Vendredi 18 décembre 2009.Le jour s’était levé depuis un certain temps et le soleil de midi brûlait déjà les têtes ce jour-là, quand la nouvelle tomba, tel un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage : ’’Adjaho est décédé’’.Adjaho ? Quel Adjaho ? Richard Adjaho ! Depuis quand ? Il était malade ?’’Plus la rumeur enflait plus les détails se faisaient précis et, comme il est de coutume en pareilles circonstances, plus contradictoires aussi les uns que les autres .Mais c’était déjà suffisant pour que je puisse en déduire qu’il ne s’agissait pas d’un canular, ou d’un fake news, comme on dirait aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux. Avec le recul des dix ans passés si rapidement, je n’ai aucune peine à conclure que Richard Adjaho est mort comme il a vécu, c’est –à- dire, discrètement, sans crier gare, à l’image du grand commis d’Etat qu’il fut. L’accident vasculaire qui l’a foudroyé est certainement la conséquence inéluctable de cette vie consacrée en silence au travail intellectuel et sur terrain par ce grand commis de l’Etat que tous les régimes ont consulté sur tous les problèmes relevant de ses compétences avérées en matière de finances publiques et de décentralisation de l’administration territoriale.
Quand je fis sa connaissance et commençai à le fréquenter aux encablures des années 2000, Richard Adjaho n’était plus ministre .Moi, je venais de quitter la tête d’un journal aujourd’hui disparu et venais de créer La Nouvelle Tribune, lancé en sa présence, au milieu d’un parterre très relevé de personnalités de premier plan. Richard Adjaho, lui, finissait une carrière de haut fonctionnaire bien remplie au ministère de Finances et du Commerce et à la tête des conseils d’administration de plusieurs sociétés d’Etat, puis au Ministère de l’Intérieur. Sa réputation de grand commis de l’Etat date de cette époque. Car traverser toute la période du Prpb comme directeur de ministère et président de conseil d’administration de plusieurs sociétés, sans avoir été encarté au Parti, sans avoir été épinglé par une commission d’enquête relevait de l’exploit. C’est tout naturellement qu’il sera identifié par le président Soglo- lui aussi Inspecteur Général des Finances et venant de la Banque Mondiale pour occuper le portefeuille de ministre du commerce à 40 ans au début de la transition, puis de l’Intérieur de 1991 à 1993, avant de rejoindre Paris comme ambassadeur près la France, où il a laissé des souvenirs inoubliables aux Béninois de la diaspora de l’époque.
J’ai eu de longues heures d’échanges avec lui, tant à son domicile que dans l’un ou l’autre des restaurants chics au cœur du quartier commercial de Ganhi. Nos entretiens tournaient autour des problèmes de la gouvernance du pays, de l’incapacité des dirigeants à anticiper, et surtout des problèmes de la décentralisation qu’il a exposés dans trois ouvrages dont un, en collaboration avec l’ancien préfet Mathias Gogan. Je sortais chaque fois de ces rencontres avec un exemplaire dédicacé de ses ouvrages qui ornent aujourd’hui ma bibliothèque la majorité publiée aux éditions Flamboyant(x),. Avant de faire éditer son recueil d’essais : Bonne gouvernance au Bénin en Septembre 2005, c’est dans La Nouvelle Tribune et deux autres Quotidiens de la place que le ministre Richard Adjaho a choisi de publier les bonnes feuilles de la plupart des articles dudit recueil. .Et c’est aujourd’hui que je me rends compte, mieux que hier, de l’étendue de sa culture et surtout de la diversité des expériences acquises aux différents postes occupés. De ce point de vue, Richard Adjaho apparaît aujourd’hui comme une personnalité remarquable du microcosme politique mais resté peu connu du grand public à cause de son côté discret et peu expansif. Il est resté un gentleman de la politique au sens britannique du terme
Au total, deux dates importantes de ce parcours témoignent on ne peut mieux de cette vie de grand commis discret, distingué et doté d’une grande capacité de travail et d’écoute, toujours prêt à servir à la demande. C’est l’année 2003, quand il s’est retrouvé après les élections communales au poste de 2ème adjoint au Maire de Cotonou. C’est lui qui a initié tous les textes sur la décentralisation et qui était pressenti pour jouer les premiers rôles à la tête de la commune. Il était alors le candidat naturel de la Rb. Bohicon semblait dévolu à Léhadi Soglo. Mais les données politiques avaient changé dans le pays depuis l’échec de Soglo à la présidentielle de 1996. La Rb était au creux de la vague et cherchait une place de 1er plan pour requinquer le parti. Cette expérience de 2ème adjoint au Maire a permis toutefois à Adjaho de comprendre que la décentralisation tant souhaitée était mal partie du fait du refus de l’Exécutif d’alors suivi par tous les autres après, de transférer toutes les compétences aux communes. Adjaho a consigné ses réflexions dans son article publié en 2005 d’une brûlante actualité intitulé Gouvernance locale : La décentralisation béninoise en panne, un article intégré au recueilBonne gouvernance au Bénin. La deuxième date marquante de sa vie c’est l’année 2006. Après la victoire de Boni Yayi, Richard Adjaho, candidat malheureux aux élections a accepté de présider une simple commission pour réfléchir et proposer des solutions pour un meilleur découpage territorial. L’enjeu pour lui était important. Le commanditaire de cette œuvre ingrate qui voulait simplement éviter la patate chaude qu’était la désignation des chefs-lieux de département n’a donné aucune suite aux travaux de cette commission pourtant menée au pas de charge et avec esprit d’abnégation.
Au regard de tout ce qui précède, on peut dire sans risque de se tromper qu’avant son décès inattendu, Richard Adjaho a eu le temps de faire le bilan de sa carrière professionnelle et politique. Après son expérience malheureuse à la Mairie de Cotonou et sa candidature infructueuse à la présidentielle de 2006. il a fait le deuil de ses ambitions politiques et conclu avant tout le monde que la politique est un « métier » où l’arithmétique électorale et les calculs politiciens ont encore de beaux jours devant eux.
(x) Notes bibliographiques :
La Faillite du contrôle des finances publiques au Bénin (1960-1990), Éditions du Flamboyant, Cotonou1992,206 pages
Bénin : Comprendre la réforme de l’administration territoriale en 45 questions (en collaboration avec Mathias Gogan)., Imprimerie C.N.P.M.S., Porto Novo, 1997, mai 1999 (2e édition), 74 pages
Décentralisation : La Question de la tutelle de l’État sur les collectivités locales, Éditions du Flamboyant, 2004, 125 pages
Décentralisation au Bénin, en Afrique et ailleurs dans le monde : État sommaire et Enjeux, 2002, 194 pages
Bonne gouvernance au Bénin: ma contribution, Éditions du Flamboyant, 2005, 148 pages
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