tous les produits de leur génie créateur. Ici, chez nous, point de rendez-vous professionnels. Ici, chez nous, point de défilés de mode. Ici, chez nous, point de manifestations publiques pour faire connaître et pour faire apprécier les capacités imaginatives de nos créateurs. Chacun bricole dans son coin. Chacun se méfie de l’autre. Chacun laisse ses talents s’assécher au soleil d’un   minimalisme abject.

Arrêtons-nous à la porte de nos organes de presse. L’abondance de biens, dit-on, ne nuit pas. De ce point de vue, nous sommes plus que bien servis. Plus de cent quotidiens. Autant de radios. Une dizaine de télévisions. Mais qu’est-ce qui s’y passe d’extraordinaire en dehors du fait, pour nos journalistes, de courir derrière une actualité dont on ne saurait dire avec certitude qu’elle est toujours bien maîtrisée, qu’elle est toujours bien traitée ?   Le sensationnel prend ses aises. Les fausses nouvelles sont reines. Les attaques personnelles sont légion. Point d’investigations sérieuses. Point d’enquêtes rigoureusement conduites. Point d’élaborations de fond marquées au coin de la réflexion, capables de sous-tendre un débat à plusieurs voix ou d’aider à la formation d’une opinion publique informée.  

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Terminons par notre position dans les organisations internationales. Beaucoup de Béninois y travaillent. Mais peu y occupent des postes en vue.  La présence et la position des ressortissants d’un pays dans les organisations internationales dépendent de la qualité de son punch, en termes d’efficacité et de dynamisme sur le plan diplomatique. Tout se passe comme si nous nous étions fait à l’idée que nous sommes un petit pays, un pays pauvre de surcroît.  Aussi pensons-nous sage de nous recroqueviller sur nous-mêmes. Aussi estimons-nous sain de déserter les fora où la voix de notre pays n’attend que d’être portée haut, où le génie de notre peuple n’attend que de briller de mille feux.

Un bon signe cependant : le Chef de l’Etat vient de prendre part au trentième sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba. C’est la toute première fois depuis son avènement à la magistrature suprême. Qui a dit qu’il vaut mieux tard que jamais ? Belle illustration d’un Bénin qui bouge. Présence brillamment marquée. Silence magnifiquement brisé. Que les sourds entendent. Que les aveugles voient !

Une réponse

  1. Avatar de Analyste senior
    Analyste senior

    Merci Doyen Carlos pour cette belle plume!
    Je voudrais compléter votre contribution par des réponses pragmatiques sur les problématiques évoquées :

    – Dans le sport:
    Nous obtiendrons des résultats lorsque nous oserons rejeter le statu quo. Il faudra que le ministère en charge du secteur fonctionne sur la base d’une vision inébranlable axée sur les résultats. Et il faudra surtout commencer par se doter de symboles forts : l’écureuil n’en est pas un … habile, mais pas leader. Par exemple, l’Aigle et le Lion sont clairement des leaders dans le règne animal. Pas pour rien que les lions indomptables du Cameroun gagnent et que les éléphants ivoiriens écrasent souvent. Tenez, ce n’est peut-être pas un hasard si les puissances comme les USA, l’Allemagne ont l’Aigle comme symbole.

    – En littérature:
    Une solution pourrait être d’inscrire au programme scolaire des auteurs contemporains béninois; on achètera leurs œuvres, on les lira et cela pourrait finir par aller au-delà des frontières. On a connu les Jean Pliya par ce moyen.

    – Dans la mode:
    Une solution pourrait être de professionnaliser davantage le métier: pourquoi pas des programmes au secondaire et à l’université dans le domaine de la mode (BTS, licence). Les choses ne se limiteraient plus aux petits ateliers où on forme pour ouvrir de petits ateliers, au lieu de créer des créateurs de marques. On pourrait faire tant de choses avec nos tissus.

    – Côté presse:
    La carte de presse n’est pas encore une réalité au Bénin. Il semble que tous ceux qui peuvent écrire en français dans un journal peuvent se revendiquer journaliste dans le pays. Le secteur a besoin d’être assaini. Là encore, la formation pourrait aider à éviter de colporter des idées reçues sans aucun effort de vérification, etc. Pourquoi pas aussi un label qualité que l’ODEM attribuerait chaque année aux journaux de la place?

    – À propos d’Organisations internationales:
    C’est une question que seul le pouvoir en place est à même de solutionner. Le rayonnement des fils du pays rejaillirait sur le pays sans aucun doute. Il faudra sans doute clairement percevoir des dividendes d’avoir des ressortissants béninois à de hauts niveaux, pour croire en la nécessité d’y investir davantage.

    Le Président s’est manifesté à l’UA parce qu’il a davantage foi dans le leadership du nouveau président de l’organisation (Kagamé) qu’il a avoué être son modèle. Gardons espoir que le mandat d’un an qui a commencé à courir verra bon nombre de dossiers évoluer, pour faire de l’UA une entité crédible et réellement agissante.

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