(Les contre vérités sur les conflits d’intérêt, le reniement du mandat unique, L’humiliation et le mépris pour les cadres béninois)L’interview accordée par le chef de l’Etat à Rfi, Tv5 et Le Monde, était fortement attendue. Dans le flot exubérant des sorties médiatiques consacrées au bilan des deux ans du gouvernement de la rupture, celle de Patrice Talon apparaît donc comme un grand moment de télévision, le joker d’un jeu de cartes. Mais à l’arrivée, la copie présentée est en deçà des attentes
Un président élégant, au costume bien taillé, assis dans un cadre bien douillet, redressant sans cesse sa cravate face à deux journalistes qu’il tente vaille que vaille de convaincre. L’image qui se dégage de la sortie médiatique du chef de l’Etat, a plus convaincu par l’esthétique que par le contenu. Santé, conflit d’intérêt, Port Autonome de Cotonou, réformes, retrait du droit de grève, mandat unique… sur tous ces sujets Talon a juste assuré un service minimum, avec des réponses superficielles à des questions précises.
La santé du chef de l’Etat. C’est le premier sujet abordé dans cette interview. Un sujet de grand intérêt qui a nécessité trois questions. On retient la bonne santé du chef de l’Etat qui dit « toucher du bois » et rassure que « ce mal est derrière ». Si on peut se réjouir de cette parfaite santé, on s’interroge bien sur la nature du mal. Le communiqué publié en son temps par le gouvernement, a parlé de lésion sans jamais utiliser une seule fois le mot qu’on craignait tous. Mais on a pu comprendre à partir de la question posée par l’un des journalistes, qu’il s’agissait d’un « cancer pris à son début ».
Conflit d’intérêt. Le chef de l’Etat n’a jamais répondu à cette question. Il l’a survolé habillement. Evidemment, la question posée lui donnait cette occasion. Lorsqu’on parle de « soupçons de conflit d’intérêt » alors qu’il y a des exemples précis, le président a une opportunité en or pour tourner autour du pot et de dire que le conflit d’intérêt ne concerne pas que l’homme d’affaires devenu président mais aussi le fonctionnaire. Ce modèle de réponse qui vise à ‘’communautariser’’ une faute qui lui est reprochée a été noté aussi sur la question de sa responsabilité dans l’état de pauvreté actuelle du pays. Pour échapper aux critiques après ses déclarations de l’Elysée, le chef de l’Etat a mis cette fois-ci en exergue la responsabilité de toute l’élite béninoise en parlant de « responsabilité partagée ». A ce niveau le discours présidentiel a bien fluctué. Et même si bien après, il a affirmé avoir quitté l’actionnariat de ses sociétés en cédant les parts à des amis et à ses enfants, il n’a pu nier la détention par Bénin Control du Programme de vérification des importations (Pvi), un juteux marché que le gouvernement a relancé sans vider les contentieux autour de ce dossier. Quid des nombreux autres sociétés appartenant à la galaxie Talon et qui bénéficient d’autres juteux marchés de l’Etat ? Quid des mesures d’exonérations accordées à certaines d’entre elles pour leurs importations ? Le cas le plus criant est l’exonération octroyée à la Sodeco pour l’importation des intrants, alors même qu’on avait déclaré la fin des subventions de l’Etat dans la filière coton. Quid enfin des rumeurs non démenties d’accaparement de nouvelles filières florissantes de l’économie par des proches du président de la république.
Port Autonome de Cotonou. Visiblement Patrice Talon n’a eu aucun regret pour la gestion du port de Cotonou confiée aux belges du port d’Anvers. Pour lui, la seule raison de cette réforme c’est l’efficacité. Après avoir loué les prouesses du port d’Anvers, 2è port de l’Europe, il ajoute n’avoir pas trouvé les compétences nécessaires parmi les Béninois pour diriger ce port. Ceux qui s’agitent parmi « ses parents », « ses amis » et « ses partisans » à s’intéresser à sa direction n’en sont pas des spécialistes même s’ils sont par ailleurs des cadres chevronnés. Cette réponse ne confirme que le mépris du président de la république pour son pays et ses cadres. Près de soixante ans après l’indépendance de notre pays c’est une honte pour ses dirigeants de déclarer sans sourciller, à la face du monde n’avoir pas de compétences pour diriger efficacement notre seul port et une humiliation pour les cadres formés à grands frais et qui ont fait et font encore leurs preuves ailleurs dans le monde . De ce point de vue, croire et dire que sur les 10 millions de Béninois, il n’y a aucun d’entre eux qui a les compétences pour diriger un port est une humiliation à mettre dans le panier de la déclaration incendiaire sur le désert de compétence.
L’interdiction du droit de grève. Là aussi, Patrice Talon n’a pas convaincu. « -Est ce que tout le monde à le droit de grève en France ? Le fait de retirer le droit de grève à des secteurs vitaux n’est pas contraire à la démocratie », a dit le président. La comparaison avec la France ne peut nullement être un argument. Les deux pays n’ont ni la même histoire, ni la même culture. En plus, le Bénin a une constitution qui reconnait le droit de grève. Des textes de loi restreignent ce droit en interdisant la grève aux secteurs de distribution de l’eau et de l’énergie, des télécommunications et de la défense. Mieux, la loi explique comment l’Etat peut organiser le service minimum dans le secteur de la santé. Ne pas le faire est une méconnaissance des textes de la république. Patrice Talon a également parlé de la grève de l’armée. Au Bénin depuis 1960, l’armée n’a jamais fait grève. Elle n’a ni syndicat. Seule la police avait ce droit. Quant à la justice, le président de la république évoque sa corruptibilité. Et l’homme est bien placé pour le dire, au regard de ce qui s’observe tous les jours dans la Maison Justice depuis que le Garde des Sceaux actuel, son avocat personnel, est aux commandes.
Le mandat unique. A ce niveau le discours présidentiel a également a fluctué par rapport aux déclarations de départ faites le 06 avril, jour de son investiture et lors d’une interview accordée à trois télévisions béninoises le 1er août 2016. Alors qu’il disait en faire une exigence morale et de ne s’en tenir qu’à un seul mandat même si son projet de révision de la constitution ne passe pas, Talon a fait volte face depuis un an. Son argumentaire d’hier est presque le même que celui soutenu quelques jours après l’échec de son projet et tient en ces mots : « Le mandat unique n’est plus d’actualité. En tout cas, pour le moment. Etre candidat à nouveau en 2021 relève de mon droit le plus absolu. Je ne sais pas si je serai candidat à nouveau et je n’ai pas aujourd’hui à me prononcer là dessus parce que ce n’est pas cela qui m’a motivé dans ma réforme ».Ces propos relancent le débat sur la parole donnée et la crédibilité du chef.
Au total, l’entretien diffusé hier par Tv5 a laissé les Béninois sur leur faim en occultant les sujets de l’heure que sont la montée de la misère, la grève généralisée qui paralyse les secteurs de l’éducation et de la santé depuis bientôt trois mois, le chômage endémique et les nombreux cas de conflit d’intérêt
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