Lutte contre les « faux médicaments » au Bénin : Des décisions hâtives ?

Les dernières décisions prises hier en Conseil des ministres par le gouvernement, ont fini par le démasquer dans la lutte tout feu tout flamme entamée depuis quelques semaines, contre les faux médicaments.Prise en violation de tout principe de droit, cette décision comme le disent beaucoup de juristes, est purement politique et participe d’un plan sibyllin concocté pour prendre contrôle de la filière.

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Entamée il y a quelques semaines avec la saisie de plusieurs tonnes de médicaments au domicile de l’honorable Atao Hinnouho, la lutte contre les « faux médicaments » prend l’allure d’une lutte arbitraire, inique, conduite au pas de charge par le gouvernement juste pour prendre le contrôle de la filière, comme le susurraient les détracteurs du régime de la rupture.

Tenez ! Il a suffi d’un simple verdict d’un tribunal de première instance pour voir le gouvernement ruer dans les brancards, alors que des zones d’ombres restent à élucider dans ce procès expéditif dont le verdict a pris tout le monde de court. En méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs consubstantiel à la démocratie et des principes de droit, le gouvernement a pris hier en Conseil des ministres des décisions suffisamment graves pour l’avenir du secteur de la vente des médicaments.

« Le Ministre de la Justice et de la Législation a rendu compte au Conseil, du jugement prononcé par la Chambre correctionnelle du tribunal de première instance de première classe de Cotonou, le 13 mars 2018, dans le cadre du trafic de faux médicaments. Il ressort dudit jugement, que le tribunal a retenu la culpabilité des responsables d’importantes structures d’approvisionnement pour des faits constitutifs d’infractions, et les a condamnés à des peines d’emprisonnement ferme ainsi qu’au paiement d’amendes. Prenant acte de ce compte rendu, le Conseil a décidé de suspendre provisoirement d’activité l’Ordre des Pharmaciens du Bénin pour une durée de six (06) mois. Ceci, en vue de procéder à la réforme des cadres institutionnel, législatif et réglementaire du secteur de la pharmacie ». Cet extrait du Conseil des ministres en a stupéfié plus d’un.

Imprudence

A la suite du jugement sus-cité, jugement dont le caractère brutal et hâtif a laissé pantois plus d’un, le gouvernement a jugé à son tour les grossistes sans grande précaution. Que peut-on encore attendre du juge d’appel, lorsqu’il sera saisi ? Le lecteur attentif du communiqué du conseil des ministres aura noté l’usage excessif du mot « culpabilité ».

Pour le gouvernement donc, Gapob, Ubipharm, Promopharma, Ubphar et Came sont jugés « coupables ». Coupables de quoi ? Le gouvernement n’en dit pas grand chose. En rendant public un tel communiqué, le gouvernement met de côté le principe de la présomption d’innocence gravé dans le marbre de la constitution du 11 décembre 1990, et dont le chef de l’Etat est garant. Il piétine aussi d’autres règles basiques du droit. Selon plusieurs juristes consultés dans la soirée d’hier mercredi, la décision du tribunal de première instance n’est pas suffisante pour amener le gouvernement à proclamer aussi solennellement dans un communiqué du Conseil des ministres, que les responsables de ces structures sont coupables.

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Le jugement qui fait foi est celui rendu en dernier ressort par la juridiction compétente. Et en l’espèce, il s’agit de la chambre judiciaire de la Cour suprême. C’est après cette décision rendue par la Cour suprême qu’on peut parler de « l’autorité de la chose jugée », opposable à tout le monde. Le gouvernement n’a même pas attendu que le délai des quinze jours réservé pour faire appel de la décision ait expiré pour conclure à la culpabilité des intéressés.

Il est étonnant que le gouvernement qui regorge de juristes de haut niveau puisse décider de piétiner ces principes élémentaires du droit et confirme de fait ce que Talon lui-même appelait l’Etat voyou, alors qu’il était en campagne. Une telle décision prise par le gouvernement vingt quatre heures seulement après celle du collège des juges conduit par le célébrissime juge Rodolphe Azo, auteur des non lieux sur le dossier Ppea2, ravive les soupçons. Faut-il le rappeler, la décision que brandit le Conseil des ministres pour agir est intervenue mardi tôt dans la matinée, dans un tribunal hyper militarisé juste pour la circonstance.

Le juge qui a mis l’affaire en délibéré sans permettre un débat dans le fond et en contradictoire, a lu très rapidement et avec désinvolture sa décision intervenue contre toute attente, alors que l’Unamab était en grève. La preuve, l’autre procès dont le même juge doit connaître n’est pas allé au bout puisqu’interrompu, dit-on, par ses collègues de l’Unamab. Lesquels collègues n’ont pas pu intervenir une semaine auparavant pour empêcher l’ouverture même du procès. Tout laisse croire que la décision du juge Azo a été rendue au forceps pour ouvrir la brèche dans laquelle le gouvernement et son chef voulaient s’engouffrer.

Dans un communiqué rendu public hier et signé de Louis Koukpémèdji, les pharmaciens se disent surpris par cette décision et relèvent la responsabilité de l’Etat dans les manquements observés dans la procédure d’importation des produits pharmaceutiques.

New Cesamex, l’autre erreur

Dans la foulée, le gouvernement a également pris la décision de retirer l’autorisation de mise en vente délivrée à New Cesamex, la firme pharmaceutique indienne. Cette décision qui semble un peu en contradiction avec celle du parquet et celle distillée dans l’opinion, laissant croire que la firme exerçait en toute illégalité, comporte un gros risque. La firme pourrait assigner le gouvernement qui pourrait être astreint à payer des sommes faramineuses au titre de dommages et Intérêts, dans la mesure où elle n’est condamnée, ni pour avoir livré de faux médicaments, ni pour avoir exercé dans l’illégalité.

En plus, la décision rendue en première instance n’est pas suffisante et n’est pas définitive pour attester de sa faute. Dans ce dossier en tout cas, le gouvernement donne l’impression d’être dans une lutte intéressée, lancée plus pour contrôler le secteur de la vente des médicaments que l’assainir. Sinon comment comprendre qu’on combat les grossistes mais qu’on laisse les officines fonctionner normalement, alors qu’elles distribuent les « faux médicaments », qu’elles reçoivent de ces grossistes. Il y a donc un mystère à élucider dans ce dossier

Une réponse

  1. Avatar de Paul Ahéhénou
    Paul Ahéhénou

    Très belle analyse! En réalité, les gens ont compris que la filière des médicaments est juteuse. Et comme ceux qui nous dirigent savent ‘sentir’ où se trouve l’argent, ils ont cherché et trouvé une brèche où s’engouffrer pour prendre en otage la filière. Vous verrez la suite! On va amener une firme pharmaceutique qui fournira les médicaments qu’on va qualifier de sûrs, etc. Nulle part on a fait la preuve que les médicaments sont falsifiés, faux, etc. On a préparé les esprits en montrant que tout ce qu’il y a comme médicament est du faux, avant de se donner à coeur joie à la mafia d’Etat.

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