Style hésitant, arguments peu convaincants, contradictions, contre-vérités… la dernière interview de Patrice Talon sur Rfi et France 24 a bien l’air d’un produit médiatique mal goupillé. Le chef de l’Etat qui nous a habitués par le passé à des interventions plus élaborées, est resté largement en dessous de son art de persuader et de convaincre.
On l’attendait dans les « hauteurs » d’un président au- dessus de la mêlée, mais le chef de l’Etat a décidé de voler très bas. Sûrement dans l’euphorie d’une révision constitutionnelle qu’il a promulguée dans la matinée, Patrice Talon s’est départi d’un trait de caractère constant de sa personnalité : la sérénité. Son franc-parler en a pris le coup. On l’a vu bégayer, tâtonner et surtout très hésitant, alignant des « euh, euh » sans cesse et manquant cruellement de mots pour défendre des arguments qui eux aussi souffraient cruellement de pertinence et de sincérité.
La parade sur les médias internationaux pour montrer une certaine fierté d’avoir réussi un coup– la révision de la constitution– qu’aucun de ses prédécesseurs n’a réussi s’est révélée comme un coup d’épée dans l’eau, un flop médiatique qui expose à la face du monde un président qui manque d’assurance et de ‘’self control ‘’. Le beau costume du président, le luxe et toute l’esthétique du décor de ce salon présidentiel où s’est tenu l’entretien n’ont pu faire oublier à des millions de téléspectateurs, les propos peu consistants du chef d’Etat.
On se demande alors comment un chef d’Etat peut passer aussi allègrement à côté d’un entretien auquel personne ne l’a contraint et qu’il a souhaité lui-même pour sa communication post-révision ? Comment un chef d’Etat peut-il déclarer sans aucune retenue ni précaution de langage que Boni Yayi est impliqué dans les violences post-électorales alors même que l’intéressé n’a jamais été écouté et qu’aucune condamnation (provisoire ni définitive) n’ait été prononcée à son encontre ? Un président-juge ? Un Président-Procureur ? Et lorsqu’on analyse en profondeur cette interview, on se rend bien compte que le Président Talon a fait beaucoup d’affirmations hasardeuses.
Fuite de responsabilité
Sur la question du faible taux de participation aux élections législatives, Patrice Talon pense que ce n’est pas un désaveu pour lui. « Les lois qui ont été votées pour réformer le Code Electoral, pour réformer la Charte des Partis Politiques ont été votées par le parlement sortant, celui qui était là avant mon arrivée ». Le chef de l’Etat trouvait là une bonne occasion de se dédouaner et de mettre le tort sur Adrien Houngbédji et les députés de la 7è législature qui ont voté les lois querellées. Une contre vérité flagrante, puisque chacun sait comment ce parlement et son président ont été élus grâce ce qu’il est convenu d’appeler « la télécommande de Paris ».
Il est aussi de notoriété publique que c’est par le biais de la majorité mécanique ( une soixantaine de députés) qu’il a constituée, après le rejet de sa première tentative de révision constitutionnelle, que les lois les plus liberticides- le code électoral et la charte des partis notamment- ont été élaborées sous sa houlette.
Il en est de même de la question sur les violences post-électorales à Cadjêhoun, Tchaourou et Savè. A ce niveau aussi Patrice Talon doigte une responsabilité globale. Pourtant tous les Béninois n’étaient ni à Tchaourou, ni à Savè, ni à Cotonou. Tous les Béninois n’ont pas donné l’ordre de tirer à balles réelles sur les manifestants agglutinés autour du domicile de Boni Yayi. Tous les Béninois n’ont pas tiré non plus. Et tous les Béninois ne sont pas agents de sécurité ou chasseurs.
Si donc, il y a une responsabilité à tirer, elle ne peut pas être collective , comme l’a fait croire le chef de l’Etat. Une autre preuve de la fuite de responsabilité est l’annonce du nombre de morts. « Le procureur de la république et le ministère de l’intérieur ont annoncé qu’il y a eu au moins 4 morts ». Dans cette affirmation, le chef de l’Etat décline subtilement ses responsabilités, se rabattant sur des chiffres émanant du procureur de la république et du ministre. Chiffre qui, curieusement ne diffère pas de celui avancé par Amnesty International qui n’est qu’une Ong.
Ce genre de déclarations montre également à quel point, on banalise les victimes humaines et comment ces morts ne semblent pas représenter grand-chose aux yeux du pouvoir. Quand il s’agit de Béninois tués, Talon perd subitement sa posture républicaine et fait recours aux chiffres du procureur, du ministère de l’Intérieur et d’Amnesty International.
Dans d’autres pays, le décès de citoyens au cours de grandes manifestations est souvent l’occasion d’une sortie médiatique du président de la république qui explique en sa qualité de premier magistrat et garant de la sécurité de ses citoyens ce qui s’est réellement passé. On l’a vu en France, aux Etats Unis. On s’en convainc davantage avec la suite du raisonnement présidentiel.
Citation : « La difficulté c’est quoi ? C’est qu’il y a eu des chasseurs qui ont été mobilisés à l’intérieur, à l’extérieur du pays par des acteurs politiques. Et des chasseurs ont tiré avec des armes sur des agents de sécurité, sur des militaires, sur les policiers et même les civils. Et parfois, la riposte de protection du bien public et de la protection de soi a amené certains agents de sécurité à faire face aux tirs de ces chasseurs ». Ici, la confusion est soigneusement entretenue par le président Talon entre les évènements de Cadjèhoun où la barbarie militaire a eu lieu et ceux de Tchaourou -Savè, où les militaires ont été aux prises avec les chasseurs traditionnels.
L’histoire de cette confrontation reste encore à raconter, d’autant que le blackout a été maintenu dans la période sur ce qui s’est réellement passé. Personne ne peut dire aujourd’hui le nombre de victimes de cette « guerre asymétrique » entre les chasseurs et les soldats de notre armée .Les rumeurs non confirmées parlent d’essaims d’abeilles jaillissant de nulle part provoquant la débandade des militaires apeurés et de flagellations de soldats par des mains invisibles, sous l’effet des pouvoirs mystiques attribués aux chasseurs traditionnels.
Ruse et insincérité
Les éloges de Talon à Yayi au cours de cet entretien apparaissent aussi surprenantes et pleines de ruse. Alors qu’il se montre très amers à l’endroit de Sébastien Ajavon et Lionel Zinsou en les prenant pour des fautifs qui doivent répondre de leurs « dérapages » avec une phrase très méprisante « je n’aime pas parler de ce genre de choses », Patrice Talon affiche une soudaine sympathie à Boni Yayi son prédécesseur. Il faut y voir une astucieuse stratégie dont le but est d’écarter tous les potentiels candidats de la présidentielle 2021.
Koutché, Ajavon, Zinsou, Lehady Soglo… sont devenus tous subitement des « citoyens traînant des dossiers sales ». On sait que Yayi quant à lui n’est plus candidat et ne peut plus l’être. La nouvelle mouture de la constitution de Talon a réglé définitivement son sort par la modification malicieuse du fameux article 42 où on a introduit le bout de phrase assassin « de sa vie ».
Un ajout pertinent , aux yeux des initiateurs de la révision constitutionnelle qui ne vise que la personne de Yayi, au cas il serait amené à conclure que la présente modification de la constitution mettait les compteurs à zéro. Mieux, Yayi est désarmé politiquement par le tour de passe- passe d’avant le prétendu « dialogue politique ». En effet, en octroyant le récépissé des Fcbe à Paul Hounkpè, Théophile Yarou et consorts, tous des opposants « téléguidés » par la Marina, Talon s’est assuré que le lion a perdu définitivement ses crocs et qu’il n’est plus redoutable.
D’ailleurs les nouveaux maîtres des Fcbe reconnus au Ministère de l’Intérieur travaillent actuellement à restructurer les organes locaux du parti en plaçant à leur tête des militants jugés plus « modérés »Toute chose qu’a dénoncée Grégoire Akoffodji , ancien ministre de Yayi et membre influent du parti Fcbe .
Pourquoi ne pas venir à la télévision, parler de traitement de faveur à l’endroit de Boni Yayi et montrer sa bonne foi dans le dégel de la crise politique qui secoue le Bénin actuellement ? Comment ne pas afficher son côté pacificateur et montrer qu’il œuvre pour la paix en organisant un « dialogue politique » auquel ont participé tous les leaders des Fcbe y compris le secrétaire général et en prenant une loi d’amnistie pour permettre à Boni Yayi de rentrer tranquillement à Cotonou ?
Le président Talon qui avait déclaré en 2017 après l’échec de sa première tentative de révision de la constitution qu’il fera désormais la politique ne peut donc pas oublier de surfer sur cette opportunité. En moins de 20 minutes, Patrice Talon a heurté beaucoup de sensibilités, même sur des sujets inattendus et controversés comme l’avenir du franc Cfa.
Au total , cet entretien télévisé n’est pas sans rappeler l’interview -fleuve du président Boni Yayi le 1er août 2012. Au lieu de contribuer à la décrispation politique, elle n’a fait que radicaliser les positions et ouvrir la voie à des tensions plus vives qui ont pollué le restant de son mandat. Talon aurait dû se passer de cet exercice de communication toujours périlleux avec la presse étrangère. Il trouverait dans sa besace de prestidigitateur un autre moyen pour savourer sa victoire après l’assouvissement de son désir obsessionnel de révision constitutionnelle, au nez et à la barbe d’une opposition tétanisée par la peur des répressions sanglantes.
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