Bénin : Patrice Talon a-t-il toujours la confiance du peuple ?

La crise sociale à laquelle le gouvernement fait face actuellement nous donne l’occasion de mener la réflexion sur les rapports de confiance entre le Chef de l’Etat et ses administrés. Elu avec panache à la Magistrature Suprême naguère, bénéficie-t-il toujours de la confiance de son peuple ?

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Un peuple à multiple facettes et ses responsabilités dans le climat social

Dans une approche sémantique, le peuple c’est l’ensemble des citoyens du pays. Dans une approche politique, nous pouvons dire que c’est l’ensemble des citoyens considéré par rapport aux gouvernants tandis que vu du côté social, il nous parait être la tranche la plus nombreuse et la moins riche de la population. Mais dans notre société, il convient d’affecter cette dernière catégorie,du coefficient analphabétisme et, partant, de celui du manque d’aptitude à l’analyse autonome de la chose politique ; encore que sous nos cieux, ne pas connaître l’alphabet n’est pas nécessairement synonyme de pauvreté.Aussi dissocions-nous dans nos réflexions en terme social, le peuple et le gros du peuple ; étant entendu que cette dernière tranche de la population cumule grosso modo et tout à fois sur elle, le grand nombre, la pauvreté, et l’analphabétisme.

La fronde à laquelle fait face le gouvernement actuellement et qui nous donne prétexte à la présente réflexion, est conduite par et au nom des cadres de la nation, faisant partie du peuple certes, mais numériquement minoritaire, de classe moyenne et lettrée ; elle n’est donc pas le fait du gros du peuple numériquement majoritaire et de classes sociales diverses. Sa portée devrait donc, en théorie, être limitée voir marginale, mais deux éléments lui confèrent l’importance qu’elle se donne, qui n’autorisent pas à la marginaliser ni à laisser pourrir la situation catastrophique qu’elle crée du fait des grèves ; à savoir sa capacité de nuisance à la nation entière d’une part ;le puissant risque de contagion et d’étalement qu’elle recèle, de l’autre.

Originellement à caractère professionnel et social, la grève peut,quand elle perdure, générer un climat délétère créant une lézarde dans la gestion de la cité, dans laquelle peut s’engouffrer le gros du peuple s’il a de bonnes raisons de le faire ou si on l’y entraîne ; la crise s’enfle alors et s’emballe, s’adjuge un caractère politique et menace les institutions. C’est, de notre point de vue,le processus qui a failli se mettre en branle, si elle n’avait pas été contenue, avec la manifestation des femmes des marchés,fâchées de la morosité des affaires, de la mévente et de l’érosion de leur pouvoir d’achat.C’est toujours quand il a faim que le gros du peuple entre en scène. Tout cela situe la responsabilité de l’infime partie de la population que sont les cadres dans l’utilisation de la grève comme un banal moyen de pression sur la négociation, qui pourtant ne devrait être qu’arme qu’intervenant, en principe, qu’après qu’un procès-verbal ait constaté formellement l’échec des négociations et la rupture des pourparlers ; une arme de dernier recours quand tout a échoué. Cela, pour éviter qu’une minorité de citoyens qui plus est,employés de l’Etat gestionnaire de la nation entière, mette la bride sur le reste de la population et la tienne en laisse comme bon lui semble.L’Etat a donc l’obligation ainsi que la responsabilité entières d’encadrer les grèves de ses agents et de trouver les moyens judicieux pour le faire d’autant qu’il est aidé en cela par la clairvoyante décision de la Cour Constitutionnelle sur le sujet.Nous estimons que, pour avoir raison des crises, la solution ne se trouve pas dans la création d’institution aussi efficace soit-elle, mais dans des procédures en amont pour les éviter autant que faire se peut. Et nous sommes tentés de dire, au vu de notre histoire politique,qui a démarré avec des coups d’état militaire à profusion et s’est poursuivie ainsi que nous l’évoquons ci-dessous, que nous sommes une société de crises qu’il convient de savoir gérer comme telle ;et l’on ne peut gérer efficacement un peuple lorsque les deux parties, autorités politiques et administrés, ne se font pas confiance mutuellement.

Il faut bien reconnaître qu’avant l’avènement du présent régime, le facteur confiance du peuple en ses dirigeants avait déjà été fortement ébranlé au cours de celui qui l’a précédé.Le ‘’partira ou ne partira pas’’ du Chef d’Etat d’alors lié à ses velléités présumées d’un troisième mandat, ses démêlés avec les hommes d’affaires qui ont nécessité de faire venir un médiateur depuis le Sénégal, son ’à cœur ouvert’’ dramatique controversé qui a manqué de rompre la cohésion sociale, ses propos et ses comportements régionalistes ouvertement exprimés, le rocambolesque feuilleton de mauvais goût de son empoisonnement qui a tenu le peuple en haleine et l’a mis sous stress plusieurs mois durant.Comment donc une telle panoplie d’évènements centrifuges ne pouvait-elle pas ruiner la confiance des citoyens en leur leader national à la tête de l’Exécutif ? Et, pour ne rien omettre d’essentiel, nous rappelons, avec tout le respect que nous devons aux Représentants du Peuple, les écarts notoires d’une cinquième législature que le peuple aurait aimé n’avoir jamais existé.

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Outre cela, et toujours au rang des autorités dirigeantes d’alors, nombre de ministres en délicatesse avec la justice, après avoir spolié de quelle que manière,sont allés se réfugier tranquillement à l’Assemblée Nationale où ils se la coulent douce à l’ombre d’une immunité parlementaire désuète et l’assurance de n’être jamais jugés par une Haute Cour de justice complètement inopérante.Le pouvoir en place, avait même entrepris de blanchir l’un d’entre eux et, pour ce faire,avaitrecouru, à son corps défendant, à un cabinet d’audit étranger de grande renommée qui nous a couté, à nous autres peuple, la peau des fesses et qui nous a laissés des conclusions mi-figue mi-raisin. En fin de compte, l’intéressé que l’on cherchait à couvrir avait trouvé plus rassurant de se payer le luxe de démissionner du gouvernement et de rejoindre l’Assemblée Nationale,faisant le pied de nez à tout le monde. L’incident avaitété, on ne pouvait plus déshonorant pour tout citoyen dans la mesure où le partenaire étranger, contributeur en l’occurrence au projet sur la sellette, avait dû s’y mêler.Comment veut-on que le peuple ait confiance en son Chef d’Etat dans ces conditions ?

Et, lorsque nous remontons le cours de notre histoire politique, force nous est de constater qu’à un moment donné, le peuple avait été, de manière grossière, dupé et trahi par les politiciens d’alors,qui lui avaient ramené , contre toute logique et toute attente, un chef d’Etat qu’il avait écarté du pouvoir en bonne et due forme, tambour battant à la faveur de la Conférence Nationaleayant fait date sur l’échiquier international. Le rétablissement d’un dictateur, c’était, à notre connaissance, du jamais vu et l’opinion internationale en avait été médusée et choquée. Un peuple qui doute de la bonne foi de ses leaders manquera de confiance en toutes autorités politiques centrales.

La perte de confiance citoyenne de nos jours.

De nos jours, le peuple est tourmenté et perplexe devant le jeu que les politiciens du moment lui imposent.Il a assisté ébahi et hagard, à la désorganisation systématique et aux démembrements en cascades des partis politiques sous diverses influences,peu orthodoxes,des candidats à la Présidence de la République ; il a assisté incrédule à la prétendue tentative de réconciliation, sur l’on n’a jamais su exactement quoi, de l’ancien et du nouveau chef d’Etat par leurs pairs et à l’extérieur du territoire national. Une démarche qui avait froissé profondément et pour cause, l’amour-propre national. Est-ce chose à raffermir la confiance nationale ?

Aujourd’hui alliés, demain ennemis politiques sans plus de transition. Le peuple en a assez de ce jeu qui le déstabilise de manière continuelle, sans compter la transhumance politique qui était devenue monnaie courante au sein de l’Assemblée nationale. Le Ministre Candide Azannai, naguère un inconditionnel du Chef de l’Etat, devient du jour au lendemain, un opposant irréductible et on ne peu pas dire qu’il n’ait pas fait l’expérience de la transhumance politique. Monsieur Sébastien Ajavon allié d’hier, ayant contribué à la victoire du Chef de l’Etat, est devenu un ennemi politique juré et les ministres de son obédience ont été écartés du gouvernement. Tout cela en l’espace d’un an d’exercice du pouvoir, si je m’abuse ; n’est-ce pas traumatisant pour le peuple ?

A côté des amis politiques d’hier qui deviennent ennemis aujourd’hui, l’on compte des personnalités, chefs de partis politiques qui s’étaient opposées de manière viscérale à l’avènement du Président Talon à la fonction du Magistrat Suprême,retourner leurs vestes de bonne heure et sans état d’âme coupant le souffle,même aux partisans. Le peuple ne comprend pas ce genre de gymnastique et cela à bon droit ; il ne comprend pas qu’un leader et non des moindres, déclare publiquement et sans ambages que dorénavant son ambition n’est plus de faire de l’opposition, mais de soutenir systématiquement le pouvoir en place. Qu’est donc cette étrange et opportuniste conception du parti politique ?Le peuple y perd son latin et ne comprend plus où son leader l’entraîne. Mais on lui bourre le crâne en y enfonçant l’idée que le parti est une religion et qu’un honnête homme ne trahit pas sa religion. Pauvre peuple ! Qui donc viendra nous convaincre que les politiciens n’ont pas tout intérêt à laisser le gros du peuple croupir dans l’ignorance et la crédulité pour s’assurer d’avoir sur lui,la facile et sempiternelle ascendance du savoir et du pouvoir ?

Le gros du peuple désabusé regarde tout cela et s’en indigne en silence, mais le silence dans pareils cas s’apparente à une soupape qui explose quand la pression envient à déborder. Et il est bon de le rappeler de temps à autre à nos dirigeants afin qu’ils ne perdent pas de vue que la confiance du peuple est un élément déterminant dans la réussite de toute politique publique.

Mais le manque de confiance des citoyens à l’endroit du Chef de l’Etat n’est pas fonction, seulement des comportements des autorités dirigeantes et du Législatif ainsi que des leaders politiques ; elle peut émaner également des faiseurs d’opinion.

Le cas de Lionel Zinsou

Et, pour évoquer un cas du genre, l’on se rappelle l’inédit face-à-face télévisé des deux candidats issus du premier tour de l’élection présidentielle. Ce fut l’héritage démocratique de dernière heure de l’ancien régime, que nous avions réclamé à cors et à cris et qui a finalement eu lieu pour la première fois dans notre pays. Messieurs Lionel Zinsou et Patrice Talon avaient alors croisé le fer devant les téléspectateurs ; et l’image leur est restée.

La défaite de l’un avait permis la victoire de l’autre et ils se vouaient, en gentlemen du même milieu des affaires, respect mutuel avions-nous constaté jusqu’alors. quand, à brûle pourpoint, une gigantesque campagne de dénigrement, bien que furtive, s’est abattue sur Lionel Zinsou, l’atteignant dans sa vie privée et le détruisant sans égard à ce qu’il représente tant sur la scène nationale qu’internationale.

Ce compatriote avait pourtant rencontré le chef de l’Etat quelques jours auparavant pour lui soumettre un projet d’installation d’une nouvelle banque sur notre territoire, nous avait appris la presse. L’initiative nous avait paru bien citoyenne d’autant que l’intéressé n’est plus dans l’aéropage politique et qu’il n’est, discursivement, pas en mesure de faire de l’ombre à quelque homme politique que ce soit. Ce compatriote, avec lequel je n’ai aucune accointance pas plus personnelle que politique, a de plus le mérite d‘avoir installé sur notre sol, à Cotonou et à Ouidah, une Fondation qui porte son nom et qui promeut la culture béninoise de par le monde entier depuis plusieurs années.

Au reste, il entretient mensuellement plus de 60 salariés béninois. La campagne déclenchée contre lui me parait, elle aussi, troublante et déstabilisante pour le peuple en qui est encore vivace la mémoire de ce face-à-face décisif dans la victoire du Chef de l’Etat. Honnêtement, je ne peux m‘imaginer ce qui a pu justifier que l’on ait ruiné ainsi, en un tour de main, la vie privée et la réputation internationale d’un compatriote qui apporte depuis plusieurs années sa contribution au développement de notre pays bien que n’y résidant pas en permanence.

Etait-ce le supposé créancier étranger qui, en désespoir de ne pouvoir jamais se faire rembourser, aurait mis une partie de notre presse nationale sous son influence pour exercer une pression morale de la dernière chance sur l’intéressé ? A moins que ce ne soit, pour certaines forces politiques, l’occasion de contrer, par Lionel Zinsou interposé, la résurgence des Forces Cauris pour un Bénin Emergent qui, avec le Parti du Renouveau Démocratique et la Renaissance du Bénin, au sein de l ’Alliance Républicaine, l’avaient soutenu au cours de la campagne électorale.

En tout état de cause, la manière dont s’est déroulée la campagne éclair contre le compatriote ne parait pas être le fait d’autorités politiques en fonction. Elle s’est faite de concert, le même jour, furtive, sur une dizaine de journaux à grand tirage, développant le même argument. Et pardieu ! Contracter une dette a pourtant toujours été une affaire privée ; au nom de quel principe éthique la presse s’y est mêlée sous le seul prétexte, au demeurant fallacieux, de chercher à savoir ce que le contractant allait faire de son emprunt, semant le trouble dans les esprits avec le risque effectif de faire croire qu’il s’agit d’un stratagème des autorités politiques en place. Et cela, en mettant de côté tout l’apport de l’intéressé à notre économie, notamment les salaires d’une soixante de nos frères.

Gouvernance transparence et confiance

Notre pays est dirigé par un homme d’affaires et nous avons toujours dit lorsque l’on élit un chef d’Etat, l’on ne choisit pas seulement un politique, mais un homme dans son entièreté avec ses penchants, ses problèmes, ses qualités et ses défauts. L’on reproche au système, le manque de communication, mais l’on oublie que l’argent des hommes d’affaires n’aime pas le bruit. L’on demande de la transparence, mais tout autant sinon plus que la communication, leur argent ne s’en accommode guère. Mais il se fait que la gestion saine de la cité exige tout à la fois, communication et transparence.Abstraction faite de sa représentation qui, au demeurant, ne joue pas, en la matière, son rôle comme il convient, le peuple a le besoin et le droit de savoir comment on le gère.Mais, il est juste de reconnaître que l’homme d’affaires qu’est le Chef de l’Etat est en passe d’admettre tout cela et il sied de lui en savoir profondément gré ; il n’est que de considérer tous les contacts qu’il prend ces temps-ci.

Lorsque l’Etat confie la gestion de certaines de nos structures clés à des sociétés étrangères, c’est assurément qu’il a de bonnes raisons de le faire et nous faisons confiance en son bon jugement. Mais celane le dispense pas d’expliquer au peuple, le bien-fondé de ses décisions,les résultats attendus en comparaison avec ceux obtenus jusqu’alors ainsi que le solde présumé de l’opération au terme du contrat.Il est vrai que quelqu’un est venu nous dire sur le petit écran, tout le bien qu’il pensait de la gestion du port de Cotonou par une structure hollandaise. Mais, il s’était empressé de nous faire remarquer,à plusieurs reprises, qu’il n’avait pas pris connaissance de la teneur du cahier des charges y afférent.Qu’était-il venu nous apprendre alors ?Cela n’était point de la transparence, c’était au mieux de la communication. Et ce n’est plus ce à quoi aspire le peuple pour faire pleine confiance à ses dirigeants

Ambassadeur Candide Ahouansou

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