La présente contribution à l’explication de ce qu’il est convenu d’appeler la « crise politique béninoise » a connu deux étapes : La première est de rechercher l’origine réelle des propositions de lois finalement votées (avec des simulacres de consultations injurieuses pour l’intelligence) et qui sont à la base de l’atmosphère politique actuelle.
Est-ce, en s’affranchissant de tout préjugé déformant et stéréotypé, l’œuvre de l’actuel Chef de l’Etat dans son cocon habituel d’amis, l’accouchement d’une alliance où chaque partie garantit son intérêt dans des relations, certes inégales, de complicité agissante, ou simplement la confrontation d’idées plus ou moins divergentes.
La seconde est de prospecter dans la mouvance présidentielle et ailleurs afin de recueillir des éléments sur les résultats des réflexions des parties prenantes sur la réforme du système partisan. Nos investigations dans cette étape n’ont pas révélé qu’il y ait eu des groupes politiques qui aient réfléchi sur le sujet et rendu publiques les conclusions de leurs concertations.
Nous nous sommes décidé de jeter la lumière sur le parcours de l’Union fait la Nation pour la simple raison que nos meilleurs compagnons politiques ont initié cette formation et ont toujours eu l’amabilité de nous tenir informé de leurs réflexions, et parfois, pas souvent, de solliciter nos réflexions à titre informel. Le responsable actuel de l’Union progressiste présidait ce regroupement. Car, il faut reconnaître à ce regroupement réalisé depuis la période préparatoire aux élections de 2011, malgré les soubresauts qu’il a connu, procédait à des études et des réflexions prospectives. Il a rencontré des accueils certains qui ont résulté des circonstances de sa naissance, et, nous voulons le souligner, des orientations et origines régionalistes de ses promoteurs.
Nos opinions respectives ont largement évolué tendant vers un rejet chaque jour plus prononcé des orientations révélées dans et par la pratique. La fidélité à ses propres principes est l’aune à laquelle peut être jugé la sincérité des militants politiques.
En juillet 2012, l’UN a fait un travail remarquable à plusieurs égards sur des thèmes brulants de la vie politique du Bénin. Il en est sorti le document :
LES JOURNEES DE L’UNION : Rénover le système politique Pour Mieux gérer le Bénin
Il est daté des 26, 27, 28 juillet 2012
Sur l’aspect d’une réforme du système partisan, voici les positions et les propositions de ce regroupement présentées au point 3- à partir de la page 31.
Position 15- L’Union fait la Nation propose un toilettage de la liste des partis politiques ;
Il suffit pour ce faire d’appliquer la loi 2001-21 du 21 février 2003 portant Charte des partis politiques en son article 7 :
« Les partis politiques sont tenus de participer aux élections nationales et locales.
Tout parti politique perd son statut juridique s’il ne présente pas seul ou en alliance de candidats à deux élections législatives consécutives.
La décision de retrait de l’enregistrement délivré est prise par arrêté du ministre chargé de l’intérieur et publiée au journal officiel de la République du Bénin.
Le recours en annulation contre l’arrêté du ministre chargé de l’intérieur est suspensif »
Suivent un commentaire sur l’anomalie de la non observation de cet article et des propositions relatives au fonctionnement des partis politiques.
Qu’en est-il de cette position et pourquoi n’avoir pas exigé que le ministre chargé de l’intérieur dise les raisons qui ont motivé ses services pour se dispenser de l’application de la loi ? Il n’y a aucune difficulté apparente à rectifier le tir et s’appuyer sur des données honnêtes dans la justification des réformes à entreprendre.
Position 16– L’Union fait la Nation propose que seuls les partis politiques et alliances de partis politiques ayant une représentativité suffisante animent l’Assemblée nationale.
Suivent des justifications de cette position
Puis la proposition : Pour y parvenir, il faut convenir que seules les listes de candidats ayant recueilli au moins 5% des suffrages exprimés seront retenues lors de la proclamation des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle.
On voit d’où sont sortis les 10% de la loi querellée. Les attribuer par dogmatisme à Patrice Talon peut être contestable, sans que notre opinion doive être une tentative de disculpation totale à l’évidence.
Position 17– L’Union fait la Nation propose que chaque parti politique ou alliance de partis politiques fasse une déclaration de positionnement politique gouvernement/opposition, au début de chaque législature.
Les raisons de cette proposition sont exposées notamment la clarté sur la configuration politique du pays. Tout cela présenté pour le financement des partis politiques lors de changement de positionnement d’un député.
Cette position permet la stabilité des groupes et donc aussi contre le débauchage au profit d’un autre groupe. Etait-ce un objectif qui peut être atteint sans s’appesantir sur le contenu des engagements pris au sein du parti ou de l’alliance de paris ? En outre, l’UN ne conçoit pas que l’on se refuse à s’engager derrière un gouvernement en place en préservant son autonomie de jugement et de prise de position. Conception qui conduit, en raison des forces en présence et de pouvoirs d’attraction sur les militants, à s’aligner dans les faits sur les décisions du gouvernement et même en cas de désaccord. Cette vision bipolaire est bien curieuse dans notre entendement d’une démocratie et nous attendons l’évocation des expériences de sa mise en œuvre ailleurs dans le monde. Ou pourquoi pour le Bénin.
Position 18- L’Union fait la Nation propose que tout député qui change de positionnement politique en cours de législature soit déchu de son mandat et remplacé par son suppléant.
Suit la justification de cette proposition : stabilité politique du Parlement et exemplarité des comportements des députés.
Cela signifie que les actions du gouvernement ne sont susceptibles d’aucune contestation si elles dévient du contrat initial. Dans ces conditions, le positionnement aurait du être exigé avant les élections avec les engagements pris par chaque partie. L’objectif d’un parlement dépendant du bon vouloir de l’exécutif était sous-entendu. Le changement du positionnement du groupe parlementaire n’est pas envisagé ici. Les votes les yeux fermés sont ainsi programmés intellectuellement.
Position 19– L’Union fait la Nation propose l’adoption d’une loi sur le financement des partis politiques.
Une approche de justification est amorcée relative à l’origine des ressources des partis politiques, disposition de lutte contre la corruption. L’objectif est aussi l’élargissement de l’assiette des bénéficières.
C’est pourtant une prescription déjà acquise par la loi. En réalité, il s’agit ici de la proposition d’une nouvelle règlementation de ce financement. Les propositions 20 à 24 portent sur le contenu de cette réglementation.
Position 25- L’Union fait la Nation propose un meilleur accès de l’opposition aux médias d’Etat.
A cet effet est suggéré que les dirigeants des organes fassent preuve de plus d’équité dans la gestion des temps d’antenne dans l’audio-visuel et des pages de commentaires dans la presse écrite. La position 26 est une représentation proportionnelle de cette opposition dans les organes de gestion de l’Assemblée, les organes de régulation et les conseils communaux.
Il est aisé de constater que sa position de regroupement opposé au régime de Boni Yayi incite l’UN à se préoccuper des droits de l’opposition. Mais alors, on peut oser se demander si, avant les lois scélérates, ce regroupement s’est effectivement préoccupé de ces droits dans le régime qu’il soutien. Discrètement peut-être, et dans ce cas notre affirmation ci-dessus « s’aligner dans les faits sur les décisions du gouvernement » même en cas de désaccord pourrait se justifier. Mais officiellement, jamais, à notre connaissance. Le plus curieux, c’est d’avoir omis de dire la part de l’exécutif dans cette situation comme si les responsables des organes qui sont épinglés agissaient de leurs propres grés. Dans une position d’opposition à cette époque, cet oubli pose problème
Ces différentes positions de l’UN ont été reprécisées dans un document du 6 janvier 2018, au sein du Bloc de la Majorité Parlementaire (ou Présidentielle si l’on ne veut pas se faire enfermé dans les subtilités langagières pour camoufler la réalité).
Réforme du système partisan : Les enjeux aujourd’hui
Ce document bien plus récent et produit après un changement de positionnement mérite d’être scruté avec soin pour déceler les modifications essentielles et ce que l’on pourrait considérer comme responsabilité de l’UN dans la restauration des tendances autocratiques.
Il est seulement nécessaire d’en indiquer les points principaux suivants :
-
Il faut rationnaliser le
paysage partisan, tout en distinguant l’existence légale des
partis politiques des conditions de financement publics de leurs
activités politiques. A ce sujet
- Affirmer la légitimité de tout parti politique à exister, à condition de contribuer à la cohésion nationale
- Imposer par la voie législative, les conditions pour bénéficier du financement public
-
Il faut défendre les
libertés publiques (donc aussi la liberté d’organisation) et les
valeurs essentielles qui fondent le République
- Préserver à tout prix la liberté d’organisation
- Privilégier les regroupements sur la base d’affinités de vision, de programme d’action et de comportement en matière éthique en politique
- Bannir les rassemblements autour d’un homme au pouvoir, d’un prétendant individuel au pouvoir ou à la faveur de l’avènement d’un régime
- Prévenir toute tendance vers le pouvoir personnel et la patrimonialisation du pouvoir d’Etat
- Assurer la démocratie et l’équité à l’intérieur des partis politiques
- Concilier la liberté individuelle avec les exigences d’une organisation démocratique et efficiente ainsi que la fidélité aux engagements pris.
Dans la conclusion du document, l’UN évoque les circonstances de l’heure qui incitent à des regroupements en vue du captage de ressources financières publiques et privées. Les calculs électoraux sont soulignés en cette veille des législatives. L’impératif de s’associer, non internalisé, perçu et vécu comme une contrainte extérieure, ne saurait l’emporter sur l’impérieuse fidélité à des valeurs et à une orientation politique claire.
La lecture de ce second document appelle de notre part les observations suivantes :
- La préoccupation permanente de l’UN a été centrée sur le financement des activités des partis politiques. Il s’est agi de les mettre à la charge des citoyens, les engagements politiques considérés ainsi comme un service rendu à l’Etat et à la Nation. C’est de toute évidence une approche motivée par le poids financier qui incombait aux responsables des partis politiques régionaux dont les moyens financiers ne peuvent prospérer qu’à la vitesse de leur enrichissement illicite. L’entente avec l’actuel Chef de l’Etat ne peut qu’être réalisée à priori, les responsables de l’UN ayant, principalement depuis des années, compté presqu’exclusivement sur les financements occultes obtenus de Patrice Talon, de son propre aveu, mais parfois des mains de Chefs d’Etat de la région africaine.
- La place réservée au respect des libertés, notamment d’organisation. L’habitude est d’évoquer la liberté d’association, d’opinion, et non d’organisation. Il ne saurait s’agir d’un simple jeu de mots, à notre avis, parce que ce sont des responsables particulièrement avertis qui dirigent ce regroupement. Dans ce second document plus aucune préoccupation des droits de l’opposition. Ce qui est humain puisque le positionnement politique a changé et par conséquent les valeurs ne pouvaient que changer dans la profession de foi.
- Enfin, il transparait dans ce second document ce qui peut être pris comme contradictions internes au BMP, hypocritement camouflé, avec raison il est vrai.
En résumé les enjeux aujourd’hui tournent autour des arguments qui militent en faveur de la survie comme courant de l’UN dans tout rassemblement autour de Patrice Talon.
En conclusion :
En dehors de l’Union fait la Nation, le reste des «anciens» partis politiques regroupés autour du Chef de l’Etat, n’a rien produit sur leurs réflexions autour du thème.
Nous comprenons mieux ainsi la part prépondérante que prend le Président de l’Union Progressiste dans la défense tous azimuts des décisions qui conduisent à une pratique «autocratique du pouvoir». Il n’y a, de l’autre côté, personne significative d’un engagement passé remarqué pour tenter l’aventure. C’est peut-être aussi le stratagème pour ne pas s’attribuer les lois incriminées et nous indiquer les véritables concepteurs.
Il peut être objecté à notre initiative d’être engagée après le mal. Mais pouvions-nous raisonnablement prévoir les actes et déclarations des acteurs pour entreprendre cette réflexion dès le début ? Une telle démarche aurait été un procès d’intention avant l’acte final. Ce qui est certain dans notre esprit est que la fiabilité des déclarations ne peut être mesurée que sur la base des actes concrets après leur confrontation aux intentions proclamées. Notre commerce avec de nombreux responsables de regroupements nous permet, croyons-nous, de cerner avec une marge d’erreur pas trop grande la bonne lecture des évènements qui les mettent en relief.
Les responsabilités de la situation n’incombent pas uniquement, et peut-être pas principalement, au seul Chef de l’Etat. Mais au niveau où il exerce, elles peuvent pas être occultées.
Adékpédjou Sylvain AKINDES (Contribution)
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