Le ministre de la justice et de la législation, Joseph Djogbénou, était l’invité de Frisson radio dans la matinée d’hier lundi 7 mai 2018. Il y est revenu sur l’affaire Mohamed Atao. Il rejette la thèse selon laquelle le député est en détention en dépit d’une décision de mise en liberté du juge des libertés. Selon les propos du ministre, Mohamed Atao Hinnouho est poursuivi pour fragrant délit, suite à une plainte de la direction des douanes. Lisez son interview.
Monsieur le ministre, il y a une nouvelle affaire Mohamed Atao. Est-ce que c’est une nouvelle affaire ou c’est l’affaire des faux médicaments qui continue ? Est-ce que effectivement il est placé sous mandat de dépôt, et passe en audience de fragrant délit mardi prochain ?
Il n’y a pas de nouvelle affaire. Il y a le trafic que vous avez observé. Vous imaginez bien que les produits sont supposés entrer sur le territoire béninois, sans que le cordon douanier n’ait pu retracer leur entrée. Evidemment, la direction des douanes a émis une plainte après avoir constaté que d’importantes sommes ont dû échapper au trésor national. Cette procédure a été également ouverte, procédure de fragrant délit. Donc, effectivement il a été placé en garde à vue à l’hôpital et l’enquête a eu lieu, le Procureur de la République l’a placé sous mandat de dépôt et a fait enrôler cette procédure sur la base de la plainte de la direction des douanes devant le juge des fragrants délits, pour la date que vous avez signalée tout à l’heure. Je veux donc en conclusion dire qu’il n’est pas placé sous mandat de dépôt en vertu de la procédure d’instruction bien entendu. Même si le mandat d’arrêt avait été exécuté, le juge d’instruction eut constaté que c’est un député, et d’ailleurs le procureur général a introduit une demande de levée d’immunité parlementaire à l’Assemblée nationale, qui sans doute sera examinée. C’est sur la plainte de la douane et dans le cadre de la procédure de fragrance, que l’intéressé est placé sous mandat de dépôt conformément à la constitution, conformément au règlement intérieur de l’Assemblée nationale, et conformément au code de procédure pénale.
Sur son agression au tribunal, pourquoi il n’y a pas eu d’examen contradictoire ?
Vous établissez la thèse, monsieur le journaliste, que à la fois les organes formels béninois sont incompétents, sont suspects ; vous établissez la thèse que les médecins sont suspects et vous ne rapportez pas la preuve que lui-même, il a demandé une expertise contradictoire qui lui aurait été refusée. Non. On va considérer que tout a été fait suivant les règles de l’art. Il ne nous est pas revenu qu’il a sollicité une contre-expertise. En l’état où lui-même n’a pas demandé un certificat médical avant que le procureur de la République n’ait été sollicité, il n’est du souci de personne de traficoter la vérité. Dans tous les cas, le certificat médical établi fait foi jusqu’à nouvel ordre.
Le juge l’a relaxé, le même procureur a demandé une levée d’immunité. Qu’est-ce qu’il y a de si urgent ?
Arrêtons de dire, il est mis en détention sur la base d’une décision de mise en liberté. Non. Je vous ai dit qu’il y a une procédure de fragrant délit et que le procureur de la République a, au titre de la fragrance, les compétences pour décerner mandat de dépôt.
Pourquoi vous n’avez pas sorti ce dossier « fraude douanière » avant ?
Premièrement, vous interrogez le ministre de la justice qui n’est pas juge, qui n’est pas procureur. Mais deuxièmement, le fragrant délit ne se met en œuvre que lorsque la personne suspectée peut être présentée devant le procureur de la République.
Et on peut boucler un dossier de fragrant délit en deux, trois jours ?
C’est pour ça que le fragrant délit a été institué. Ce n’est pas d’aujourd’hui. Vous imaginez combien de personnes ont été jugées dans ce pays sur le fondement de cette procédure de fragrant délit. Et ce n’est pas parce que c’est la personne de monsieur Atao que la procédure devient particulière.
Ce n’est pas pour contourner la levée d’immunité ?
Voyez. Dans tout ce débat, nous venons de faire quasiment cinq minutes autour de monsieur Atao, mais pas une seule seconde autour de celles et ceux qui ont consommé ces produits et qui sont des milliers de personnes. Vous-mêmes vous le savez, des insuffisants rénaux, des personnes qui ont des problèmes cardiaques. Lui, il a été hospitalisé sur la volonté du procureur de la République. Ces personnes n’ont pas été hospitalisées à cause de sa volonté à lui. Lui, il est détenu au Cnhu. Nous avons près de 3000 détenus à la prison civile de Cotonou. Lui, il bénéficie des privilèges. Il bénéficie de vos interventions, des échos que vous donnez à cela. Lui, il profite des produits de qualité alors qu’il est en détention, mais vous ne parlez pas une seule seconde de ces autres personnes. Et c’est ça qui choque.
Vous l’accusez d’avoir vendu de faux médicaments et d’avoir empoisonné les Béninois avant même le procès ?
Moi je ne l’accuse pas. Mais vous avez quand même une décision de justice dans cette affaire. Vous avez des constatations qui ont été effectuées. Il va s’en défendre sans doute.
Son avocat Maitre Alfred Boccovo, dit qu’il a été auditionné en son absence
Il aura l’occasion de le démontrer. Je ne suis pas au tribunal pour en témoigner.
Il y a d’autres procédures de fragrant délit contre lui ?
Vous allez poser la question au procureur de la République.
Si jamais il est relaxé mardi, vous allez ressorti d’autres choses ?
Posant la question, vous laissez transparaitre l’idée que c’est le ministre de la justice qui sort les choses. Avec tous les dossiers, vous pensez que j’ai le temps. Non. Posez la question au procureur de la République.
Il y a un communiqué que les magistrats ont sorti condamnant vos propos. Vous aurez mis en doute le professionnalisme du juge des libertés et du juge d’instructions. Vous commentez les décisions de justice maintenant ?
Ah oui. La nature des décisions de la justice, c’est d’être commentées. C’est pourquoi il y a des revues. Qu’il ne vous échappe pas que je suis un enseignant. S’il n’y a pas de commentaire possible, il n’y a pas d’enseignant, il n’y a pas d’étudiant en droit. Donc les décisions doivent être commentées. Des commentaires des décisions, il y a des ajustements que le législateur fait, que le juge lui-même fait au moyen de sa jurisprudence. C’est pour cela qu’il y a des revirements de jurisprudence. Le commentaire est nécessaire, c’est une vertu et moi je l’assume. Je n’ai pas attendu les réactions de certains avant, il y a quelques jours à Parakou, de décerner des lettres de félicitation à certains magistrats, des lettres d’encouragement à d’autres, et puis en toute responsabilité, de rappeler certains à l’ordre. Je le ferai aussi à Cotonou et à la cour d’appel d’Abomey. Donc il n’y a pas de situation considérée comme grave, lorsqu’un ministre, un sachant, commente les décisions d’un juge.
Vous retirez ce que vous avez dit ?
Pas du tout.
Vous ne présenterez pas d’excuse.
Pourquoi vous admettez que ce que nous avons dit, c’est quelque chose qui n’est pas bien, qui n’est pas positif. Peut-être que j’attends des félicitations.
Monsieur Djogbénou. Est-ce que vous avez changé ?
Pas du tout. Est-ce que depuis que nous nous connaissons, il vous arrive une seule fois de demander à me rencontrer et à interviewer et que je refuse. Quelqu’un qui a changé négativement, c’est quelqu’un qui refuse d’affronter l’opinion, qui refuse de parler.
Sur les valeurs que vous avez défendues quand vous étiez dans la société civile.
Il y a beaucoup de personnes qui considèrent que, évidemment, ces valeurs -la liberté, la justice, l’état de droit, la démocratie-, de la position qui est la mienne et de ce que j’incarne comme politique et que je mets en œuvre, en tout cas comme politique de gouvernement incarnée par le président de la République, qu’il y a une contradiction. Il ne me semble pas qu’il y a une contradiction. Dans la position qui fut la mienne et qui est celle de certaines personnes, je l’ai qualifiée. La posture de la revendication, elle est nécessaire dans un état. Mais il y a une autre posture qui est celle de tous les gouvernements et de tous les gouvernants, la posture de la décision. Gérer un pays, gouverner, c’est choisir. Choisir, c’est décider. Par hypothèse, choisir c’est exclure d’autres possibilités qui sont tout autant pertinentes. Et quand on exclut ces possibilités, évidemment on ne satisfait peut-être pas la volonté de ceux à qui ces possibilités pourraient profiter. Il faut assumer. Si encore à titre personnel, je fais ces choix et que j’évite l’opinion, vous aurez compris que c’est parce que ces choix sont mauvais ou que c’est parce que je renonce à certaines valeurs, ou que c’est parce que je fais les choses dans l’opacité. Personne n’observe que Joseph Djogbénou refuse d’affronter l’opinion. Je fais des choix, j’assume des choix, j’exécute des choix que je défends publiquement.
Est-ce que votre côte de popularité est toujours la même ?
C’est à vous de me dire. L’engagement de ce gouvernement, c’est de ne faire de promesse que lorsque le pays peut, lorsque le trésor public peut. C’est pour cela que beaucoup de poches d’évasion de ressources sont fermées. C’est ça qui fait aussi la colère de certains. On ferme les poches d’évasion de ressources. On fait de la mobilisation de ressources internes, une priorité. Si le faire ainsi, c’est perdre en popularité, il faut perdre cette popularité-là. Mais ce n’est pas une popularité que l’on perd définitivement. C’est une popularité que l’on perd circonstanciellement, et que l’on gagne dans la durée. Entre réussir dans l’instant et réussir dans le temps, il faut aussi choisir.
Vous êtes en politique pour encore longtemps ou vous reviendrez à la société civile ?
Il n’y a pas de passage aller-retour. Non. La qualité essentielle que j’ai et qui me suffit, c’est d’être citoyen béninois. Je reviendrai à l’université. Ça me manque, il faut le dire. Je porterai ma toge d’avocat, ça me manque. Je le ferai. C’est avec beaucoup de fierté que je quitterai mes fonctions le moment auquel on va me le demander, que j’irai au marché, que j’irai dans les boutiques. D’ailleurs, beaucoup m’observent au volant de mon propre véhicule. Si je faisais des choses si graves que ça, vous auriez constaté une horde de soldats autour de moi. Je n’ai crainte de rien de tout. Je demeure un citoyen.
C’est de la com non ?
Pas du tout. Quand vous êtes au pouvoir, vous avez les attributs du pouvoir, il faut penser au lendemain.
Vous y pensez.
Bien sûr.
Demain vous leur direz quoi ? Que c’est la politique à monsieur Atao et monsieur Adjavon ?
Pourquoi je serais tenu de dire ça ?
Ils ne s’y comprennent pas.
Parce que vous constatez qu’il n’y a rien de reprochable qui soit fait par eux. Ces analyses sont choquantes, à moins que vous refusiez de voir les résultats des perquisitions qui ont été faites. Jugez de tout mais ne jugez pas de la réalité, à moins que vous dites, il suffit qu’on soit ami en politique et qu’on ait l’impunité. C’est ce qui tue les Etat africains. Vous refusez de considérer que c’est un acte courageux, audacieux, que de dire même si vous êtes mon ami et que vous manquez à la République, et que vous manquez à notre patrimoine, à notre bien à tous, vous n’y échapperez pas. C’est avec douleur qu’on sanctionne soi-même son propre ami. On voit son propre ami sanctionner, on n’a rien à faire parce que ce qu’il a fait n’est pas juste, n’est pas bon. Mais si nous devons déployer le parapluie du pouvoir d’Etat pour protéger nos amis, ce serait la vraie mauvaise gouvernance.
Joseph Djogbénou, merci.
C’est moi qui vous remercie.
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