On commence peu à peu à découvrir notre président. On commence à cerner la psychologie du personnage qui, en avril 2016, a raflé 65% des suffrages au nez et à la barbe du candidat de la coalition soutenue par le pouvoir Yayi. L’homme d’affaires inconnu du grand public qui a surgi brutalement de l’ombre pour les feux de la rampe sous la présidence Yayi , ‘’compétiteur né ‘’ auto- proclamé, se révèle au fil de son mandat, tel qu’en lui-même : ombrageux, autoritaire, teigneux, colérique, trop sûr de lui et peu enclin à supporter la contradiction. Il donne l’impression de tout savoir sur tout mais en réalité, il ne connaît du pays que ce qu’il perçoit par le petit bout de sa lorgnette d’homme d’affaires obsédé par le profit.
Nous n’avons jamais cessé de dire depuis son irruption sur la scène politique de notre pays que le président Talon ne parvient pas à sortir de sa peau d’homme d’affaires, et donc de patron d’entreprises personnelles, habitué à donner des ordres, et à prendre des décisions pour lesquelles il n’est pas tenu de consulter son personnel pour être obéi au doigt et à l’œil. Ses compagnons les plus fidèles au gouvernement nous répondent en écho « qu’il dirige le pays comme une entreprise ». Nous nous évertuons à leur démontrer que la gestion d’un Etat comme le nôtre ne s’apparente pas à celle d’une entreprise privée. Là-bas, il a des employés qui n’ont pas voix au chapitre corvéables et serviables à souhait. Ici, au contraire il y a des travailleurs et des citoyens égaux en droits et en devoirs qui ont besoin de savoir ce qu’il veut faire pour eux en tant que président ayant sollicité leurs suffrages. Les difficultés que rencontre aujourd’hui le président Talon dans la gestion de la chose publique ne s’expliquent pas autrement. Les débrayages massifs des travailleurs de la fonction publique le prouvent à suffisance. Le président que nous avons élu en 2016 ne comprend pas d’être incompris des travailleurs, alors que de son propre aveu il ne veut que notre bien à tous.Mais comment diantre faire le bonheur de quelqu’un contre son gré ?
Une curieuse conception de la démocratie et de l’Etat de droit
Talon dit avoir conçu pour nous et à notre place un certain nombre de réformes qu’il entend exécuter sans désemparer, et surtout sans aucune opposition. C’est devant les syndicalistes mercredi dernier qu’il s’est pour la première fois exprimé publiquement sur sa conception de la démocratie et de l’Etat de droit. On a froid dans le dos à écouter un président qui pense que personne ne doit s’opposer à la mise en œuvre de ce qu’il pense être bon pour le pays. Il l’a dit vertement aux syndicalistes, au cours du fameux ‘’dialogue’’ en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté :« Quand l’exécutif ou le parlement décide selon leurs prérogatives et en fonction des pouvoirs que leur confère la constitution et le vote des électeurs, il faut jouer le jeu de la démocratie et quand on n’est pas d’accord avec ce qui se fait et qu’on estime que c’est pas une bonne manière de conduire le destin commun, il faut œuvrer à reprendre le pouvoir à ceux qui l’exercent de manière non convenable selon celui qui l’apprécie ainsi »A ses yeux, celui qui a recueilli le suffrage des électeurs et qui accède à la fonction de président de la République est autorisé à mettre en œuvre tout son programme quel qu’il soit , sans opposition jusqu’au terme de son mandat. Il affirme sans sourciller que dans certains pays qu’il ne cite pas, (le Rwanda certainement), il est interdit de faire grève quand le parlement a voté une loi. Il ne dit rien des pays où la rue oblige les dirigeants à abroger une loi, où les mouvements de grève des travailleurs contraignent les gouvernants à revenir sur une décision. Où l’opposition et les medias font chorus pour s’opposer avec succès à la mise en œuvre d’une décision de la cour constitutionnelle quand l’ensemble des citoyens pensent que cette décision n’est pas juste.
Un président procureur et juge
De ce point de vue, c’est la posture autant que la méthode du président Talon qui posent problème. Dans la droite ligne de sa perception du pouvoir, le président Talon sort de son couloir, celui de chef de l’Exécutif pour prendre la posture maladroite d’un procureur et d’un juge. Dans les deux affaires dites du capitaine Trèkpo, et Mètongnon, c’est dans le rôle tantôt de procureur tantôt de juge que notre président se place, tout en prétendant le contraire. Dans le cas Mètongnon, le président Talon parle comme si ce dernier était déjà déclaré coupable , jugé et condamné pour les faits qui lui sont reprochés .Tout en prétendant laisser la justice faire son travail et invitant les syndicalistes à attendre la décision du tribunal. Le président a déjà condamné Mètongnon lorsqu’il a insisté à plusieurs reprises que Metongnon a placé l’argent dans une banque en faillite contre une commission. Alors que de notoriété publique, le nouveau conseil d’administration de la Cnss, dirigé par un de ses hommes de main, et son gouvernement viennent de placer respectivement 4,5milliards et 5,5milliards pour le rachat de la même banque supposée en faillite.
Dans le cas du capitaine Trèkpo, le conseil des ministres s’est substitué au conseil de discipline pour infliger à l’officier des eaux et forêts une sanction qu’aucun texte n’a prévu. Au surplus, le président de la République s’érige en juge suprême pour condamner les propos sortis de leur contexte perçus comme un acte de sédition. Alors qu’en tant que syndicaliste reconnu par l’administration, le capitaine Trèkpo a parfaitement le droit d’émettre le point de vue de sa corporation, au nom de son syndicat, sur la meilleure manière de sauvegarder le patrimoine ‘’eaux et forêts’’ commun à tous les Béninois qu’il est chargé de protéger.
‘’Ici, c’est le Bénin
La plus grosse erreur du président Talon est de vouloir faire le bonheur des travailleurs contre leur gré ; de décider quelque chose et de le mettre en œuvre sans leur avis.(cas du Cnhu et du Port autonome de cotonou). Privatiser, mettre en affermage, désigner un mandataire, telles sont les réformes envisagées par Talon parfois sans appel d’offres, ni consultation préalable avec les acteurs du secteur concerné. Le Bénin notre pays, n’est pas sorti du néant. Nous n’avons pas fait la guerre et nous ne sortons pas d’un génocide comme le Rwanda qu’il admire. Mais nous avons une histoire. Toute l’histoire du Bénin est jalonnée de débrayages, de mouvements de grèves ou de protestations, de marches, suivies de séances de concertation. La conférence nationale des forces vives de la Nation a été le symbole vivant de cette capacité des peuples de notre pays à surpasser les divergences. Dans les années 70, les anciens s’en souviennent, la concertation préalable n’a jamais été absente des préoccupations des dirigeants. C’est après moult discussions épiques et débats homériques que le discours programme du 30 novembre été élaboré, Et plus tard, comme me l’a rappelé le professeur Toussaint Tchichi au détour d’un entretien à bâtons rompus l’autre jour, c’est après de grandes consultations nationales à travers tout le pays que le projet de l’Ecole Nouvelle a été conçu. Et de l’avis de plusieurs experts, ce projet qui n’a jamais été conduit à son terme, est le meilleur jamais conçu par les cadres béninois pour l’ensemble du système éducatif de notre pays. La loi fondamentale de la période révolutionnaire a suivi le même cheminement. Idem pour la constitution de 1990 toujours en vigueur. Le président Talon ignore ou feint d’ignorer ce pan important de l’histoire de notre pays sinon, il ne lui viendrait jamais à l’idée de concevoir des réformes, des projets de loi clé en main et de les faire voter à la sauvette avec cette petite minorité de ‘’mange-mil’’ qui forme sa fameuse majorité présidentielle. Le dialogue, la concertation, les échanges sont les maîtres mots de la vie politique de ce pays. Le président Talon n’a pas encore tiré leçon des trois revers qu’il a subis en moins de deux ans d’exercice du pouvoir : l’échec de la révision de la constitution, le rétablissement du droit de grève illégalement retiré par sa poignée de parlementaires stipendiés et la récente tentative de déstabilisation politique de la Cour constitutionnelle. Quand il aura tiré toutes ces leçons, il comprendra définitivement qu’ici, c’est le Bénin. « L’argent », disaient nos maîtres d’école, « est un bon serviteur, mais un mauvais maître ».Le président Talon qui est conscient du rôle néfaste que joue l’argent dans la vie politique de notre pays depuis le Renouveau démocratique doit se garder de continuer à s’en servir pour « maîtriser » la classe politique viscéralement vénale car, les populations démunies bluffées pendant ces deux dernières décennies par cette race d’apatrides ne sont plus dupes. Et pas du tout alors !
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