Après notre article « Affaire Loada : les deux erreurs du Pr Maïga », la réaction musclée d’un proche du mis en cause

La Nouvelle Tribune info a publié un article de Karim Barry, intitulé « Affaire Loada : les deux erreurs du Professeur Maïga ». Au-delà de la curiosité du choix d’un journal béninois pour donner des leçons à un Ministre de la République du Faso, M. Barry, prétendument enseignant chercheur, démontre d’une part, qu’il n’y a juridiquement pas d’injustice faite au Professeur Loada, et que d’autre part, la souveraineté du Faso n’est pas en jeu. Il conclut que c’est le Professeur Maïga qui a manqué de courtoisie vis-à-vis des autres ministres de l’espace CAMES en cherchant à protéger son national. 

L’analyse approximative développée par un donneur de leçon à un Ministre du pays des Hommes intègres nous amène à réagir parce que l’affaire concerne le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), organisation de coopération créée par un traité en forme simplifiée modifié en avril 2000 et qui regroupe 19 Etats.

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Qu’on se le dise, le fait pour le Professeur Maïga de s’insurger contre l’injustice faite à son Etat et au nom de la souveraineté du Burkina Faso, du fait de la suspension du Professeur Loada, est en droit international d’une normalité et d’une juridicité absolues.

L’argument de la normalité repose sur une règle basique : le droit inaliénable de tout Etat d’accorder sa protection en tout temps et en tout lieu à son national, fondement de sa souveraineté plénière et vis-à-vis de ses ressortissants et qui est rappelé depuis les arrêts Mavrommatis et Usines de Chorzow de la Cour permanente de Justice internationale et réaffirmé par la Cour internationale de justice dans l’affaire Barcelona Traction. Aucun traité quelle que soit sa nature ne peut porter atteinte à ce droit. Même dans l’hypothèse où l’affaire se résumerait à « une simple protection d’un national », la réaction du Burkina Faso est la manifestation d’un droit, celui de tout Etat, détenteur plénier de la souveraineté, de faire entendre la violation de son droit à ne pas voir un droit de son national violé. Il n’y a aucune entorse pour un Etat souverain, à exiger d’un autre sujet de droit international, qui plus est, la créature qu’il a participé à créer, le CAMES, le respect de sa souveraineté en s’abstenant de tout acte attentatoire aux droits d’un de ses citoyens. C’est le B-A BA du droit international. 

L’argument de la juridicité de la réaction du Pr Maïga prend appui sur le caractère infondé de l’arrêté n°012/2019/CAMES/SJ portant suspension du Professeur Loada, l’illégalité interne de la mesure conservatoire du fait du détournement de l’article 31 du Code d’éthique et de déontologie du CAMES modifié lors de la session du Conseil des ministres du 30 mai 2019, et l’inapplicabilité en l’espèce du règlement intérieur des CCI lui aussi adopté le 30 mai 2019.

Contrairement à ce qu’avance M. Barry, l’article 31 du Code d’éthique et de déontologie ne se résume pas à son dernier alinéa. Il faut le lire dans sa globalité. Le juriste sait que l’interprétation d’un article ne se fait pas isolément et que la suspension en procédure disciplinaire est une étape conservatoire mais une décision grave où le respect scrupuleux des règles de forme constitue le gage d’une bonne décision, celle qui évite l’arbitraire d’une justice hâtive et à charge.

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L’article 31 dispose « Les pièces du dossier comportant, notamment, le mémoire en défense, sont transmises à la Commission qui entend la personne impliquée en ses observations.

La Commission saisit, s’il y a lieu, le Conseil des Ministres seul organe habilité à prononcer les sanctions prévues à l’article 26. 

La personne impliquée est informée de la transmission de son dossier au Conseil des Ministres. Elle est, sur sa demande, entendue par cette instance.

Le Secrétaire Général, après consultation du Président en exercice du Conseil des Ministres, prend toutes mesures conservatoires destinées à empêcher la personne impliquée dans la procédure de prendre part, pendant la durée de celle-ci, aux programmes du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur. »

L’expression « personne impliquée » n’apparaît qu’à l’article 31 du Code d’éthique et de déontologie. Avant, il s’agit d’une « personne qui fait l’objet d’une enquête ». La suspension n’intervient qu’après des étapes bien spécifiées à l’article 30 et aux alinéas 1 à 3 de l’article 31. La distinction entre une personne contre laquelle une plainte est déposée et une personne juridiquement impliquée dans une affaire n’est pas anodine au sens du code d’éthique et de déontologie. 

La personne impliquée est une personne dont les agissements ont fait l’objet d’une enquête par la Commission d’éthique et de déontologie (CED), saisie à cet effet. L’implication est liée à une première conclusion de la CED, celle de l’existence probable d’une faute suivie de la désignation d’un rapporteur à qui le dossier est communiqué et qui a la charge de prendre toutes les mesures utiles pour la manifestation de la vérité au sens de l’article 30 du Code d’éthique et de déontologie. L’implication est déduite du respect d’un certain nombre de procédures qui permettrait de s’assurer qu’une simple médisance ne soit pas le lit à l’arbitraire d’une suspension. Il faut des indices de l’implication, ce qui passe par le respect des étapes et des règles procédurales posées par le Code d’éthique. Est donc impliquée, toute personne qui au regard de l’enquête effectuée est, a priori, auteur d’une entorse éventuelle au Code et qui a fait l’objet de propositions de sanctions qui seront soumises au Conseil des ministres. 

Au regard de tous ces éléments, le Professeur Loada ne peut être considéré comme personne impliquée. La Commission d’éthique et de déontologie n’a pas été saisie, aucune enquête n’a été effectuée, aucun rapporteur nommé. L’arrêté de suspension précise que la plainte du Dr Soma sera présentée au CCG lors de la 41ème session. Adopter une décision de suspension alors même qu’aucune procédure n’a encore été ouverte, est illégal et justifie l’injustice dénoncée.

Ensuite, l’arrêté n°012/2019/CAMES/SJ est juridiquement infondé.

L’arrêté n°012/2019/CAMES/SJ manque de base légale. Le droit pour le SG du CAMES d’adopter les « arrêtés » est prévu à l’article 20.5 de la convention révisée du CAMES, adoptée par le Conseil des ministres du CAMES dans sa session du 30 mai 2019. Cette résolution n’est pas une formalité suffisante pour modifier juridiquement un traité international, fusse-t-il en forme simplifiée. L’on est tenté d’ailleurs de voir, sauf confirmation par les Etats membres du CAMES de leur choix clair de procéder à la modification totale du CAMES pour en faire une organisation dont les décisions y compris prises par le Secrétaire général du CAMES s’imposeront à eux sans aucun égard à leur souveraineté, une modification subreptice qui risque à termes de poser de sérieux problèmes aux Etats membres, sauf le Cameroun qui y va la tête dans le guidon ! 

En tout état de cause, la modification du traité n’est pas encore en vigueur. Celle-ci ne sera acquise que six mois après la signature de la convention modifiée par deux tiers des membres. C’est donc le traité modifié de 2000 qui est toujours en vigueur. Au regard de l’article 17 de ce traité, le Secrétaire général du CAMES, hormis le principe général des actes liés à la gestion administrative du Secrétariat, n’a aucun pouvoir autonome pour décider. La catégorie « arrêté » n’existe pas juridiquement au sein du CAMES. 

Se contenter de relever l’aval de la Présidente du Conseil des ministres pour conclure que la prise de l’arrêté de suspension est conforme aux règles de l’organisation peine à convaincre le juriste internationaliste sérieux. Celui qui « décide » au sein du CAMES, c’est le Conseil des Ministres et Encore… C’est la seule instance qui conformément à l’article 11 de la Convention portant statut du CAMES, a compétence pour décider sur la base d’un consensus ce qui en droit international implique l’absence d’opposition à la prise d’une décision. 

La courtoisie institutionnelle en droit international aurait donc voulu qu’en faisant la démarche auprès du Ministre du Burkina Faso, tant en ce qui concerne le SG CAMES que la Ministre béninoise Attanasso, Présidente en exercice du Conseil des ministres, l’opposition d’un Etat membre invoquant sa souveraineté et les entorses relevées par le Ministre, conduise à ne pas suspendre le Professeur Loada sans décision consensuelle du Conseil des ministres. 

La suspension est ici aussi illicite parce que la seule instance à décider est le Conseil des ministres, et que la catégorie « arrêté » choisie comme véhicule de cette mesure conservatoire est juridiquement inexistante. 

Enfin, l’article 22 des Règlements intérieurs des CTS est inapplicable en l’espèce. Cet article stipulerait que « le Président du CCG établit et valide avec le Secrétaire général du Cames les listes des membres des Comités Techniques Spécialisés à partir des propositions faites par les Etats et Institutions signataires de l’Accord ». Ceci serait donc le signe de l’absence de souveraineté des Etats.  

Cet argument est avancé en méconnaissance d’une autre règle fondamentale en droit international, les décisions des organisations de coopération n’ont pour les Etats que valeur de recommandation, sauf acceptation ultérieure par l’endossement de la décision par l’Etat. De tels actes ne peuvent en rien entamer la souveraineté d’un Etat.  

Et, le règlement intérieur des CCI du 30 mai 2019 ne peut supplanter l’Accord portant création et organisation des Comités consultatifs interafricains de 2000 dont l’article 6 dispose que les membres des CTS sont choisis par le Comité consultatif général (CCG) sur proposition des Recteurs et présidents d’université. De fait, le règlement intérieur laisse entrevoir une faille. Si l’acte fondamental fait du choix une compétence du CCG, le règlement intérieur le modifie pour faire du choix des membres du CTS une compétence partagée avec le SG du CAMES. Or, un règlement intérieur n’a aucune vocation à modifier un texte de base. De plus, la pratique suivie au sein de l’institution est que les membres du CTS sont des personnes désignées par l’Etat soit après une procédure d’élection soit après une procédure de nomination. La preuve, le SG du CAMES s’est adressé au Ministre de l’enseignement supérieur pour faire remplacer le Professeur Loada. 

Mais même à dire que le choix des membres des CTS reviendrait au Président du CCG et au SG du CAMES ne permet pas de valider la suspension du Professeur Loada. Sa qualité de membre du CTS puis, et sans nul doute de Président du CTS ne peut souffrir de contestation. L’article 7 de l’Accord portant création et organisation des CCI précise que le Président du CTS est élu pour trois ans renouvelable une fois. Le Président Loada est dans son deuxième mandat de trois ans, entamé en 2018 par son élection à Niamey. Au regard de l’article 7 de l’accord sur les CCI, sa qualité de membre a été déjà été validée par le CCG. Le Secrétaire général, pas plus que le Président du CCG en 2019, ne pouvaient remettre en cause une telle situation déjà acquise du Président Loada…sans commettre un coup d’Etat.

En creux, au-delà du respect du Code d’éthique lui-même et transformé en épouvantail, on peut s’interroger sur l’effectivité de la publication ou la diffusion par le CAMES de son Code d’éthique et de déontologie modifié et de tous les autres textes, aux destinataires potentiels avant son application.                       Les décisions du Conseil des ministres sont prises à huis clos. C’est seulement le 27 juin que le Secrétariat général du CAMES lui-même a transmis le rapport du Conseil des ministres à ces derniers. Pourtant dès le 26 juin, le SG CAMES a saisi le Président du Conseil des ministres pour application d’un texte non encore notifié…Les juristes conseillers du SG CAMES sont-ils à ce point des amateurs ?

Les droits du Professeur Loada ont été bafoués à plusieurs reprises par cette mesure de suspension validant une injustice tant sur la forme que sur le fond. La suspension est le fruit d’une décision prise en dehors de tout consensus au sein du Conseil des ministres. On viole ainsi en permanence notre Etat de droit. L’Etat dont il a la nationalité est juridiquement fondé à le protéger, sans qu’on y voie une défense aveugle. C’est une défense mesurée face à des entorses graves aux textes même du CAMES et qui en touchant à l’intégrité d’un fils du Faso, touche l’Etat lui-même. Le Ministre du Faso a donc légalement et légitimement refusé d’accepter, comme tout Etat sérieux et digne de ce nom, qu’une injustice soit faite à son national.

Cyril OUEDRAOGO

Journaliste

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