Bénin: Analyse et nécessaires préalables d’une gestion participative et d’une philosophie de solidarité nationale

Le Président de la République vient de recevoir le front d’action des syndicats de l‘éducation. Son intervention visait à améliorer le climat des difficiles négociations en cours mais, à notre appréciation, elle a largement dépasséce cadre pour prendre l’allure d’une séance de véritables explications à la nation, la prenant à témoin.

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Dans la présente réflexion nous essayons, dans un premier temps, de voir comment il s’y est pris en considérant la stratégie qu’il a utilisée et ce qu’il y a gagné lui-même; puis dans un second temps, de montrer comment, en réalité, tout ce que le Chef d’Etat demande aux syndicalistes s’inscrit, tout compte fait, dans le cadre d’une nécessaire philosophie préalable de gestion participative et de solidarité nationale.

La Stratégie et la méthode

Le chef de l’Etat a compris d’entrée de jeu qu’il avait à faire à une fronde. La fronde est fondamentalement une révolte, et une révolte a un ressort qui dépasse le champ des revendications routinières ; c’est une crise, et toute crise est le paroxysme d’une situation donnée, la manifestation d’un ras-le-bol amenée par un élément déclencheur qui fait déborder le vase. Cet élément déclencheur, le Président Talon a eu tôt fait d’admettre que c’était la loi portant suppression du droit de grève pour certains corps de la Fonction Publique. La grève en cours qui, en définitive, ne concerne que ses employés c’est-à-dire les fonctionnaires, paralyse tout un pan de la vie nationale et pénalise particulièrement nos enfants. les apprenants. Il fait donc beaucoup de mécontents d’autant que dans ce corps des enseignants, la grève est devenue répétitive, cyclique et monnaie courante au grand dam des usagers. Apparemment, le Président de la République a choisi d’isoler les grévistes du reste du peuple afin de les amener à ramener leurs doléances à des proportions raisonnables compatibles avec les caisses de l’Etat et l’intérêt général. Mais comment s’y est-il pris ?
La méthode utilisée tout le long de l’entretien a consisté à créer mauvaise conscience chez les grévistes qui, outre le chapitre des libertés, réclament l’amélioration matérielle de leurs conditions de vie. Pour y parvenir, il leur a fait admettre que dans la cité, il y avait beaucoup plus malheureux qu’eux. Il leur a signifié que la mobilisation des ressources qui est l’effort collectif de tous les béninois y compris les plus pauvres, ne doit pas continuer de ne servir qu’un petit nombre d’entre nous qu’ils sont en fin de compte. C’est notamment plus pauvres qu’eux qui assurent leurs salaires à travers les impôts qu’ils paient à l’Etat tandis que, eux, réclament un mieux-être et refusent d’instruire leurs enfants tout comme les agents de santé refusent de soigner les malades avec des risques effectifs de survenance de décès. C’est plus pauvres qu’eux qui paient plus d’impôts toutes proportions gardées. Le Chef de l’Etat a visiblement cherché à ébranler les grévistes. Il a, par ailleurs cherché à les mettre devant leurs responsabilités. Si nous mettons tout l’argent dans les salaires comment développerons-nous le pays ? les a- t-il questionnés.
Par ailleurs, le Chef de l’Etat a, tout le long de son intervention, opposé en filigrane les grévistes au gros du peuple. Et ce n’est pas anodin qu’il ait choisi de multiplier par dix et d’annoncer les dépenses prévisionnelles pour le seul corps enseignant. Sept cent milliards de nos francs avait-il martelé. Quel esprit, de l’autre côté du petit écran, ce chiffre n’a-t-il pas abasourdi ?

Redressement discursif de l’image sociale du Chef de l’Etat

Le Chef de l’Etat a su faire d’une pierre deux coups. Outre ses explications, au demeurant convaincantes aux préoccupations des partenaires sociaux, il a, de manière ostensible, saisi l’occasion pour améliorer son image sociale auprès du peuple. Il a voulu lui montrer qu’il connaissait bien ses problèmes et qu’il les fait siens ; aucun détail ne lui a échappé dans le cortège des misères du peuple que ce soit sur le plan économique ou sanitaire ; c’était plutôt édifiant. Lui, homme d’affaires émérite qui, par définition est distant des choses de la misère par défaut de les expérimenter, qui n’a pas à se soucier de comment subvenir aux besoins essentiels la famille, qui la nuit n’interroge pas le plafond pour savoir comment régler ses factures, a montré qu’il se veut proche du peuple. Les nombreux exemples qui ont émaillé l’entretien en témoignent aisément. Depuis celui qui ne bénéficie pas de l’eau potable, celui qui n’a pas accès aux soins médicaux même primaires, à celui qui bien que n’ayant pas le nécessaire pour vivre décemment paient pourtant, par la force des choses, les impôts indirects à l’Etat ne serait-ce qu’à l’occasion de ses achats pour se vêtir et préserver sa dignité d’humain. Quoi de plus émouvant et de plus rassurant qui n’ait étonné plus d’un? Pourvu que ce ne soit pas simple stratagème circonstanciel.
L’efficacité

Le but de l’intervention du Chef de l’Etat n’était pas d’intervenir dans les négociations, mais d’expliquer aux partenaires sociaux les difficultés qu’aura le gouvernement à faire droit à leur requête. C’était de les convaincre que les ressources de l’Etat ne pouvaient supporter toutes leurs doléances, d’autant qu’il y a les impératifs du développement et que d’autres citoyens ne peuvent toujours pas se prévaloir du minimum vital. Encore que j’imagine les syndicalistes rétorquer que ce n’est pas eux qui on crée cette inégalité et que c’est la rançon des politiques menées depuis notre accession à souveraineté nationale. Si le Président de la République veut tenter de rétablir la justice, il devra mener une politique hardie envers les plus pauvres et ce n’est pas à eux d’en faire les frais. La question est : avec quelles ressources le ferait-il si toutes recettes servent au paiement des salaires ?
En fait, ce n’est que lorsqu’ils retourneront à la table des négociations que l’on saura si les partenaires sociaux ont été sensibles aux explications ‘’ à cœur ouvert’’ du Chef de l’Etat qui en rappelle un autre.

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Quelque part l’histoire se répète à bien d’égards

Pour qui a un tant soit peu de mémoire, il ne peut s’empêcher de rapprocher l’intervention du chef de l’Etat de l’mission ‘’ à cœur ouvert’’ du Président Boni Yayi, largement controversée en son temps, il est vrai. Les deux interventions montrent quelques similitudes, pour le moins, circonstancielles. Les deux Présidents sont intervenus dans des situations de crise. Mais, alors qu’avec le Président Talon, il s’agit d’une crise sociale, avec le Président Boni Yayi, il s’était agi d’une crise politique dramatique et dangereuse ayant semé la panique dans les cœurs et risqué de mettre en jeu la cohésion nationale.
Dans la crise sous le Président Boni yayi se profilait ouvertement la question d’un troisième mandat et le manque de confiance en sa parole. Dans la présente crise, l’on ne peut pas dire que la crainte d’un deuxième mandat en rupture avec les promesses électorales n’était pas sous-jacente. En tout état de cause, le Chef de l’Etat a évacué le sujet par deux fois au cours de l’entretien et, en revanche, les syndicalistes l’ont assuré de ne rien faire pour entraver l’exercice de son pouvoir. Cette appréhension ne devrait donc pas impacter les débats.

La voix du clergé s’est fait entendre au cours des deux crises et les deux chefs d’Etat se sont référées à la Conférence épiscopale pour apaiser les esprits. Qu’il nous souvienne la pathétique messe dite pour la paix, au plus fort de la crise politique sous le Président Boni Yayi, à laquelle toutes les autorités politiques étaient conviées et notamment celles susceptibles de briguer la magistrature suprême à venir et en jeu. L’on se rappelle également qu’à la fin de l’office des enfants, en grand ordre, et tout de blanc vêtus, avaient déroulé une banderole avec, à peu de choses près, les lettres suivantes : Nous vos enfants, voulons la paix, laissez- nous vivre, s’il vous plait. Cette banderole reflétant la tension et la panique du moment ne pouvait que s’imprimer dans les mémoires. Rien de tel avec la situation actuelle dans laquelle le chef de l’Etat tente d’apporter la sérénité.

La dominante et le préalable d’une gestion participative

Lorsque par deux fois, les mêmes phénomènes c’est-à-dire deux crises de grande envergure quand bien même différentes de nature surgissent ainsi, c’est qu’il y a quelque part, un dénominateur qui leur est commun, une dominante qu’il convient de déterminer et de maitriser, le cas échéant ; les mêmes causes produisant les mêmes effets. Les syndicalistes l’identifient comme manque de dialogue et de concertation. Ces deux termes reviennent inlassablement à la manière d’un leitmotiv à l’occasion de toute confrontation avec l’Etat. Et pourtant, l’on ne peut pas dire que le gouvernement n’ait jamais rien fait en ce sens. La primature sous le Ministre d’Etat Koupaki disposait d’une cellule de dialogue social qui avait menée bon nombre de négociations avec les partenaires sociaux. Actuellement, une structure indépendante, le Conseil national du dialogue social a été créé et est en passe d’organisation, mais déjà impliquée dans les négociations en cours.

En fait, tout semble concourir à penser que le véritable problème que posent les partenaires sociaux est celui de la participation à la gestion des finances publiques, et pour cause. Le béninois a perdu confiance en ses dirigeants et cela ne date pas d’aujourd’hui ; il n’a pas confiance en la manière dont ils gèrent les fonds publics ; il stigmatise le manque de transparence. Il veut suivre la gestion financière du pays afin de garantir son pouvoir d’achat. Ce ne serait dire toutefois que les partenaires sociaux iront dicter leurs desiderata aux ministres ni porter quelque atteinte à leurs prérogatives. En tout état de cause, le chef d’Etat semble avoir déjà compris la situation, aussi s’est-il déjà engagé de quelque manière dans cette voie. En effet, il a promis au cours de son intervention qu’il donnera des instructions à ses ministres afin qu’ils communiquent aux partenaires sociaux, les chiffres sur la répartition des dépenses de l’Etat. De quoi mettre la partie adverse dans des conditions optimales pour négocier raisonnablement.

La dominante et la nécessité d’une philosophie de solidarité

Au vu de ce que demandait le Chef de l’Etat aux partenaires sociaux j’ai, tout au long de son intervention, tendu l’oreille pour savoir si le mot solidarité allait être prononcé ; et, par bonheur, il l’a utilisée par deux fois. Il a également parlé de sacrifices à consentir ainsi que de répartition équitable des richesses. Il a dit également : notre pays est dans une situation d’inégalité déplorable et grave qu’il convient de corriger. Il ressort, alors, de ses propres dires que l’on ne peut diriger un pays de si forts décalages sociaux avec seulement un programme d’action sans un soubassement de solidarité. La chose est d’autant plus évidente que tout ce que demande le chef de l’Etat aux partenaires sociaux, toutes les concessions, tous les sacrifices qu’il leur demande de faire requièrent la solidarité entre tous les fils de la nation et reposent sur elle. Il parait en effet logique, que les plus riches socialisent une part de leurs avoirs pour venir en aide aux plus pauvres parce que c’est, du moins en partie, grâce à plus pauvres qu’eux, qu’ils bâtissent leur fortune. La solidarité s’impose naturellement comme le paramètre décisif d’une économie en développement de fort décalage entre les couches sociales comme le nôtre. Et nous n’avons pas une politique de solidarité nationale qui promeuve l’esprit de collégialité et de responsabilité tant mutuelle que collective.

Nous défendons, sans nuance, ce principe depuis des années, convaincus que nous sommes que sans cette philosophie hissée au niveau national, nous ne parviendrons, au grand jamais, à un développement harmonieux dans notre pays. Autrement, le riche s’enrichira davantage et le pauvre deviendra miséreux.

Il n’est que de se rappeler que c’est au nom de cette solidarité agissante que la campagne 100 jours pour équiper les hôpitaux a connu un succès retentissant et inédit. C’est au nom de cette même solidarité que nous affirmons depuis bon nombre d’années, que le problème de l’assurance maladie qu’ont posé les partenaires sociaux peut être réglé du jour au lendemain par une taxe minime sur la boisson en bouteille. Nous buvons tous depuis notre naissance jusqu’à notre mort ; nous consommons des boissons même si nous n’en avons pas les moyens ; d’autres nous les offre ; nous buvons à l’occasion des nombreuses cérémonies dont nous sommes friands. Une taxe aussi minime soit-elle sur ce produit se traduira par des milliards et des milliards de francs et une assurance maladie fondée sur ce système ne pourra, au grand jamais, tomber en faillite, le capital se renouvelant sans cesse. Ce n’est pourtant pas une équation bien difficile à résoudre, ce n’est pas sorcier non plus ; tout juste un brin de volonté politique suffirait. avions-nous déjà écrit.

. Le gouvernement a eu le courage, s’il en fallait en pareille occurrence, de bannir les médicaments hors pharmacies en ne laissant aucune solution alternative à des millions de citoyens sans couverture sanitaire. Qu’est-ce à dire si ce n’est là un crime d’Etat qui ne peut dire son nom ? Nous en appelons publiquement à la Ministre du Travail puisque c’est à elle que ce sujet aurait été confié afin qu’elle veille bien considérer la solution que nous proposons pour une couverture sanitaire universelle.

Nos propositions pour prévenir de telles crises sociales

Les partenaires ont stigmatisé le manque de dialogue et de concertation. L’on pourrait leur concéder de participer en amont à la gestion des finances publiques. Dans ce cadre, ne pourrait-on recueillir leurs propositions au moment de la préparation du budget ?

Ils sont préoccupés par l’érosion de leurs pouvoirs d’achat. Les services financiers ne pourraient-elles les informer sur les principaux équilibres financiers et les différents ratios à respecter pour garantir le développement d’un pays ?

Le Chef de l’Etat leur a dit que les grèves sont devenues répétitives dans notre pays et que l’on ne devrait y recourir qu’en dernier ressort. Pourquoi alors, ne pourrait-on négocier avec eux une périodicité ainsi que les périodes de leurs mouvements, le cas échéant, après que toutes les voies de négociations aient été épuisées ?

Les syndicalistes ont demandé une couverture sanitaire universelle des travailleurs. Nous venons de faire ci-dessus nos propositions sur le sujet.

Le chef de l’Etat les a entretenus de sacrifices à consentir et eux, lui ont opposé les salaires exorbitants des ministres. Nous estimons, en ce qui nous concerne et nous l’avons déjà écrit bien avant la survenue de cette crise, qu’absolument rien ne saurait justifier de tels salaires mirifiques, vraiment rien dans un si pauvre pays quand bien même nous savons qu’être un bon ministre n’est point une sinécure.

Leurs salaires devraient être modulés sur, sinon le salaire minimum garanti, du moins sur la moyenne nationale des salaires déterminée par un organisme indépendant, qui seront par la suite affectés d’un indice correcteur scientifiquement établi. Si les choses ne se faisaient pas ainsi l’on ne pourra endiguer la colère des contribuables qui s’enfle au fil du temps. A présent, le gros du peuple réalise que c’est bien lui qui rémunère les autorités politiques toutes catégories confondues et qu’on lui doit des comptes en toute transparence.
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Ambassadeur Candide Ahouansou (contribution)

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