Secteur des arts sous la rupture : Le regard de l’artiste Didier Nassègandé

Professionnel de théâtre, Didier Nassègandé est l’un des acteurs culturels actifs du Bénin. Il fait part ici dans cet entretien de son opinion sur le bilan des deux ans de gouvernance du président Talon, dans le domaine des arts et de la culture. C’est une opinion fondée sur l’analyse des choix ou faits marquants de ces deux ans. Au-delà, il fait aussi des propositions pour un secteur culturel béninois « vraiment épanoui et rayonnant ».

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Deux ans que le régime Talon est à la tête du Bénin avec des réformes dans tous les secteurs. De votre position d’acteur culturel, quel est votre regard sur les options dans le domaine des arts et de la culture ?

Tout d’abord en deux ans de gouvernance Talon, nous avons connu deux ministres de culture, cela fait une moyenne d’un ministre par an, peut-être que si on entre dans la troisième année de gouvernance, il y aura un remaniement qui va nous apporter un troisième ministre. C’est le premier bilan.

Le second, c’est qu’au premier abord, nous avons un ministère autonome et en cours de chemin, le gouvernement avec son président s’est rendu comptent qu’avoir un ministère de culture et de tourisme autonome n’est pas assez efficace pour lui et a cumulé le ministère de la culture et du tourisme au ministère des sports.

Le troisième bilan, c’est que tout a été arrêté, suspendu. Le fonctionnement du fonds d’aide à la culture suspendu et transformé en fonds des arts et de la culture, ce qui a de facto arrêté toute activité chez les acteurs culturels et engagé les voix sur les réformes. Sous le premier ministre qui est Ange N’koué, on a lancé les appels à dossiers pour les classes culturelles.

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L’actuel ministre, Oswald Homeky est venu, il a suspendu d’abord et relancer d’autres compléments de dossiers. En sommes, à la date d’aujourd’hui, on a un bilan d’activités suspendues. Le bilan, c’est inactivité, suspension, cumul de ministère, deux ministres en deux ans à tous les niveaux.

Vous parlez d’un bilan d’activité d’inactivé mais ne peut-on pas dire que depuis février dernier, il a eu relance du secteur avec les nouvelles stratégies présentées par le nouveau ministre, quatre mois après qu’il ait pris ce secteur en charge ?

Il l’a fait le 21 février. Evidemment, la politique de relance ne pouvait pas démarrer le lendemain matin du 22. A la date d’aujourd’hui, rien n’a repris véritablement à mon sens. Ce à quoi on assiste, c’est une tentative de relance. Pour moi, ce qui est là, c’est qu’on a lancé un appel de dossier qui avait déjà été fait.

En quoi l’autonomie du ministère de la culture qui n’est pas assurée et la moyenne d’un ministre par an vous dérangent-elles ?

Je ne parle pas de dérangement. C’est juste que ça ne nous permet pas d’avancer. Pourquoi on ne change pas le président à chaque un an ? Pour faire sérieux, ce dont le système a besoin pour avancer, c’est la continuité, c’est une planification à long terme et non à tâtons. Evidemment, il faut réussir à faire des bilans à mi chemin mais ce n’est pas en reprenant tout à chaque fois. Ce qui est triste là-dedans, c’est le même gouvernement qui avait installé un ministre et un autre est arrivé remettre en cause tout ce qui a été fait, une sorte de contradiction et d’amalgame qui ne nourrit même pas l’esprit d’équipe du gouvernement. Ça ne leur rend pas service dans l’idée de progresser, à faire avancer les choses. A chaque reprise, il y a un nouveau système qui se met en place.

Est-ce que ce système empêche vous créateurs de travailler et de promouvoir la culture de votre pays ?

Pas du tout. Je voudrais reconnaitre tout le mérite et le courage de ces acteurs culturels qui malgré les suspensions et l’arrêt de tout ce qu’il y a comme apport de l’Etat à la culture, n’ont pas manqué de produire. Il y a plein de productions. Nous sommes sur les rendez-vous internationaux. Nous sommes assez productifs et c’est heureux. Sur le dernier Masa, nous étions une centaine de Béninois à représenter d’une façon ou d’une autre le Bénin. Et c’est assez heureux que malgré cette suspension, les acteurs culturels soient en train de travailler avec les maigres moyens, avec les sueurs qu’il faut.

Alors pour les prochaines années du mandat de la rupture, que voulez-vous vraiment avoir du président Talon et de son gouvernement ?

Moi Didier, je ne cherche rien de particulier pour moi, mais pour eux. Je voudrais que Oswald Homéky gagne, qu’il avance parce que de sa victoire, de sa prestation en tant que ministre, nous pourrions tirer du bénéfice. Je voudrais véritablement convaincre Talon à ce qu’il revienne sur une chose : l’autonomie du ministère de la culture et du tourisme. C’est assez important. Le président ne peut pas tout savoir. Sur ce coup, je lui dis, qu’il revienne.

Ce n’est pas bête de revenir sur une chose qui n’est pas bonne. Ça ne lui rend pas service, ni au ministre Homéky qui va être obligé de faire de génie sur deux pôles d’excellence, le sport et la culture puis un autre pôle le tourisme. C’est beaucoup. Si on a envie d’être concret, il faut confier à cet excellent ministre des charges précises. Moi, je voudrais qu’il prenne en charge la culture et le tourisme, qu’il se limite à cela et qu’il fasse de la bonne réflexion.

Deuxièmement, je voudrais qu’on avance sur les questions de financement du secteur culturel. Tel que c’est proposé là, les questions de bonification, ça ne fonctionnera pas. Il ne faut pas se leurrer. C’est quand ils vont finir les cinq ans qu’ils se rendront compte qu’on a perdu le temps encore. Et on dira pourquoi ils ont fait cela. Pourtant, c’est des hommes intelligents ? Moi, je leur dire sans un autre langage, ça ne fonctionnera pas. Et une autre chose que j’essaye de répéter à chaque fois que j’ai l’occasion de prendre la parole, il faut rembourser les artistes parce que c’est de l’ordre de l’Etat de rembourser.

Ce n’est pas élégant, ce n’est pas responsable pour un Etat de dire «nous n’avons pas d’argent pour rembourser les dettes ». C’est archifaux. C’est un mensonge. Aucun Etat responsable ne dit ces choses. Un Etat responsable prend de la responsabilité vis-à-vis des dettes et des créances qu’il a. Un Etat peut dire, à ce moment précis, ce que nous allons faire, c’est établir le point des dettes, établir un calendrier de remboursement et d’y faire face. Un Etat ne démissionne pas quant à son histoire. Et l’histoire de la culture aujourd’hui enregistre que par le passé il y a eu de la dette. J’ai été triste d’entendre de la bouche du ministre Oswald Homéky que je respecte beaucoup, que lui, il ne prend pas l’engagement. S’il ne le prend pas, un autre le prendra. Et c’est lui qui aura perdu en côte de valeur.

Après, je veux pour ce secteur, un plein épanouissement, un rayonnement vrai. Et ce rayonnement vrai ne viendra pas de l’envie de tout faire en même temps. C’est qu’on entre dans des dispositions qui nous fassent traverser des étapes.

C’est-à-dire ?

J’ai écouté, Mr Oswald Homeky sur la relance. Il veut avoir 54 arènes, il veut avoir 400 formateurs, il veut révéler les acteurs, faire la liste des festivals à l’extérieur. Non. J’ai envie qu’on fasse les choses par étape. On ne peut pas aujourd’hui recruter 400 formateurs. Aujourd’hui si nous faisons un point vrai, si nous dépassons 100 formateurs – toutes les disciplines confondues des arts- au Bénin, du nord au sud de l’est à l’ouest, c’est que nous avons fait un exploit. Les gens qui pratiquent le métier sont connus. Ce n’est pas de la magie. Si on dépasse 100, l’extrême des extrêmes, c’est 150. Et on veut recruter 400. C’est impossible.

Evidemment, il faut soulager les jeunes de ce qu’il y a un esprit de chômage qui plane. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut ouvrir une boite pour prendre tous les démons parce que si on tient à avoir les 400, on va envoyer sur le terrain, des gens qui n’ont aucune notion des arts et culture qui vont fabriquer des démons. Après, ce sont ces mêmes démons que nous allons voir en train de soumissionner au niveau des guichets à financement culturel. Et cela sera triste. C’est nous même qui allons engendrer nos démons.

A mon sens, il faut faire doucement. 54 arènes, c’est trop. Je conseillerais au ministre d’en faire au plus 5 ou au maxi 6 pour compter les vieux départements. Avec ces 5 ou 6 arènes cumulées, avec les autres espaces privés, nous allons faire de l’expérimentation. Encore qu’au préalable il faut des gens pour aller dans ces salles là. Ces gens là, il faut les éduquer à la culture du spectacle. Ce sont les élèves, les administratifs, les commerçants, les entrepreneurs. Et pour le faire, il faut produire des œuvres qui s’adressent aux béninois. C’est en cela que j’interpelle nous créateurs -musiciens, plasticiens, dramaturges- à pouvoir créer des spectacles et des œuvres qui parlent à tout citoyen. A partir de ce moment nous allons avoir le peuple qui s’intéresse à nos produits.

Dès que vous avez un peuple qui s’intéresse à votre produit, il viendra là où vous allez l’appeler. Mais si vous l’appelez sans lui donner le produit auquel il doit s’intéresser, il ne viendra pas. Et nous aurons 54 arènes, 400 formateurs et pourtant le marché n’existera pas. Donc il faut créer le marché, et il faut créer le produit.

Quelle note donneriez-vous sur 20 au gouvernement pour ces deux ans ?

Non, c’est un piège. Je ne saurai donner de mention. Ce que je voudrais dire pour faire simple, c’est encourager l’Etat à écouter les autres. Quelles que soient votre intelligence et vos ressources intellectuelles, c’est important de s’asseoir et d’écouter même les plus bêtes que vous. Moi je souhaite véritablement que Oswald Homéky réussisse, mais s’il veut réussir, qu’il ait la patience et l’humilité d’écouter ; que le Président Patrice Talon ait la patience et l’humilité d’écouter. On a l’impression que ce qu’ils disent de la culture, c’est que les acteurs culturels ont tout volé et vous sentez une sorte de «nous allons les punir ».

Je ne tolère pas les déconvenues qu’il y a eu, mais s’il y a des gens à sanctionner, ce ne sont pas les acteurs culturels. Ce n’est pas nous qui avions pillé l’économie béninoise. Il y a des affaires plus scandaleuses qui tournent dans ce pays et qui ont ruiné suffisamment le pays, la construction de l’assemblée nationale, Ppea II, machines agricoles, Cen-sad etc.

Beaucoup de millions ont été investi dans le football et sans aucun résultat. Et pourtant, le ministre Homéky a subventionné en 2017 les activités sportives, en 2018 cela a été fait. Ce n’est pas une gouvernance de luxe, ça ne lui ressemble pas. Ce à quoi je l’encourage pour ne pas donner de note, c’est à la responsabilité, à l’envie de réussir avec élégance, et qu’il y ait de l’humilité pour écouter les gens.

Une réponse

  1. Avatar de Anicet Adanzounon
    Anicet Adanzounon

    J’aime et je valide salut l’artiste….nous ne sommes pas les ennemis du progrès. Que chacun joue correctement son rôle dans la rep

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