La situation de notre pays est pour le moins tendue, qu’on l’appelle crise ou ‘frustrations’ comme le dit le chef de l’Etat.Il nous faut d’abord examiner le contexte dans lequel cette crise survient, car c’est cela qui pourrait expliquer les actions du gouvernement et sa majorité parlementaire, si on leur fait la grâce de penser que ce n’est pas le simple instinct de survie à un échec électoral annoncé
Dans son message à la Nation du 20 Mai dernier, le chef de l’État, analysant ce qu’il faut bien appeler crise pointait du doigt “un multipartisme débridé que nous avons cultivé depuis 30 ans, et qui est la cause principale d’une mauvaise gouvernance, source de notre sous développement”.
Cette double causalité que le chef de l’État établit, justifierait les morts de Cadjèhoun et autres les 1er et 2 Mai, car dit il, « l’impérieuse nécessité d’accélération du développement socio-économique de notre pays en dépend aussi”. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs dirait on trivialement… à ceci près que l’omelette toujours promise pour demain est invisible, et les casses bien réelles, ici et maintenant.
Un diagnostic qui ne résiste pas à l’examen des faits
Pour clôturer le tout, le chef de l’État nous assure que “les résultats déjà obtenus sont évocateurs à plus d’un titre”; autrement dit la fin justifie les moyens.
Le discours du chef de l’État ne nous dit pas ce que sont ces résultats.
S’agit-il du taux de croissance de 6.0% a 6,8% ( ça dépend des jours et des sources qui défilent au ministère des Finances) estimé pour 2018 ?
Faut-il rappeler qu’en 2013 et 2014 le taux de croissance réel ( taux définitif publié par FMI, BAD, BANQUE MONDIALE) a été respectivement de 7,2% et de 6.3 sous YAYI sans que le Bénin ait eu à le payer par des morts ? Qu’avant cela il a connu un pic de 8,9% en 1990 sous Soglo, tout cela avec un “multipartisme débridé” et toujours sans tueries de compatriotes ?
La réalité est que ces chiffres de croissance ( plusieurs années autour de 5 a 6% au cours des trois dernières décennies) n’ont pas pour autant changé de façon significative le quotidien des populations et on serait à la peine de trouver les résultats obtenus par ce régime en trois ans qui justifieraient des morts dans nos villes, la déstructuration de notre société, l’embastillement de nos jeunes.
Le diagnostic posé ( la causalité transitive multipartisme débridé, mauvaise gouvernance, sous développement) ne résiste pas à l’examen des faits chez nous, dans les autres pays africains, et dans les pays économiquement en retard.
Nous avons connu avec le Prpb 17 ans de parti unique, tout le contraire d’un multipartisme débridé, sans que la bonne gouvernance ou le développement aient été au rendez-vous, au contraire.
Avant 1972, le Bénin n’a vraiment jamais connu le multipartisme intégral et les restrictions de la liberté d’association furent des constantes, séparées par de courtes exceptions faisant suite aux crises politiques. Les pays africains comme le Rwanda, ou régneraient la privation de libertés et une certaine idée de la “discipline” chère à nos dirigeants autoproclamés éducateurs du peuple, sont loin d’avoir échappé à la misère endémique même si leurs dirigeants sont réputés être de bons gestionnaires. Cette vérité empirique se voit également dans les statistiques de revenu par tête au Rwanda Avec sa capitale Kigali, ville cliniquement propre où les mendiants et les sans -abris sont mis hors de vue, le Rwanda a un revenu moyen par habitant inférieur à celui lamentable du Bénin. ( Revenu moyen par tête de $747 en $ constant de 2010, contre $856 , ce en 2017). Certes des raisons historiques expliquent cela, le Rwanda vient de loin, et a fait de réels progrès. Mais les faits sont têtus.
Avant de de nous inviter à accepter les morts de Béninois, au nom de résultats à venir ou de causalité sorties de derrière les fagots, il faut tout au moins se référer a ce que tous les béninois ont en commun, a savoir leur constitution qui dit dans son préambule “affirmons solennellement notre détermination à créer un Etat de droit et de démocratie libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus comme pluraliste ( souligné par nous) , dans lequel les droits fondamentaux de l’’homme, les la condition nécessaire ( souligné par nous) au développement véritable ( re-souligne par nous) …”.
Si l’on pense le contraire, il faut changer le préambule de la constitution avec l’accord des Béninois et non les forcer à accepter au prix de morts ce qu’on croit à tort être une réforme souhaitée par tous( on ne sait à quelle aune).
Quel est le noeud de la crise
- Il est clair qu’íl y a un problème dans notre pays, comme en témoignent les envois d’émissaires par le chef de l’état, l’installation du parlement sous haute protection militaire, le message même du chef de l’État, et doit-on ajouter les morts dont les corps semblent soigneusement cachés .
- Quel est la nature du problème ? Le développement précédent tend à situer le problème à deux niveaux, qui sont aggravés par une dérive autocratique:
- Un diagnostic complètement erroné des sources du sous-développement attribué à la mauvaise gouvernance, elle-même attribuée au multipartisme intégral
- Une solution nécessairement erronée découlant d’un mauvais diagnostic
- Une politique autocratique faite de ruse et de rage, d’exclusion, de mépris condescendant du peuple dans toutes ses composantes (à l’exception peut- être des préposés aux basses oeuvres comme certains politiciens passés maîtres dans la roublardise contre tous, y compris leur camp proclamé, et des membres du cercle des serviteurs de toujours…), politique qui aggrave les péchés originels du mauvais diagnostic et mauvais traitement.
- De façon spécifique, à travers la crise actuelle, se pose le problème de l’existence même de notre nation en tant que communauté vivant et travaillant pour un objectif commun, le progrès économique et social. Quand 75% des Béninois ne pouvant choisir leur représentants, sont exclus des décisions les affectant, quand un chef de l’Etat pose des diagnostics qui ne sont partagés que par son clan, quand il s’engage de façon obstinée et violemment brutale dans la mise en oeuvre de soit-disant réformes pour remédier à un mal si mal diagnostiqué, réveillant et exacerbant les clivages ethniques qu’on croyait voir s’atténuer ( il suffit de voir la distribution des taux de participation pour s’en convaincre) , quand on promeut un discours tendant à dénier à certains compatriotes leur appartenance à la nation ( “mercenaire’’), leur droit d’influer pacifiquement sur la vie politique ( on parle de gens « convoyés’’ sur Cotonou comme si Cotonou était un territoire étranger réservé à certains et non le siège du pouvoir central), quand la réponse à l’expression de la colère populaire est le déni des facultés cognitives ( “ »badauds” », “ »drogues” »…), les tirs à balles réelles, quand le dialogue entre le peuple et ses représentants est rompu, c’est l’existence même de la nation qui est en jeu.
- « Consruire et consolider la cohésion nationale” est plus que jamais un enjeu majeur. Les circonstances actuelles mettent à l’ordre du jour l’action citoyenne pour y parvenir. La cohésion nationale est mal en point, comme jamais au cours des trois dernières décennies. Témoin le déploiement militaire constant, la violence des débats là où il peut encore se faire. Nous sommes interpellés, comme patriotes, démocrates, simples citoyens, ce d’autant que certains, usurpant le titre de progressiste, se sont transformés en exécuteurs des basses oeuvres de ce gouvernement, faisant croire à une jeunesse en manque de repères, qu’íls continuent un combat dont ils n’ont été au mieux que de passagers compagnons de route, au pire un cheval de Troie. Drôle de gouvernement progressiste que celui-là qui provoque l’hilarité générale des hommes d’affaires allemands quand il exhibe comme un trophée, la suppression de fait du droit de grève.
- Le gouvernement, sa majorité, et ses Missi Dominici qu’on entend beaucoup ces derniers temps nous expliquer doctement qu’il y a eu toujours eu des morts sous tous les régimes, sont les seuls responsables de cette crise -peut être planifiée de longue date- mais qui aurait pu être évitée. Les votes de l’opposition parlementaire, qu’on peut déplorer, les simulacres de consultation de la société civile en 2 heures de ripailles dans un grand hôtel de la place n’étaient que l’habillage d’un forfait conçu et exécuté par un petit clan qui se croit plus intelligent que tout le peuple béninois et plus à même de savoir ce qu’il lui faut envers et contre lui.
Comment en sortir
Pour que nous puissions apporter une contribution à la résolution de cette crise et plus généralement oeuvrer à la construction d’une nation plus unie, juste et solidaire, les citoyens que nous sommes doivent s’exprimer d’une voix plus forte, d’une voix plus présente. La véritable société civile, pas celle des professionnels de « l’ONGisme » monnayant leur silence contre des prébendes de l’étranger ou préparant leur entrée dans les coulisses du pouvoir comme l’Alternative Citoyenne de triste mémoire, doit se montrer plus organisée et plus déterminée dans la défense du minimum démocratique conquis dans le sang et les larmes et honorer la mémoire des victimes des balles de ce régime.
Notre action citoyenne collective doit :
- Établir l’origine de la crise, comme un mauvais diagnostic et une mauvaise réponse, au surplus exécutée par la ruse et la rage de façon la plus exécrable.
- Rappeler le caractère sacro-saint de la vie humaine -qu’on ne saurait mettre sur le même plan que des dégâts matériels aussi lourds soient ils- et réclamer des enquêtes transparentes et des sanctions exemplaires contre les auteurs des tueries, l’arrêt immédiat des insultes à la mémoire des victimes.
- Demander le retour à un régime de pleine jouissances des libertés individuelles et publiques (y compris celle de manifester, et de s’associer) et le retour à une administration rigoureuse, équilibrée, impartiale, et dépassionnée de la justice.
- Proposer un dialogue national, dialogue qui ne peut avoir lieu si les mesures de mise en confiance ne sont pas prises (y compris celles des points 2 et 3 ci-dessus). Ce dialogue ne doit pas nécessairement prendre la forme d’une conférence souveraine. Mais il peut déboucher sur des formes et moyens de restauration de la légitimité populaire (référendum, élection d’assemblée constituante etc…).
La crise ne se résoudra pas d’elle-même. Le pourrissement ne saurait être une issue, car notre mémoire est et sera longue la restauration de notre minimum démocratique et de la légitimité des institutions ne sont pas négociables pour les dignes fils de Bio Guerra, Kaba, et Gbèhanzin.
Jean Houessou C. Folly
Atlanta Usa
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