Parole publique : mode d’emploi

La parole se démocratise. Elle n’est plus l’apanage d’une corporation. Aucun groupe social n’en a le monopole. C’est l’une des caractéristiques de nos sociétés contemporaines.Celles-ci, en effet, sont de plus en plus ouvertes, portées par les technologies toujours plus performantes de l’information et de la communication. Le droit de tous à la parole, la liberté d’expression pour tous, ce rêve au cœur des grandes élaborations humanistes des siècles derniers, trouve ainsi à s’incarner et à s’illustrer.

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Les autorités, à divers titres, exercent, à diverses fins, un véritable magistère de la parole. Aujourd’hui, les hommes et les femmes des médias, naguère gestionnaires quasi exclusifs de la parole publique, sont débordés de toutes parts. Il leur faut compter avec des concurrents inattendus. L’auditeur d’une radio est potentiellement un émetteur. Il s’impose comme un acteur actif dans la chaîne de l’information et de la communication. Il est un producteur formel d’informations. De plus, comme au Bénin, il est nanti du statut de « grogneur ». Ne parlons pas des animateurs des réseaux sociaux. Par eux et avec eux, la multitude accède au droit de régner sur la plus grande décharge du monde.

Le journaliste, dans la gestion de la parole publique, est strictement tenu par des règles professionnelles, éthiques, morales et déontologiques. C’est loin d’être le cas pour le tout venant. Il entre par effraction dans le cercle vertueux de l’information. Il se préoccupe peu de la question des sources. Vérifier, recouper, authentifier l’information, c’est le cadet de ses soucis. Or, l’information est une nourriture aussi bien pour le corps que pour l’esprit de ceux qui la consomment. C’est par l’information, loin des ragots, des racontars et des bobards, qu’on élève les esprits à la hauteur des enjeux d’une société, qu’on forme une opinion publique informée. C’est Alfred Sauvy qui a raison : « L’opinion publique, a-t-il écrit, est une force politique qui n’est inscrite dans aucune constitution ». (Fin de citation) Or, une opinion publique se cultive. Elle ne pousse pas sur une terre stérile. Elle ne prospère pas sur un sol caillouteux. On doit en prendre soin. Et le seul engrais qui y participe, c’est une bonne et saine information.

Et la bonne et saine information, comme qui dirait en Côte d’Ivoire, c’est quoi même ? C’est une information qui a une source connue. Rien de commun, par conséquent, avec la rumeur. C’est une information qui est traitée et authentifiée telle. Rien de commun avec les propos de maquis, les bavardages de bars ou les commérages des marchés. Rien de commun avec des montages maffieux destinés à attiser les querelles partisanes, à régler des comptes politiques. C’est une information qui se démarque de toute attaque personnelle, de toute vulgarité et platitude. Bref, c’est une information qui transpire mesure et respire équilibre.

Comme on le voit, la gestion de la parole publique n’est pas à la portée du premier venu. Il y en a qui s’y aventurent sous le masque porté de la liberté, expression d’une duperie et d’une tromperie consommées. Il y en a qui vont y jouer les mages inspirés. Ils gavent à satiété ceux qui les écoutent de ténébreuses élucubrations. Il y en a qui y vont comme on va sur une plantation privée, titre de propriété en main, matraque en bandoulière. Tout le monde doit se mettre au pas pour que seule compte pour chacun « La Voix de son maître ».

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La gestion de la parole publique, c’est toute autre chose. On doit parler pour solliciter l’écoute et l’attention de l’autre, dans le respect réciproque de deux êtres qui éprouvent le plaisir ou la nécessité d’échanger, de communiquer. Le vivre ensemble est à ce prix. On doit parler pour informer et pour former. Qui donne reçoit, dans l’esprit bien compris d’un partage mutuellement bénéfique. Ceux qui partagent s’inscrivent dans la dynamique heureuse d’un enrichissement illimité. « L’intelligence d’un seul, disaient les sages d’Afrique, est comme une calebasse fêlée ». Enfin, on doit parler pour construire, cherchant, chaque fois et toutes les fois, à accéder à la « substantifique moelle » de la chose dite, de la parole proférée.

Tout bien considéré, il arrive que le silence parle. Il parle plus haut, il parle plus fort que la parole. La sagesse malinké a gravé dans la mémoire des temps cette vérité :  » Si ce que tu vas dire n’est pas plus beau que le silence, alors, tais-toi ! »

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