Bénin : Abel Gbètoénonmon parle des deux ans de gouvernance de Talon sur le plan économique

Abel Gbètoénonmon est un journaliste économique et spécialiste de l’analyse des politiques économiques. Il donne, dans cet entretien avec votre journal, son opinion sur les deux ans de Patrice Talon au pouvoir.

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Que pensez-vous de la situation économique du pays, deux ans après l’arrivée du Président Talon au pouvoir?

Il faut reconnaître que le Bénin n’a pas stagné, quelque chose à bouger, un certain nombre de variables ont connu des modifications positives, d’autres ont connu des modifications négatives. Mais globalement, si on analyse la situation économique par rapport aux attentes et aux espoirs suscité par la rupture, je crois qu’on peut dire oui quelque chose a changé. Les agrégats ont connu un certain nombre d’améliorations, on a connu un taux de croissance positive même si c’est en dessous du seuil souhaité. Mais on a l’impression que la rupture a balayé du revers de la main ce que l’ancien gouvernement faisait.

Le régime actuel devrait capitaliser surtout dans le social, ce qui a donné l’impression à bon nombre de béninois que le gouvernement est peu sensible aux questions sociales. Il aurait fallu tout en continuant ce qui se faisait provoquer les réflexions sur les reformes qui devraient se mener dans une approche d’adhésion collective amener les gens à rêver ensemble puisque en matière de développement, c’est comme cela que l’on peut amener les reformes. Mais lorsque dans la démarche, il n’y a pas d’inclusion nécessaire, il arrive que ce qu’on estime de très bon pour la population, au final va connaître des résistances et même si on arrive à mettre de façon dictatoriale les reformes, il arrive que cela ne soit pas des reformes pérennes. C’est-à-dire que ceux qui ont en charge ces reformes dès qu’ils partent, le peuple qui ne s’est pas senti inclus dans ces réformes aura tendance à faire pression sur les nouvelles autorités pour mettre en cause ces reformes.

Lorsqu’on veut conduire des reformes au nom d’une population, il faut prendre la pédagogie nécessaire pour obtenir l’adhésion du peuple qui pérennise les reformes. Donc sur ce pan, il y a de l’insatisfaction. Globalement jusqu’en janvier 2018 le Bénin était sur la bonne voie quand on regarde l’agrégat macro-économique. Mais entre avoir une croissance économique et développer un pays, ce sont deux choses différentes. La croissance peut bel et bien conduire au développement, mais la croissance comme finalité ne conduit pas au développement.

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Parlant du social, pensez-vous que le déguerpissement a un incident sur la morosité économique du pays ?

L’économie béninoise est à dominance informelle, c’est cela qu’il faut prendre en compte. Et lorsqu’une économie est ainsi et que vous menez des reformes qui touchent le secteur, il est normal que les répercussions économiques soient assez élevées. Je crois que l’opération de libération d’espaces publics a été mal préparée et mal conduite. Il faut une planification pour reformer. Lorsqu’on doit entreprendre des reformes dans un contexte où le géant Nigeria connait une conjoncture, il faut un plan. La dimension sociale des reformes n’a pas été prise en compte. On aurait pu recenser et catégoriser les acteurs qui seront touchés et accompagner les plus vulnérables.

Qu’est-ce qui justifie les licenciements et fermetures des entreprises privées ?

Lorsque dans un secteur, les privés sont beaucoup compétents, l’Etat peut se désengager s’il estime que le secteur est suffisant rentable pour créer des emplois. Est-ce des difficultés de trésorerie qui justifient ces licenciements ? On ne sait pas. Sous le gouvernement défunt, on a essayé de trouver des solutions. Mais il faut reconnaître qu’avec le gouvernement du nouveau départ certaines choses ont été mal appréhendées. Je crois que dans le cas Onasa, on aurait pu reformer cette société au lieu de la liquider.

La belle preuve est qu’après cette liquidation, on était obligé de créer une cellule technique d’appui à la sécurité alimentaire et nutritionnelle logée au sein du ministère et qui n’a pas les mêmes ressources, compétences et la facilité qu’avait l’Onasa pour ses activités. Quand un diagnostic est mal établi, c’est certain que les remèdes qu’on apporte soient inadaptés. Bien sûr que le gouvernement s’est rattrapé. Quand on prend le Pag tel que conçu à l’entame, sur le plan agricole, on ignorait royalement la sécurité alimentaire au détriment des exportations des produits de rente qui pouvaient apporter plus de devises.

Le gouvernement s’est rattrapé avec le plan stratégique de développement du secteur agricole qui a été élaboré par la suite. Il est impérieux que le gouvernement reste à l’écoute des citoyens pour intégrer au fur et à mesure que c’est nécessaire toutes les améliorations que l’intelligence collective pourrait permettre d’avoir. A défaut, il est à craindre que les ambitions nobles du gouvernement ne durent que pour son temps.

Le gouvernement a mis l’accent sur la culture de rente. Quelle incidence sur la sécurité alimentaire et la création de l’emploi ?

S’il y a un secteur dans lequel le gouvernement fournit beaucoup d’efforts, c’est l’agriculture. Mais il y a certaines maladies qui ne datent pas du gouvernement actuel et qu’on tarde à corriger. Première chose, depuis des décennies, le Bénin consacre 80% de ses efforts dans une seule filière et les 20% qui restent dans les autres filières. Le palmier à huile dès les premières années de l’indépendance, après le coton. Ainsi on oublie que la diversité agricole participe à l’inclusion économique. Nous avons une filière forte, mais qui ne contribue pas à la réduction de la pauvreté en milieu rural. Concernant les produits vivriers, des efforts moindres sont fournis. Le Benin abrite aujourd’hui le centre qui s’occupe des recherches sur le maïs pour l’ensemble des pays de l’Afrique de l’ouest. Maintenant il faut travailler sur les produits qui vont nous permettre de conquérir le marché régional. J’ai appris que le gouvernement en conseil des ministres a décidé d’apporter des subventions à la filière palmier à huile sous forme d’intrants. Je crois qu’il faut continuer ainsi.

Parlant du marché régional, on entend des récriminations pour dire que le pays ne profite pas du Nigéria. Qu’en est-il ?

C’est une évidence, le Benin exploite très mal son positionnement par rapport au Nigeria car on n’a pas su appréhender à travers nos politiques publiques que ce pays est un atout. Il faut saluer la volonté du gouvernement de conduire l’action publique à travers le Pag. Mais ce que je déplore est le fait que dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce document, on donne l’impression que le peuple a donné du crédit au Pag puisque présenté dans un projet de société lors des échéances électorales. Lorsqu’on est dans un pays où peu de gens lisent les projets de société des différents candidats aux élections, il faut enclencher le dialogue avec les acteurs. Autre chose sur laquelle il faut insister, c’est la capacité de mobilisation. 9036 milliards sont nécessaires pour la mise en œuvre de ce programme. On a élaboré la première année un budget de 2010 milliards, mais en chemin on a dû faire un budget rectificatif pour ramener à la baisse ledit budget. Et c’est parce qu’on n’a pas la capacité de mobiliser les ressources pour l’Etat. C’est bien d’avoir des ambitions mais c’est mieux d’être réaliste.

Peut-on espérer une relance économique avec le partenariat public-privé, surtout que le gouvernement entretient des relations tendues avec le patronat ?

Cette question est hautement politique. On peut se demander comment un gouvernement qui porte des ambitions à réaliser à près de 80% par des privés traque les opérateurs économiques. Il a manqué une démarche inclusive au gouvernement, celle de s’asseoir avec les opérateurs économiques pour la relance de l’économie. C’est aussi vrai que certaines reformes profitent à des gens. Tout de même il faut des enquêtes. Il est difficile de dire qu’il n’y a pas conflit d’intérêts au sommet de l’Etat lorsque la Sonapra, une entreprise concurrente de Sodeco du Chef de l’Etat, même s’il dit qu’il n’est plus aux affaires, soit liquidée dès les premières réformes. Aussi, a-t-on l’impression qu’on est passé d’une situation de concurrence à un monopole dans le secteur agricole surtout en ce qui concerne la filière coton où les entreprises de Rodriguez ont été rachetées à Sodeco et Sonapra liquidée.

Depuis décembre 2017, le gouvernement est dans une course perpétuelle d’endettement avec des levées de fonds sur le marché de l’Uemoa. Qu’est-ce qui peut justifier cela ?

Quand vous lisez le rapport du FMI donnant satisfécit au gouvernement, la question d’endettement a été déjà soulignée comme préoccupante. Mais je ne crois pas que ces endettements aient dépassé le seuil tolérable nécessitant l’intervention de la banque mondiale et autre. Je conseillerai seulement au gouvernement de travailler pour mobiliser davantage de ressources financières.

Comment envisagez-vous la situation économique du pays au terme du quinquennat du Président Talon ?

Même si les objectifs de développement espérés ne sont pas tous atteints, le Bénin va garder le cap pour ne pas se retrouver en dessous de l’eau. Mais il y a une situation qu’il faut tenir compte. Le gouvernement a fait deux ans sans élection. Le clientélisme toujours observé au Benin lors des échéances électorales est à craindre l’an prochain surtout que le gouvernement envisage une majorité parlementaire pour la prochaine législature. Cette situation peut amener le gouvernement à oublier certains de ses principes. Patrice Talon a la tâche donc de mener ses reformes jusqu’au bout au lieu de chercher à contrôler l’échiquier politique béninois.

Propos recueillis par Eyango Ekolle et Jean-Discipline Adjomassokou

6 réponses

  1. Avatar de gombo
    gombo

    Je ne suis las sur qu’il y ait eu ameloiration de quelque agregat que ce soit
    1/ croissance PIB
    2013 =6.9%
    2014 = 6.5%
    2015 = 5%
    2016 = 4.6%
    2017 = 5.4%
    2/ inflation
    2013: 1%
    2014 : -1.1%
    2015 : 0.3%
    2016:  0.6%
    2017 : 2.2.%
    3/ Dette publique
    2013: 25.4 % du PIB
    2014 :30.9%
    2015 : 39.3%
    2016 : 42.5%
    2017 : 43.9%
    Donnnes FMI

    On le voit entre 2016 et 2017 la croissance n’a rien d’exceptionnel compare aux annees passees, l’inflation s’est aggravee, et le taux d’enndettement s’est deteriore…

    QUels sont les agregat en ameliorations ?
    2 ans de recule et de depecage de l’economie, de recul de la democratie, d’appauvrissement

    1. Avatar de Agadjavidjidji
      Agadjavidjidji

      @Gombo…

      Le delta du PIB entre 2016 et 2017 est bel et bien superieur à zero(environ +17.39%). Celui qui parle d’amelioration de cet agregat sur cette période n’a donc pas tort. Par ailleurs 2.2% comme taux d’inflation c’est assez raisonnable. Meme sur la dette publique où certains parlent d’apocalypse on voit bien que son accroissement de 2015 à 2017 n’est que de l’ordre de 11.7%. On est certes loin de l’embellie mais dans l’ensemble les agrégats majeurs sont parfaitement maitrisés.
      Les chiffres ont ceci de magique qu’il est difficile de les faire mentir….N’est-ce pas @Gombo???

      1. Avatar de Gombo offline
        Gombo offline

        Cher ami
        Il faut dechausser vos lunettes roses!
        Le clan talon est partiellement responsable de 2016 et entierement responsable de 2017.
        En 2016 on a recul de la croissance, augmentation du taux d’inflation et croissance des deficits exterieurs ( balance commmerciale et balance des paiements voir article bceao) et croissance de la detterapportee au pib!
        Ne me dites pas que c’est l’heritage yayi! Trop facile quand on est pouvoir 8 mois sur 12!
        En 2017, inflation et endettement s’envolent pour une  mediocre amelioration du taux de croissance ESTIME (+0.4 point)… pas mal le subterfuge de cacul de la croissance de la croissance pour sortir des taux a deux chiffres pour rosir le gris… Talon devrait vous embaucher a com..
        Et je ne vous parle pas encore du taux de pauvrete et de sa profondeur…
        Que veut dire agregats maitrises ?
        A 5.4% de croissance on fait du surplace voire on recule , 6% etant le minimum pour couvrir la croissance demographique et le simple maintien des infrastructures existantes !
        Seul point apparemment positif, la recolte de coton qui profite a talon et son cartel

  2. Avatar de Sonagnon
    Sonagnon

    Pourquoi s’étonner des tâtonnement de Patrice TALON à la tête du Bénin???

    Il n’a jamais dirigé un quartier ou un village au Bénin, il n’est pas un technocrate, et n’a pas une culture politique qui peut compenser ses manques de technicité!!!

    Et je crois que sa marge de manœuvre est désormais limitée, les élections c’est pour bientôt, il est obligé de faire des compromissions, surtout qu’il est découvert.

    Mon seul vœux, est qu’il laisse le pouvoir sans trop compromettre les finances publiques.
    Mais tout son empire monté sous fond de conflits d’intérêts, de prise illégale d’intérêt et que sais je encore, sera démantelé dès l’alternance intervenue.
    Et les poursuites judiciaires appropriées enclenchées.

  3. Avatar de
    Anonyme

    Cet homme sait de quoi il parle. Voila notre Talon national ecarte les Beninois et va chercher des competences a’ l’etranger.

    Une utopie en fin de compte. Car toutes les competences sont ici, il suffit juste de les reorienter et de bien les gerer (formations continue, esprit patriotique et de responsabilite’ dans l’accomplissement de son travail.

    1. Avatar de Tchite'
      Tchite’

      Le Benin a beaucoup de competences, mais mal exploitees et aussi sous exploitees.

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