Dans une lettre ouverte, Azarias Sekko, commissaire aux comptes de l’Union socialiste libérale (USL), s’adresse au président Patrice Talon. C’est au sujet des élections législatives au Bénin. L’auteur de la lettre attire l’attention du chef de l’Etat sur les conséquences d’une élection non inclusive.
Le commissaire aux comptes du parti de l’opposant et homme d’affaire Sébastien Ajavon qualifie de « pseudo élections », les législatives prévues pour le 28 avril prochain au Bénin seulement avec les deux blocs du chef de l’Etat. Il s’agit pour lui, d’un «coup de force constitutionnel», en violation de l’article 5 de la constitution du Bénin. Selon lui, le Chef de l’Etat devrait l’éviter en sa qualité de garant de ladite constitution.
Autrement, le pays en subira d’énormes conséquences sur les plans institutionnel, économique, social, sécuritaire et politique, de même en termes de relations internationales. Azarias Sekko les énumère dans sa lettre et invite le président Talon à réfléchir à nouveau quant à sa détermination affichée à faire passer ce coup de force. Lire l’intégralité de la lettre publiée sur la page facebook de l’USL.
Lettre ouverte au Président de la République sur les conséquences du coup de force constitutionnel
Monsieur le Président de la République,
En organisant dimanche prochain des pseudo élections ouvertes à vos deux partis, pour ma part, j’estime que vous allez passer en force en violant l’article 5 de notre constitution qui consacre pourtant le multipartisme intégral au Bénin.
Ce coup de force relève incontestablement des cas prévus par l’aricle 66 et des conséquences légales et légitimes qui en découlent à mes yeux.
En votre qualité de garant de ladite constitution, vous devez prendre les dispositions nécessaires relevant de l’article 66.
Si vous ne trouvez pas votre compte dans l’article 66, les dispositions de l’article 68 auquel ont recouru dans le passé les Présidents Soglo (2002) et Kerekou (1995-1996) sont également applicables.
La Constitution est une loi, des institutions et une pratique.
Nul n’ignore dans votre entourage l’esprit dans lequel le Constituant a rédigé cette constitution à l’issue de la conférence Nationale en 1990 pour éviter le retour du Parti Unique.
Si toutefois, votre détermination est totale à passer en force, impression que je pressens, je souhaiterais attirer votre attention sur les conséquences qui en découleraient :
1- sur le plan institutionnel
Le climat social et économique qui est la résultante et le prolongement de cette crise politique et qui empêche le développement économique vous expose à titre personnel eu égard aux dispositions de l’article 74 de la Constitution où votre responsabilité pourrait être fort justement engagée pour haute trahison par ces députés que vous ferez nommer(pas élire bien évidemment). Un certain nombre d’entre eux sont connus notoirement pour leur transhumance historique. Pour rappel, élus précédemment sous l’étiquette Fcbe, certains sont aujourd’hui avec vous et vous trahiraient le moment venu au plus offrant pour défendre leur immunité parlementaire qui couvre tous leurs forfaits. Pour certains, ils sont dangereux pour vous et pour la démocratie.
Le peuple n’a pas besoin de ces modèles qu’il honnit depuis des années. Ils discréditent la sincérité de votre discours pour ceux qui y croient encore.
2- sur le plan économique
En organisant les élections non inclusives, vous allez bloquer la faible activité économique qui fait encore fonctionner timidement le pays. Croyez-vous que le PAG subsistera à ce coup de force? Croyez-vous que des investisseurs sérieux viendront investir dans un pays instable et sans avenir alors que la concurrence est rude avec les pays voisins? Comment comptez-vous payer le service de la dette si les recettes fiscales et douanières sont atones?
Comment faire face à la fuite des capitaux vers les pays voisins compte tenu de l’insécurité politique ? Et le Pvi au port? Vous pouvez oublier votre taux de croissance annoncé à 7%.
Pourra-t-il tenir si les activités au port sont ralenties? Croyez-vous que la pression fiscale sur les contribuables sera infinie?
J’en conviens, certains secteurs exportateurs comme le coton en souffriraient moins car fortement subventionnés, mais est-ce l’unique ambition de votre projet pour le Bénin qui mérite mieux? Est-ce une ambition personnelle ?
3- Sur le plan social
Les conséquences dramatiques seront plus terribles pour nos concitoyens, elles l’étaient déjà aujourd’hui et je ne me trompe pas en disant que ce serait pire qu’aujourd’hui : licenciements massifs dans le privé et le public, manifestations syndicales à répétition, mévente dans les marchés,tensions sociales à répétition, mécontentement de ces nombreuses femmes qui ont pleuré pour éviter votre extradition à Cotonou dans l’affaire qui vous opposait à M. Yayi Boni et qui aujourd’hui déchantent. J’en connais énormément. Elles vous attendaient pour tourner une page, mais vous leur avez tourné le dos.
4- Sur le plan sécuritaire
En termes de sécurité intérieure, recrudescence de la délinquance car les désœuvrés seront plus nombreux, de nombreuses failles dans le dispositif sécuritaire à envisager aux frontières : les jihadistes se seraient déjà infiltrés au Bénin ( cf dernier numéro de Jeune Afrique). Les militaires, les chars et les policiers doivent se déployer où les besoins sont pressants et non terroriser la population à mains nues comme c’est le cas aujourd’hui.
5- Sur le plan politique
Inévitablement, le coup de force ne sera pas sans conséquence sur la vie politique du pays, les frustrations engendrées par la situation étant nombreuses et légitimes : va-t-on arrêter tous les leaders politiques des partis d’opposition qui aujourd’hui reçoivent régulièrement des convocations à la brigade criminelle? Va-t-on enfermer leurs militants de manière quasi systématique à chaque manifestation? Va-t-on continuer à envoyer des gaz lacrymogènes sur des anciens Présidents qui ne resteront pas silencieux ou les assignerez-vous en résidence surveillée ?
6- Sur le plan des relations internationales
En faisant ce coup de force constitutionnel, nous perdrons ainsi tous les dividendes de la rente démocratique, les partenaires au développement nous mettront au banc des nations ainsi que les nations sérieuses. Les organisations internationales ainsi que les ONG de défense des droits de l’homme ou économiques nous déclasseront dans tous les classements (cf dernier classement RSF) loin derrière nos voisins qui nous enviaient.
La crédibilité de notre police et de notre justice risque d’être remise en cause à l’étranger (cf Affaires Ajavon et Koutché).
- Le President de la République, M. Talon, voulez-vous être le fossoyeur de cette démocratie?
Comme vous-même le répétez souvent, le Bénin vous a tout donné presque sur un plateau. Nombreux parmi nous n’avions pas bénéficié de ces largesses, mais sommes très heureux de nos situations respectives et de notre pays et ne souhaiterions pour rien au monde perdre cet héritage qui nous est si cher.
J’espère que l’Histoire me donnera tort, ne souhaitant que la réussite du Bénin quelque soit l’artisan de cette œuvre.
Réfléchissez bien et n’oubliez pas que les faucons qui vous entourent n’auront aucun compte à rendre à l’Histoire.
Salutations patriotiques
Azarias Sekko
Commissaire aux comptes
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