Dans le rebondissement de l’affaire « 18 kilogramme de cocaïne » au Bénin qui oppose l’Etat béninois à l’homme d’affaire Sébastien Ajavon et trois autres prévenus jugés en novembre 2016, les avocats de la défense relèvent certains éléments qui, disent-t-ils, « sont parfaitement inadmissibles au niveau du droit ».Retour sur les points clés de leur conférence de presse du jeudi 4 octobre 2018 à Cotonou. C’était après leur surprise à la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) du Bénin ce même jour dans la matinée à Porto-Novo. A cette conférence de presse, ces avocats constitués par l’opposant politique Sébastien Ajavon ont exprimé leur regret face à ce qu’ils ont appelé « non-respect des principes élémentaires des règles généraux des droits de la défense et aussi des droits de l’homme » au Bénin.
Le délit de la présence de l’avocat à la CRIET
L’avocat au barreau de Paris Marc Bensimon a d’abord, outre le fait que la convocation adressée il n’y a que huit jours ne mentionne pas la raison, contrairement aux règles les plus élémentaires du droit international et du droit de la défense, dénoncé la non recevabilité opposée aux lettres de constitution des avocats des prévenus et à leur droit de prendre la parole en l’absence des prévenus devant cette Cour, sous prétexte qu’il faut obligatoirement la présence des prévenus. Ceci, à l’en croire, bien qu’ils aient non seulement les lettres de demande de leurs clients pour les représenter mais aussi les lettres de constitution. Il a fallu un long débat avant qu’on accepte la lettre de représentativité mais pas celle de constitution. C’est une surprise selon l’avocat qui se réfère à l’article 428 du code de procédure pénal béninois. Pour lui, cet article dit expressément qu’un, prévenu renvoyé devant une juridiction répressive à le droit d’être représenté. « C’est la règle ; c’est la loi. Mais cette règle connue de tous, parfaitement répertoriée, acceptée depuis toujours au Bénin conformément à son code, n’était plus respectée aujourd’hui » se désole-t-il. « Ce qui se joue n’est plus du droit » renchérit Me Ahounou qui rappelle : « On l’a toujours utilisé dans les prétoires au Bénin ici mais subitement aujourd’hui, on dit qu’on ne doit pas parler, on ne doit même pas remettre la lettre parce que le client ne serait pas là ».
La loi permet à Ajavon de ne pas se présenter le 18 octobre
Dans ce débat juridique, la CRIET est restée ferme sur sa position et exige la présence des prévenus avant d’ouvrir le dossier. Elle a renvoyé le dossier dans 15 jours avec injonction faite aux prévenus de comparaitre personnellement. Mais à cette audience qui s’annonce donc pour le 18 octobre 2018, ces derniers ne sont pas tenus d’y être puisque la loi le leur permet, souligne Me Ahounou. Il précise les conditions dans lesquelles la Cour peut exiger leur présence et que même dans ce cas, elles peuvent toujours décider de ne pas comparaître. « Même la loi dit que lorsque la lettre est présentée, on reçoit la constitution, on commence les débats. Au cours des débats, la Cour peut estimer qu’à l’étape ou on est dans les débats, c’est nécessaire d’entendre les personnes et peut ordonner qu’elles comparaissent. Et même dans ce cas, elles peuvent choisir de ne pas comparaitre à leurs risques et périls. » « Ce que nous demandons, c’est que la loi soit appliqué ». Le juge est soumis à l’autorité de la loi » précise l’avocat.
L’erreur peut-être de jeunesse d’un juge
Dans ce rebondissement, le conseil d’avocats d’Ajavon dénonce également une volonté de la justice béninoise à rejuger une affaire dans laquelle elle a rendu une décision définitive. Pour le conseil, le jugement du 4 novembre 2016 qui a relaxé les prévenus est définitif contrairement à ce que clament d’autres voix, celles qui évoquent un appel qu’aurait interjeté le procureur général. Sur la question, Me Marc Bensimon exprime encore une grande surprise. Il rappelle que chaque partie avait un délai de 15 jours pour interjeter appel devant les juridictions du Bénin. Et il faudrait le faire au greffe du tribunal correctionnel du tribunal de première instance. « Nous avons la certitude que personne n’a interjeté appel auprès de ce greffe de ce tribunal » informe-t-il. Cependant, reconnait-t-il, il reste une seconde possibilité. Celle-ci donne le pouvoir au procureur général, le procureur près la Cour d’appel, d’interjeter appel et ce, dans un délai de deux mois auprès du greffe de la Cour d’appel. Le 11 janvier 2017, après l’expiration donc de ce délais – 4 janvier 2017-, les avocats d’Ajavon auraient à l’en croire, envoyé un huissier vérifier le document sur lequel se trouve inscrits les appels. « Il a constaté qu’un appel n’a été interjeté par le Procureur général » rapporte Me Marc Bensimon. « Ce jugement est donc devenu définitive » conclut-t-il. Alors, lorsqu’on lui parle d’un appel du procureur général qui l’aurait fait au greffe du tribunal, il le met sous le coup d’une erreur de jeunesse.
Violation de la séparation des pouvoirs
Autre chose que dénonce la défense dans cette affaire, c’est ce qu’elle appelle « contact entre le ministère public et la Cour ». « Cette cour nous donne l’impression que nous sommes dans un couloir et que tous ceux qui y passent ne vont directement pas au jugement mais à la condamnation » juge Me Issiaka. Il fustige en même temps l’intervention du ministre de la justice Sévérin Quenum dans cette actualité quand lors d’une sortie médiatique il a défendu la compétence de la CRIET à connaitre de ce dossier. « Le garde des sceaux n’est pas dans son rôle. La compétence d’une juridiction est prononcée par la juridiction elle-même. Le garde des sceaux a violé le principe de la séparation des pouvoirs et on devrait déclarer ses propos anticonstitutionnels ».
Sur cette question de compétence de la CRIET, Me Marc Bensimon renvoie chacun à la loi 2018-13 qui a installé cette Cour. Dans cette loi, relève-t-il, la CRIET ne pout statuer que dans deux cas au niveau procédurale. «On n’est pas dans le flagrant délit. Cette affaire date d’octobre 2016. Non plus dans un cas de renvoi ; il n’y a eu aucune instruction. La chambre n’a jamais été d’ailleurs saisie. Et si elle l’avait été, elle l’aurait été quand ? Je rappelle que la CRIET a été installée le 27 août 2018. »
Peur de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ?
Dans leur interrogation sur les motifs de tout ceci, les avocats d’Ajavon et des autres prévenus dans cette affaire pensent que cela peut-être un moyen pour l’Etat béninois de vouloir influencer la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Ajavon a saisi en effet cette Cour compte de ce qu’il subit dans son pays. La décision est attendue dans les prochaines semaines, annonce Me Marc Bensimon.
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